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un jour, une description 17 aoĂ»t 2022 Un bateau brĂ»le sur la mer, dans un port. Lâair sent le fuel. Les larmes refusent le deuil. On entend encore le bruit du clapot contre sa coque. 2 juillet 2022 Une vieille dame essaie de se souvenir de quelque chose. Ses yeux bleus fouillent lâespace comme si sa mĂ©moire pouvait ĂȘtre lĂ , devant elle. Quand elle voit la mer, elle respire mieux. Sa malice revient. 16 juin 2022 Une petite fille pleure sur ue plage. Son pĂšre la regarde indiffĂ©rent ou jouant lâindiffĂ©rfence. Le soleil tape et on sâinquiĂšte pour elle. On attend les hirondelles qui sortiront plus tard. 25 avril 2021 Une femme assise Ă son bureau. Elle Ă©crit avec son ordinateur un court texte. Elle regarde des notes sur un carnet, fait souvent des pauses, se relit. Chaque jour ou presque, elle regarde au-delĂ et quand elle ne peut pas sortir, elle Ă©coute. Elle a toujours aimĂ© cela, regarder les gens autour dâelle, prĂȘter attention Ă des petites choses, des petits gestes, des paroles, des rires. Elle ne veut surtout pas faire un journal, parler dâelle lui semble sans intĂ©rĂȘt, alors elle fait un journal Ă lâenvers dans lequel elle dĂ©crit quelquâun, une situation, une chose, ceux qui la marque et lâaccompagne. Et puis elle lâa mis en ligne, comme pour que ce temps suspendu existe peuplĂ© de ses descriptions qui ne sont pas vraiment des rencontres. Cela fait un an quâelle a commencĂ©. Est-ce que cela mĂ©rite un anniversaire ? Est-ce que cela mĂ©rite une pause ? Un arrĂȘt ? Juste de poursuivre ? Elle ne le sait pas encore. Elle sait quâelle va continuer, mais elle ne sait pas encore comment. 23 avril 2021 Une rĂ©union par zoom. Elle rassemble douze personnes qui ne se connaissent pas pour la plupart et qui vont participer ensemble Ă une expertise. La rĂ©union permet de bien expliquer Ă tous les tenants et les aboutissants de cette expertise, notre rĂŽle et les enjeux. Un homme plutĂŽt jeune se prĂ©sente et nous explique quâil travaille en Suisse oĂč il est actuellement et quâil a toujours travaillĂ© Ă lâĂ©tranger oĂč il a Ă©tudiĂ©. Comme tous, il explique pourquoi il a acceptĂ© de faire cette expertise qui est longue, chronophage et mal rĂ©munĂ©rĂ©e. Il dit trĂšs clairement quâil veut comprendre comment fonctionne le systĂšme quâil doit Ă©valuer car il le trouve obsolĂšte et ne comprend pourquoi nous y sommes tellement attachĂ©s. On est tous sciĂ© et la prĂ©sidente du jury doit prendre sur elle, pour calmement revenir sur les enjeux dâune expertise qui nâest pas un jugement ou une inspection. Il se tait saisissant vite la rĂ©probation commune. Dans la deuxiĂšme partie de la rĂ©union, des points plus techniques sont abordĂ©s et il dit quâil ne comprend pas de quoi on parle et pose des questions qui ont toutes Ă©tĂ© traitĂ©es auparavant. On se rend compte quâaprĂšs sa prĂ©sentation, il a dĂ» faire complĂštement autre chose et nâa rien Ă©coutĂ©. La prĂ©sidente prend un malin plaisir Ă rappeler lâimportance de lâĂ©coute entre nous, dâune collĂ©gialitĂ© dans le respect et sans mĂ©pris aucun, et finit par et ce sont toutes ces valeurs-lĂ que nous partageons au sein de notre beau systĂšme solidaire dans lequel nous prenons le temps de prendre soin les uns des autres ». Il fait la tĂȘte. Comme un gamin arrogant pris sur le fait et qui a Ă©tĂ© puni. 22 avril 2021 Un cabinet mĂ©dical. MalgrĂ© les restrictions sanitaires, la salle dâattente est pleine. On se sent mal Ă lâaise sans pouvoir nommer pourquoi. On regarde les autres personnes qui attendent et on se sent une intruse. Peu Ă peu, on se rend compte quâon est la seule femme Ă lâexception des secrĂ©taires mĂ©dicales. Tous les autres patients sont des hommes de plus de 65 ans et certains sont beaucoup plus ĂągĂ©s. Câest un cabinet dâurologie, on pense prostate ». Ils le pensent tous aussi, ils savent tous quâils sont lĂ pour cela, mais tant quâils Ă©taient entre eux, cela allait. Avec notre irruption fĂ©minine, dâun coup, câest comme si leur souci devenait public et honteux. Une atteinte Ă leur virilitĂ© qui serait dĂ©voilĂ©e Ă une femme. A notre arrivĂ©e, deux hommes se parlaient, ils ont immĂ©diatement cessĂ©. Le silence sâinstalle, chacun est dans son tĂ©lĂ©phone, les mĂ©decins, tous des hommes aussi, viennent chercher leur patient et mĂȘme eux vous jettent un regard surpris. Une jeune femme arrive avec un petit garçon de sept ans environ. Il sâassied sur les genoux de sa mĂšre et lui demande ce que va lui faire le docteur. Elle lui explique quâil va lâexaminer sans lui faire mal, que ce docteur a lâhabitude. Elle lui demande Tu sais pourquoi on est ici ? Chez ce docteur ? », il lui rĂ©pond trĂšs sĂ©rieusement et sans aucune gĂȘne Pour mon pipi ». Il prĂ©cise Parce que je fais pipi au lit ». On sent aux sourires quâil y a presque comme un soulagement dâentendre cet enfant parler si directement, si spontanĂ©ment et Ă voix haute de ses soucis. La tension se dĂ©noue un peu. Sa tranquillitĂ©, sans honte, nous a fait du bien. A tous. 21 avril 2021 Une dame dâune soixantaine dâannĂ©es qui parlent avec un monsieur un peu plus ĂągĂ© au milieu dâun petit jardin public oĂč un grand nombre dâenfants jouent en ce mercredi. A part les parents et les grands-parents qui sont sur les bancs, ce sont les seuls adultes. Elle est habillĂ©e tout en noir. Elle porte un chemisier dans une matiĂšre assez brillante, puis une jupe qui semble longue mais qui est composĂ©e dâune jupe trĂšs courte prolongĂ©e par de la dentelle qui descend jusquâau genou, dessous elle porte des collants en dentelle puis des ballerines. Elle a les cheveux blonds coiffĂ©s en chignon, ses yeux sont trĂšs maquillĂ©s et elle porte un masque bleu sous le nez. On remarque ses boucles dâoreilles or et noir qui sont assez longues et semblent lourdes. Elle promĂšne un chien en laisse. Il est tout petit avec un nez Ă©crasĂ© et le poil ras. Ils regardent tous les deux le chien qui semble ĂȘtre leur sujet de conversation. Elle fait mine de partir, puis prend le chien dans ses bras et se retourne pour dire Ă nouveau quelque chose au monsieur. On voit Ă sa maniĂšre de se retourner, de pencher la tĂȘte, quâelle minaude et essaie de garder lâattention de ce compagnon. Il lui rĂ©pond et fait un geste du bras qui montre tout Ă fait une autre direction que celle vers laquelle elle allait. Elle le salue dâun petit geste de la main et part. Quand on la croise, on voit que son regard est triste, son visage fermĂ©. Elle soupire puis relĂšve le menton et se redresse. Elle sourit et retrouve de sa superbe. Haut les cĆurs ! 20 avril 2021 Une petite fille dans un jardin dans une grande ville. Elle doit avoir environ douze ans. Elle est assez grande avec des longs cheveux noirs ondulĂ©s, un visage rond avec un menton pointu, des grands yeux noirs avec des sourcils trĂšs marquĂ©s et une bouche assez large. Elle est habillĂ© dâun long T-shirt blanc Ă manches longues et porte un pantalon Ă©trange comme un legging moulant qui imiterait le cuir noir mais qui semble ĂȘtre en plastique. La petite fille est proche dâun des portails du jardin et regarde Ă lâextĂ©rieur en faisant visiblement la tĂȘte. Elle regarde de maniĂšre insistante un garçon et une fille, du mĂȘme Ăąge quâelle, qui sont sortis du jardin et se parlent Ă part de tous les autres. Elle sort du jardin et fait quelques pas vers eux, le visage fermĂ©. Elle reste Ă distance et on voit quâelle regarde le garçon et quâelle commence Ă bouger comme pour attirer son attention. Elle finit par dire quelque chose, lâappeler peut-ĂȘtre, il se retourne, la regarde et lui fait un signe de la main comme pour lui dire attends ». Lâautre petite fille sourit. Ils continuent de parler ensemble. Le visage de la petite fille semble se flĂ©trir de tristesse. Elle ne bouge pas. Elle est au bord des larmes. Quand elle sent quâelle va vraiment pleurer, elle se tourne. On voit deux larmes briller sur ses joues comme un Ă©cho Ă la brillance Ă©trange de son pantalon. Elle sâĂ©loigne. Un chagrin dâamour. DĂ©jĂ . 19 avril 2021 Un homme qui doit avoir une soixantaine dâannĂ©e peut-ĂȘtre plus. Il est sur la grand place dâun marchĂ©. Il est trĂšs Ă©lĂ©gant. Il porte des mocassins Weston » fauves avec des chaussettes bleues que lâon entraperçoit et un pantalon bleu certainement en laine qui semble trĂšs souple et dont le revers se casse lĂ©gĂšrement sur la chaussure. On remarque ensuite sa chemise bleu clair, son gilet de costume bleu foncĂ© boutonnĂ© avec des beaux boutons en corne et sa veste grise de costume avec une coupe plutĂŽt cintrĂ©e et dans un tissu qui ressemble Ă du feutre. Il est peut-ĂȘtre plus ĂągĂ© quâon ne lâa cru en voyant sa silhouette mince et trĂšs dynamique. Son long visage est marquĂ© et assez creusĂ© sous les pommettes saillantes. Son nez est long et droit, ses yeux sont bleus et il a un grand front. Il porte un masque bleu foncĂ© assorti Ă son pantalon et Ă son gilet. Ce qui est trĂšs Ă©tonnant dans cette grande Ă©lĂ©gance, ce sont ses cheveux. Il est chauve sur tout le haut du crĂąne et, pour le cacher, il prend une grande mĂšche sur le cĂŽtĂ© et la rabat sur son crĂąne quâil recouvre ainsi voulant donner lâimpression quâil a encore quelques cheveux. Ces mĂšches plaquĂ©es sont enduites de gel, que lâon voit briller, pour bien tenir. Le vent souffle, il met la main Ă sa tĂȘte ayant peur que sa longue mĂšche se soulĂšve dĂ©voilant sa calvitie. Il ne veut pas de cette atteinte Ă son image. Il attend que la rafale de vent soit terminĂ©e pour reprendre sa lente promenade dont le seul but semble de se montrer sous ses plus beaux atours. Une parade. 16 avril 2021 Ce sont deux hommes qui traversent la rue. Ils doivent avoir autour de soixante-dix ans. Ils ont Ă peu prĂšs la mĂȘme taille, moyenne, lâun se tient un peu voĂ»tĂ©, lâautre trĂšs droit. Lâun est habillĂ© avec un pantalon en velours cĂŽtelĂ© sombre et un blouson de cuir brun fermĂ©, lâautre avec un jean et une doudoune courte grise. Tous les deux ont les mĂȘmes chaussures de type MĂ©phisto » aux pieds. Ils portent tous les deux des masques blancs. Ils sont presque chauves mais avec encore quelques cheveux trĂšs courts, gris. Ils parlent en marchant, lâun Ă les mains dans les poches, lâautre fait des grands gestes. Ils sortent dâune petite rue et sâengagent sur le passage piĂ©ton devant eux pour traverser un grand boulevard Ă double sens. Ils ne regardent ni lâun ni lâautre sâil y a des voitures, continuent de se parler et avancent comme sâil nây avait aucun danger. Ils traversent, ils sont sur un passage piĂ©ton, ils sont dans leur droit, les voitures doivent sâarrĂȘter. Elles sâarrĂȘtent. On sent dans leur posture, et dans une petite raideur au moment de sâengager dans la chaussĂ©e, quâils sont parfaitement conscients de ce quâils font mais quâils veulent absolument faire ce quâils ont le droit de faire. Ils nâauront ni lâun ni lâautre jamais jetĂ© un coup dâĆil Ă gauche puis Ă droite, ils marchent comme sâils Ă©taient sur un trottoir. Quand ils sont de lâautre cĂŽtĂ© du boulevard, ils sourient et poursuivent leur marche Ă pas vifs. On les entend presque commenter leur action et fanfaronner un peu. Comme une petite victoire. 15 avril 2021 Un petit garçon traverse une place sur une petite trottinette. Il est sĂ»r de lui, il va vite. Alors quâil roule, il se met Ă danser en remuant des hanches et des fesses et, sâenhardissant, en bougeant tout le corps sauf les pieds et les mains bien arrimĂ©s. Il doit avoir six ans. Il est habillĂ© dâun jean, de baskets colorĂ©es et dâun tee-shirt Ă manches longues Ă rayures bleues et blanches. Il est brun avec des cheveux un peu longs, il a un visage fin dans lequel on remarque des yeux dâun bleu intense. Il a un air rieur et sourit tout seul en faisant sa petite danse. Il sâarrĂȘte quand il arrive au bout de la place, se retourne et attend sa mĂšre qui arrive en tirant une petite trottinette en plastique avec, certainement, sa petite sĆur debout dessus. Il remonte sur sa trottinette prĂšs Ă aller de lâavant mais il attend toujours. Il se remet Ă danser en bougeant de plus en plus les fesses. Au fur et Ă mesure que sa mĂšre et sa sĆur avance, on a vraiment le sentiment que ce jeu leur est adressĂ© et quâil accentue de plus en plus ses mouvements. Les passants le regardent en riant et sa sĆur commence Ă pouffer. Sa mĂšre lui crie quelque chose. Il sâarrĂȘte sans se retourner vers elles et repart trĂšs vite en chantant assez fort je montre mes fesses, je montre mes fesses ». Il rit et avance rapidement toujours en dansant. Il sâarrĂȘte Ă nouveau assez loin de sa mĂšre et sa sĆur et reste debout de dos. On se dit quâil va recommencer mais sa mĂšre a accĂ©lĂ©rĂ© le pas et est trĂšs proche. Il semble le sentir, descend de sa trottinette et attend sagement tout en souriant. Il a lâair trĂšs content. Il chantonne. Il grandit. 14 avril 2021 Une dame ĂągĂ©e dans le grand marchĂ© de la ville. Elle est trĂšs petite et voĂ»tĂ©e. Elle a des cheveux gris presque blancs qui portent la trace dâune ancienne mise en plis ou dâune permanente. Son visage est rond, on voit des rides autour de ses yeux bruns, elle porte un masque bleu. Elle est habillĂ©e dâune doudoune noire un peu longue et dâun pantalon gris comme un jogging qui nâaurait pas dâĂ©lastique aux chevilles. Elle a aux pieds des chaussures noires dans un tissu Ă©lastique tressĂ© qui nous semblent de qualitĂ© et dĂ©tonner dans la pauvretĂ© de sa tenue. On les apercevra plus tard dans la devanture dâune pharmacie, ce sont des chaussures orthopĂ©diques. Elle tire un chariot gris sur lequel elle sâappuie de temps en temps. Elle longe les Ă©tals des poissonniers en regardant par terre. Elle se penche, ramasse un brin de persil et tend le bras pour attraper un sac plastique. La poissonniĂšre lui demande de ne pas le toucher et lui en donne un. Elle met avec beaucoup de prĂ©caution le brin de persil dans le sac puis ouvre son chariot et le met dedans et repart. Elle continue Ă regarder par terre. Câest certainement une glaneuse qui ramasse les produits jetĂ©s par les marchands et qui sont encore consommables. On pense quâelle ne le fait pas par choix mais par nĂ©cessitĂ©. Dans ce moment oĂč on ne peut pas sâapprocher des Ă©tals, on se demande comment elle peut atteindre les produits. On se demande comment elle peut se nourrir. Elle arpente les allĂ©es. Son chariot est presque vide et ne contient que le brin de persil. 13 avril 2021 On est assise Ă une table sur la terrasse de toit dâun immeuble face Ă un autre immeuble. La rue est Ă©troite alors les toits sont proches. Il est dix-neuf heures. On voit une fenĂȘtre de toit sâouvrir, et un, deux, trois, jusquâĂ sept jeunes gens en sortir grĂące Ă une Ă©chelle et aller sâinstaller sur le faĂźte du toit, les jambes le long des tuiles. Ils sont bien alignĂ©s, ils ne bougent pas trop ou avec prudence, la plupart ont une canette de biĂšre Ă la main ou leur tĂ©lĂ©phone portable. Ils sont tous habillĂ©s dans des couleurs assez sobres, deux ont des chapeaux. Il semble quâil y ait quatre filles et deux garçons. Une fois assis, ils sont face Ă nous et sont surpris de nous voir. On les salue de la main, en montrant notre thĂ©, ils nous saluent bruyamment avec leur biĂšre. Ils ont lâair parfaitement tranquilles. Ils parlent, rient, boivent, se font passer un sac de chips, se font Ă©couter de la musique, se font voir quelque chose sur leur portable, se montrent le soleil couchant sur la chaĂźne des Puys. Câest la maniĂšre quâils ont trouvĂ© pour rester ensemble aprĂšs le couvre-feu, mais en plein air. On trouve cela malin. Rassurant et drĂŽle. Comme une forme de vie Ă eux malgrĂ© tout, sans sâenfermer. Dâun coup, leur geste nous parle de libertĂ© et de lĂ©gĂšretĂ©. On imagine tous les jeunes gens de cette ville universitaire, alignĂ©s sur les faĂźtes des toits. Comme des moineaux. Ils nous ont fait beaucoup de bien. 12 avril 2021 Une femme et deux enfants sur le bord dâun boulevard dâune grande ville. On les remarque parce que le plus jeune enfant qui marche maladroitement est trĂšs prĂšs de la chaussĂ©e. Il sont Ă lâangle du boulevard et dâune rue, il y a des objets qui semblent jetĂ©s lĂ dont un grand matelas debout contre le mur. Les deux enfants sont encore petits. Ils ont deux et trois ans peut-ĂȘtre et sont habillĂ©s avec des habits trop grands et usĂ©s. Le plus grand nâa pas de chaussures. On ne peut savoir si ce sont des garçons ou des filles, leurs cheveux sont courts, bruns, ils ont des visages fins avec des grands yeux sombres. La mĂšre semble jeune, elle est habillĂ©e dâune robe brune assez longue, dâun gilet de laine grise Ă©pais, et est chaussĂ©e de baskets. Elle est chĂątain clair, coiffĂ©e dâune queue de cheval un peu lĂąche, elle ne porte pas de masque. Son visage est rond avec des yeux bruns et elle tĂ©lĂ©phone. Elle parle tout en surveillant ses enfants quâelle ramĂšne de lâautre main, vers le matelas. Elle regarde le matelas de prĂšs, le touche, semble Ă©valuer son confort, discute en faisant de grands gestes et on comprend quâelle le dĂ©crit Ă quelquâun peut-ĂȘtre pour pouvoir le rĂ©cupĂ©rer et le rĂ©utiliser. Elle raccroche et attrape ses enfants quâelle fait asseoir dâautoritĂ© sur le matelas. Elle reste debout et semble surveiller autant les enfants que lâobjet dâun Ćil inquiet. Elle veille, lâair sĂ©rieux en jetant de temps en temps un coup dâĆil vers le boulevard guettant certainement quelquâun. Les enfants sâamusent assis Ă rebondir sur le matelas qui a lâair Ă©pais. Elle les regarde et sourit. 9 avril 2021 Un homme qui conduit une voiture, un chauffeur uber ». Il semble assez ĂągĂ©, dâune cinquantaine dâannĂ©es ce qui contraste avec la plupart des autres chauffeurs. Il est assez imposant et semble engoncĂ© dans son siĂšge auto, il est chauve avec quelques rares cheveux gris et porte un masque noir. Ses lunettes lĂ©gĂšrement fumĂ©es nous empĂȘche de bien voir ses yeux qui ont lâair sombres. On est Ă©tonnĂ©e de ne pas voir, comme dâhabitude, le tĂ©lĂ©phone portable et lâapplication waze » en route. Lâhomme connait visiblement le chemin mais sâĂ©nerve vite dans les embouteillages inĂ©vitables dans ce quartier. Il engueule les autres conducteurs et nous dit que lui, il a eu son permis en deux jours. On sâĂ©tonne. Il nous raconte quâil est un ancien militaire et quâil a passĂ© son permis Ă lâarmĂ©e. Il nous fait la liste de tous les pays oĂč il a combattu. Et puis, il se met Ă rĂąler contre une conductrice qui porte un hidjab. Ses propos flirtent avec le racisme et le sexisme mais il sent quâil ne doit pas aller trop loin. On lui dit que comme tous les militaires, il a eu son permis dans une pochette surprise et comme il conduit mal, il engueule tous les autres conducteurs. On le dit sur le ton de la plaisanterie mais on le dit quand mĂȘme. Il est sciĂ© et puis il rit. CâĂ©tait quelque chose qui se disait que les militaires et ceux qui avaient passĂ© leur permis Ă lâĂ©tranger lâavait eu dans une pochette surprise ». Il le sait. Il finit par nous dire que lui, il est un des meilleurs chauffeurs uber » de la capitale et quâon a un sacrĂ© caractĂšre, que câest bien, une femme avec de la poigne ». Il essaie de reprendre la main. On sourit sans rien rĂ©pondre. Surtout pas. 8 avril 2021 Un homme dâune soixantaine dâannĂ©es dans un train. Il passe Ă plusieurs reprises dans le couloir et finit par sâasseoir dans un ensemble de places en carrĂ©. Il se met le long des fenĂȘtres, un autre homme Ă©tait dĂ©jĂ assis en face mais sur le siĂšge cĂŽtĂ© couloir. Il marmonne en sâasseyant et on comprend quâil dit quâil va se mettre lĂ parce que câest âune bonne placeâ. Pendant tout ce temps, il a son masque sous son nez. Le voyageur qui Ă©tait dĂ©jĂ assis lĂšve les yeux de son ordinateur, le regarde longuement et se replonge dans son travail. Le contrĂŽleur arrive. Le monsieur lui tend son billet que le contrĂŽleur ne prend pas tout de suite car il contrĂŽle lâautre passager. Lâhomme lui tend brutalement son billet et le contrĂŽleur lui dit je contrĂŽlerais votre billet quand vous mettrez votre masque correctement, monsieur ». Lâautre explose de colĂšre, le contrĂŽleur ne dit rien et attend. Lâhomme finit par mettre son masque sur le nez. Le contrĂŽleur part, lâhomme le remet sous son nez et vitupĂšre sans cesse dans un dĂ©lire de plus en plus effrayant. Lâautre voyageur lĂšve Ă plusieurs reprises les yeux de son ordinateur, exaspĂ©rĂ©, et finit par lui demander, trĂšs poliment, de mettre son masque et de se taire. On dirait que cet homme attendait cela pour dĂ©verser un torrent de rĂ©criminations et dâinepties. Une logorrhĂ©e paranoĂŻaque qui est autant irritante quâinquiĂ©tante. Un homme plus loin crie trĂšs fort ta gueule, maintenant, tu nous emmerdes». Et il se tait tout de suite. Comme sâil fallait cette violence verbale pour lui faire peur. Ou lâapaiser. Un homme perdu. Encore un. 7 avril 2021 Un homme dâune cinquantaine dâannĂ©es dans un avion. Nous nous sommes cĂŽte Ă cĂŽte donc trĂšs prĂšs. Nous portons des masques. Il est assez grand, assez fort et dĂ©borde un peu de son siĂšge. Chauve, on voit juste de lui des petits yeux bruns au dessus de son masque blanc. Pendant tout le temps de remplissage de lâavion, il ne bouge pas, ne lit pas, ne regarde pas son tĂ©lĂ©phone. On se dit quâil est peut-ĂȘtre tĂ©tanisĂ© par la peur dâune trop grande proximitĂ©. De temps en temps, il regarde la place qui est restĂ©e libre prĂšs du hublot. Quand les portes de lâavion se ferme, la place est toujours libre mais il ne la prend pas alors que cela nous permettrait dâĂȘtre Ă distance. On attend un peu et puis on lui fait signe en lui montrant la place et en lui disant que, peut-ĂȘtre, il pourrait la prendre. Il ne semble pas comprendre et puis, dâun coup, il se dĂ©place en nous disant vous avez raison, vous aurez plus de place » comme si câĂ©tait la question. On le remercie. Quelques minutes plus tard, les hĂŽtesses font bouger tous les passagers quand câest possible pour que les uns et les autres soient Ă distance. Il regarde ces mouvements, et, tout Ă coup, il semble comprendre, il touche son masque et se met Ă se laver frĂ©nĂ©tiquement les mains au gel hydroalcoolique sorti de son sac. Comme si, pris par le vol, lâavion, il avait oubliĂ© la pandĂ©mie, les gestes barriĂšre », le masque et quâil venait de sâen rappeler. Il se tourne vers nous et se tape la tempe avec deux doigts en secouant la tĂȘte. On lui sourit largement espĂ©rant quâil pourra saisir notre expression. Il regarde par le hublot, on se plonge dans notre livre. 6 avril 2021 On est dans un taxi, ou plutĂŽt , un uber ». La course va ĂȘtre longue, on va Ă lâaĂ©roport le plus Ă©loignĂ© de la grande ville. Le chauffeur nâest pas jeune, il a au moins une cinquantaine dâannĂ©es, quand il est sorti pour mettre notre valise dans le coffre, on a remarquĂ© quâil Ă©tait petit et lourd, pas gros mais Ă©pais. Il dĂ©cide de prendre un itinĂ©raire qui nous surprend et dont on sait quâil risque dâĂȘtre embouteillĂ©, il nous explique quâil est le roi des itinĂ©raires, quâil y a des manifestations et quâil sait ce quâil fait. Il le fait poliment mais avec condescendance, on pense dâabord quâil croit quâon ne connait pas Paris et puis on comprend que câest parce quâon est une femme. Evidemment, on se retrouve dans des bouchons et il commence Ă sâĂ©nerver contre une voiture qui roule assez lentement et finit par dire ça, câest ou un arabe ou un noir ». On lui demande pourquoi il tient ses propos racistes, il est surpris par notre rĂ©action sĂ©rieuse, et bredouille que câest vrai quoi, soit câest eux et soit câest une femme ». On lui rĂ©pond que câest de mieux en mieux et on le prie de se taire. Un quart dâheure aprĂšs, il recommence dans les mĂȘmes termes, juste en riant un peu, et en disant je plaisante ». On lui redit quâon ne plaisante pas, que ses propos sont insupportables et on lui fait comprendre quâon va les signaler Ă la plate-forme sâil continue. Il est stupĂ©fait. MĂȘme pas en colĂšre, stupĂ©fait. Il ne comprend pas notre fermetĂ©. Tout le long du parcours, il essaiera de nouer une complicitĂ© avec nous. On est polie mais on refuse tout rire, toute connivence. On quitte la voiture soulagĂ©e. AttristĂ©e, aussi. 5 avril 2021 Deux jeunes femmes, plutĂŽt deux jeunes filles, sur un toit. On est sur une terrasse et tout Ă coup on voit apparaĂźtre sur le toit de la maison dâen face un peu en contrebas, deux jeunes femmes qui sâinstallent sur le faĂźte du toit tranquillement. Lâun des deux tient un tĂ©lĂ©phone portable devant elles et visiblement, elles font un appel FaceTime avec quelquâun. Celle qui tient le tĂ©lĂ©phone est plutĂŽt petite, elle semble ronde, elle porte des baskets blanches, des collants noirs, une robe bleu clair avec des bretelles comme une salopette et un tee-shirt noir. Elle est brune et ses cheveux sont attachĂ©s. Lâautre a lâair plutĂŽt grande, blonde avec des cheveux qui sont cachĂ©s par un chapeau. Elle a un pantalon noir, des baskets blanches et un tee-shirt blanc. Elle est comme posĂ©e sur le faĂźte du toit, les jambes entiĂšrement Ă©tendues le long des tuiles et les deux bras sur les deux genoux. Elle fait penser Ă une figure de Watteau, une figure de jeune homme placide qui regarde devant lui sans ciller. Pendant toute la conversation, qui dure bien depuis maintenant vingt minutes, elle nâa pas bougĂ© et elle a montrĂ© aucune expression, seule sa copine parle. A un moment donnĂ©, celle qui tient le tĂ©lĂ©phone Ă©clate de rire bruyamment et longuement, lâautre ne regarde pas le tĂ©lĂ©phone mais regarde sa compagne comme si elle Ă©tait Ă©tonnĂ©e. Et puis ça continue, elle a fait juste ce mouvement de tĂȘte. Comme un numĂ©ro de duettistes dont on ne sait sâil est rĂ©current. Un clown blanc et un Auguste. 31 mars 2021 Une dame dâune soixantaine dâannĂ©e est assise sur le rebord dâune fontaine au centre dâune place. Câest une belle place du quartier chic sur la presquâĂźle dâune grande ville. Les bĂątiments autour sont beaux, la fontaine ancienne coule. Quand on est assis, on nâentend presque pas le bruit de la ville, seulement le bruit de lâeau. Elle a devant elle un panier Ă courses Ă roulettes gris, elle porte une longue doudoune rouge, un pantalon noir et des baskets noires Ă©largies et affaissĂ©es. Elle a un visage rond et rouge, comme gonflĂ©, ce qui est accentuĂ© par ses cheveux trĂšs courts, gris. Quand on la voit on pense Ă quelquâun de malade. On pense Ă lâalcool aussi. Ses yeux sont comme enfoncĂ©s dans la chair. Ce qui est Ă©tonnant est quâelle a des sourcils trĂšs Ă©pilĂ©s, dessinĂ©s, qui partent de chaque cĂŽtĂ© en une ligne fine qui descend sur les tempes. Comme une coquetterie qui serait restĂ©e. Elle semble assise trĂšs lourdement et on voit que ses jambes sont enflĂ©es. On a le sentiment quâelle ne peut plus se relever. Quand on repasse une bonne heure plus tard, elle est toujours lĂ et elle nous fait coucou de la main. On ne sait si elle attend quelquâun, si elle se repose, ou si elle passe ses journĂ©es lĂ , au soleil, Ă Ă©couter lâeau. Ou si elle nâa nulle part oĂč aller. 30 mars 2021 Une jeune femme Ă lâaccueil dâun hĂŽtel au centre dâune grande ville. Elle est assise derriĂšre son comptoir en bois, sĂ©parĂ©e des clients par une grande vitre. On ne lâa jamais vue debout mais on pense quâelle est petite et assez fluette. Elle a un visage tout Ă fait rond avec des yeux bridĂ©s trĂšs noirs, un petit nez certainement et des cheveux noirs, raides ramenĂ©s en queue de cheval. Son visage est toujours cachĂ© par un masque bleu mĂȘme derriĂšre la grande vitre. Elle porte un T-shirt blanc et une veste verte en laine assez Ă©paisse. Quand on revient le soir, elle a mis une Ă©charpe colorĂ©e autour du cou. Elle ne parle pas tout Ă fait bien le français et quand on lui pose une question qui sort des questions habituelles, elle nous fait rĂ©pĂ©ter deux fois et va chercher son tĂ©lĂ©phone pour nous montrer la rĂ©ponse plutĂŽt que de la dire. Elle est seule Ă lâaccueil de cet hĂŽtel. On sâĂ©tonne car on nâaura vu quâelle, lâaprĂšs-midi, le soir et le lendemain. On se demande si elle a dormi lĂ et quand on part le lendemain matin, on se rend compte quâelle a lâair fatiguĂ© et quâelle a Ă cĂŽtĂ© dâelle un grand mug de cafĂ©. On se dit quâen fait, elle travaille seule dans cet hĂŽtel semi dĂ©sertĂ© et quâelle fait tout 24 heures sur 24. Peut-ĂȘtre quâelle nâa mĂȘme pas de chez elle et que, comme dans les tous petits hĂŽtels, elle vit sur place. Câest Ă©trange dans ce boutique-hĂŽtel qui nâest pas un palace mais qui est plutĂŽt chic. Dans cette ambiance bobo, on lâimagine la nuit dormant sur le canapĂ© aux coussins gris avec une couverture ou un sac de couchage comme ceux qui dorment dehors, juste de lâautre cĂŽtĂ© de la vitrine. 22 mars 2021 Il faut partir une semaine. Ce serait comme une respiration, un ailleurs regardĂ© ou plutĂŽt revu. Retourner sur ses pas comme pour les compter. Essayer de le faire bien. Et puis revenir et reprendre. 19 mars 2021 Une femme qui tient une brocante dans une rue passante dâun petit village. Elle semble avoir autour de soixante-dix ans. De taille moyenne, on lâa connue ronde, elle est aujourdâhui assez mince. Elle porte des baskets de tissus blanc, un jean, un tee-shirt en lin blanc et un gilet ample en coton gris. Elle est dĂ©contractĂ©e mais trĂšs Ă©lĂ©gante. Ses cheveux sont gris avec des restes de blondeur et sont coiffĂ©s en un chignon simple. Elle a un trĂšs beau visage ovale avec des pommettes hautes, un nez fin et droit, des yeux bleus et une bouche fine. Elle nâest pas du tout maquillĂ©e et portent quelques bijoux qui mĂ©langent savamment des beaux bijoux anciens et des jolis babioles. Son visage sâĂ©claire dĂšs que quelquâun entre dans sa boutique. Elle est trĂšs avenante, toujours rieuse et attentionnĂ©e. Pourtant, on sent en permanence une tension dans son regard. Alors quâelle plaisante avec des connaissances Ă lâentrĂ©e de son magasin, elle guette ce qui se passe Ă lâintĂ©rieur de la boutique. Ses amis ne vont rien acheter, elle le sait, alors elle Ă©courte la conversation mais quand on Ă©voque la chute des affaires et le peu de clients, elle se remet Ă parler avec passion et oublie les clients qui ressortent. Elle fait comme un geste de la main pour les retenir et puis elle poursuit sa conversation. Cette femme qui a passĂ© des annĂ©es dans cette boutique, aime particuliĂšrement parler, prĂ©senter, expliquer, vendre. On sent que la solitude dans ce magasin lui pĂšse, comme si elle Ă©tait coupĂ©e dâune part dâelle-mĂȘme. La situation sâinverse, ses amis ont envie dâaller poursuivre leur marchĂ©, et câest elle qui les retient. Quand ils sâen vont, elles les regardent partir. Quand ils repassent, ils lâaperçoivent assise devant son petit bureau, elle attend. 18 mars 2021 Une femme dâune trentaine dâannĂ©es ou un peu plus, il y a quarante ans. Dans la cour dâune grande maison, il y avait de nombreuses personnes qui parlaient entre elles, certaines avec un micro. CâĂ©tait Ă la fois un lieu de dĂ©bats et un lieu de rencontres autour dâĆuvres dâart dont certaines Ă©taient montrĂ©es un peu plus loin ou dans la ville plus bas. La femme est arrivĂ©e et a marchĂ© lentement Ă la pĂ©riphĂ©rie du cercle de lumiĂšre oĂč elle est entrĂ©e dâun coup. Elle semblait grande, avec des formes fĂ©minines trĂšs soulignĂ©es. Elle Ă©tait perchĂ©e sur des hauts talons aiguilles noirs, les jambes Ă©taient nues, puis elle portait une robe noire qui lui descendait en plis aux genoux et qui Ă©tait cintrĂ©e par une large ceinture en cuir noir, ce qui mettait sa taille et sa poitrine en valeur. Le haut de la robe Ă©tait Ă manches courtes avec un col lĂ©gĂšrement Ă©vasĂ© sur les Ă©paules. Le cou Ă©tait fort, trĂšs droit et la tĂȘte dĂ©gageait un sentiment de puissance. Ses cheveux noirs Ă©taient coupĂ©s trĂšs courts, on nâavait jamais vu de femme coiffĂ©e comme cela Ă cette Ă©poque-lĂ . Le visage Ă©tait ovale avec des grands yeux noirs en amande presque globuleux, un nez fort un peu aquilin et une large bouche aux lĂšvres Ă©paisses. Elle Ă©tait trĂšs maquillĂ©e, avec un fond de teint clair, un rouge Ă lĂšvres rouge et des yeux soulignĂ©s avec un eye-liner noir. Au milieu des autres femmes qui Ă©taient pour la plupart sans maquillage, habillĂ©es de vĂȘtements amples, de jean, de sabots, marquĂ©es par les derniers temps des baba-cool », elle dĂ©notait complĂštement et il y avait un moment de stupeur quand elle approchait. Ce sentiment de quelque chose de fictionnel voire dâun moment cinĂ©matographique, Ă©tait accentuĂ© par le chien, immense, quâelle tenait en laisse. Un dogue allemand gris et son collier Ă©trangleur. On sâest dit une femme forte, puis une femme qui veut ĂȘtre forte. Comme la mise en scĂšne dâune apparition. Et quand elle a voulu disparaĂźtre, câĂ©tait presque comme si elle nâavait jamais Ă©tĂ© lĂ . Un sentiment dâinjustice. 17 mars 2021 Une femme dâune cinquantaine dâannĂ©es derriĂšre un comptoir. Son Ă©tal de volailles semble tout petit mais il communique avec la grande boucherie qui est Ă cĂŽtĂ© et on comprend que câest la mĂȘme maison. Elle semble de taille et de corpulence moyennes. On voit quâelle porte un gros pull rouille Ă col roulĂ© et un tablier bleu, et que par dessus, elle a un gilet Ă©pais, beige, ouvert, Ă grosses mailles et gros boutons de bois. Elle a une Ă©charpe blanche et noire autour du cou, un masque, des yeux noirs assez maquillĂ©s, des cheveux auburn avec une grande frange et une queue de cheval plutĂŽt basse. On voit quâelle a enlevĂ© la chapka gris-vert quâelle a souvent sur la tĂȘte et qui est posĂ©e Ă cĂŽtĂ© de la balance. On se dit que le matin, il doit faire trĂšs froid et quâelle se dĂ©couvre petit Ă petit mĂȘme si, dans ce marchĂ© couvert sans soleil, il ne fait jamais chaud sauf pendant le plein Ă©tĂ©. Elle vous sert et prĂ©pare ses volailles avec beaucoup dâattention et de mĂ©tier. A un moment donnĂ©, elle entend les deux jeunes bouchers discuter de quel morceau de viande choisir pour une commande. Elle quitte un instant son Ă©tal pour entrer cĂŽtĂ© boucherie et leur dit tout bas une phrase. Lâun se remet Ă servir, lâautre va dans la chambre froide. En lâabsence du patron, câest elle qui commande. Câest sa fille. 16 mars 2021 Un homme ĂągĂ© qui marche dans son grand potager. Il nâest pas trĂšs grand, assez gros, lourd. Câest lâĂ©tĂ©. Il est habillĂ© dâun marcel blanc, dâune salopette de travail bleue et de chaussures de jardin en caoutchouc vertes. A la taille, il a une drĂŽle ceinture en tissu et Ă©lastique qui a lâair bricolĂ©e, sur laquelle sont attachĂ©s des bouts de tuyaux en plastique, comme des fragments de canalisations dâeau sciĂ©es et tenues Ă la ceinture par des bouts de ficelles. Dans chacun de ses tronçons de tuyaux sont enfilĂ©s des outils de jardin, une serpette, une binette, un sĂ©cateur, ⊠Il a tous ses outils autour de lui Ă portĂ©e de main. On pense que câest Ă la fois malin et trĂšs incongru. Tous les outils sont peints en rouge. Il nous avait expliquĂ© que câĂ©tait pour les voir mieux dans le jardin sâils tombaient. Il avait les cheveux gris coiffĂ©s en arriĂšre, un visage plutĂŽt long mais Ă©paissi, avec des grand yeux en amande brun vert, des lunettes en Ă©caille plutĂŽt rectangulaires et massives, un nez fort et une bouche assez large et une petite cicatrice sur le menton. Il sue Ă grosses gouttes en travaillant dans le jardin et il sort rĂ©guliĂšrement un mouchoir en tissu de sa poche pour sâessuyer. Souvent, il porte une casquette en toile beige. Il boite et on avait pu apercevoir parfois sur la mĂȘme jambe le trou fait par une balle et la longue cicatrice aprĂšs un accident qui lui avait dĂ©finitivement abĂźmĂ© le genou. Cette boiterie qui ne lui demande pas encore de canne, semble faire partie de lui et donne quelque chose de fragile Ă celui quâon devinait comme quelquâun dâune grande force. Comme le coin dâune blessure secrĂšte et ancienne fichĂ©e dans le corps. 15 mars 2021 Un homme qui doit avoir une cinquantaine dâannĂ©es. Il est difficile de savoir exactement quel est son Ăąge car ses cheveux bruns sans cheveux blancs lui donnent un air plus jeune. Il est plutĂŽt petit, mince avec une tĂȘte trĂšs ronde. Il a un teint mat et des yeux noirs, perçants, un nez fin et droit. On remarque quâil a gardĂ© un petite canine de lait qui vient se superposer Ă sa dentition. Il est habillĂ© dâun jean, de chaussettes vert pomme, de chaussures comme des mocassins trĂšs souples en cuir fauve qui laissent apparaĂźtre ses chaussettes, et en haut il a une chemise Ă petits carreaux et un gilet bleu foncĂ©. Une certaine Ă©lĂ©gance avec une touche dâexcentricitĂ©. Il est anglais. Il est direct et sympathique faisant souvent des plaisanteries caustiques trĂšs drĂŽles. Il est Ă lâaise partout. On le surprend Ă plusieurs reprises Ă jeter un regard trĂšs aigu sur les personnes prĂ©sentes comme sâil voulait comprendre ce qui se passe entre elles. Il le fait sans inquiĂ©tude mais on a la sensation quâil veut entendre tout ce qui se dit et, sans ĂȘtre au centre des conversations, avoir une forme de maĂźtrise de ce qui se passe entre les gens. Peut-ĂȘtre a-t-il pris cette habitude quand il est arrivĂ© en France et quâil a dĂ» se concentrer pour comprendre les conversations. Pourtant on se dit que cela correspond bien Ă son regard, Ă cette forme de contradiction que lâon sent entre son sourire, sa drĂŽlerie so british », sa faconde et une forme de duretĂ© dans les yeux. Son regard est comme en retrait. Comme lui certainement mĂȘme sâil ne nous le montre pas. Cela nous fait penser Ă certains enfants qui ne jouent pas avec les autres et observent. Quelque chose dâancien qui affleure. 12 mars 2021 Une femme dâune cinquantaine dâannĂ©es entre dans une boucherie. Elle est de taille moyenne, mince et porte un long manteau noir trĂšs simple avec un col montant mao » qui semble bien coupĂ© et Ă©lĂ©gant. On aperçoit des petites bottines noires plates et un pantalon gris un peu court. Elle porte un masque gris, des lunettes entiĂšrement transparentes, rondes, sans monture et ses cheveux blancs sont coupĂ©s trĂšs courts. Quand elle arrive, sans mĂȘme quâelle ait dit un mot, la bouchĂšre qui tient la caisse, demande Ă son mari si la commande de Madame ElĂ©onore » est prĂȘte. La femme dit dâabord bonjour madame » Ă la bouchĂšre, puis bonjour messieurs » aux deux bouchers, le pĂšre et le fils, puis nous dit bonjour madame ». Elle lâa fait chaque fois avec un petit hochement de tĂȘte dans nos directions dâune voix douce et posĂ©e. Le boucher lui explique quâil nâa pas exactement ce quâelle lui a demandĂ© et lui propose dâautres morceaux. Elle se dĂ©place alors lentement et lui demande de voir les morceaux proposĂ©s. Elle les regarde et commence avec le boucher une longue discussion trĂšs technique sur les qualitĂ©s des diffĂ©rents morceaux par rapport au mode de cuisson quâelle veut faire. Ils tombent dâaccord et le boucher se met Ă prĂ©parer la viande. Câest un trĂšs bon technicien qui travaille toujours les viandes que vous achetez, mais lĂ , on voit quâil fait particuliĂšrement attention. Elle attend, paie, remercie et dit au revoir Ă chacun. La bouchĂšre quand elle est partie se tourne vers son mari et dit quelle classe ». Il lui rĂ©pond en se tournant vers nous cette dame connait vraiment trĂšs bien la viande ! ». Il a lâair heureux de lâavoir servie et revient sur terre avec notre demande qui doit lui paraĂźtre bien simple. 11 mars 2021 Une dame trĂšs ĂągĂ©e assise dans une salle dâattente dâun grand hĂŽpital. Elle est assise trĂšs droite sur sa chaise et elle tient entre ses deux genoux et avec ses deux mains, sa canne anglaise. Comme elle est toute petite, ses pieds touchent Ă peine par terre. Elle porte des chaussures noires qui ont la forme de charentaises mais plus fines et en velours. Elle est vĂȘtue dâune trĂšs longue jupe noire avec des motifs de petites fleurs blanches et par-dessus un gilet de laine blanc avec des motifs gĂ©omĂ©triques bordeaux. Elle est coiffĂ©e dâun foulard de couleur bleu clair qui lui entoure la tĂȘte et dont les deux pans se croisent sur sa poitrine et sont coincĂ©s dans sa jupe qui monte haut. Son visage est entiĂšrement mangĂ© par son masque bleu et des lunettes simples en Ă©caille. Le front est cachĂ© par un foulard noir trĂšs serrĂ©, comme si elle portait un hidjab noir sous son foulard bleu. On voit que son Ćil droit est presque fermĂ© et certainement elle ne voit plus avec. Pendant toute lâattente, elle ne bouge pas, elle ne regarde jamais lâhomme qui lâaccompagne, son mari ou son grand fils. Elle sâest assise tout de suite sur la premiĂšre chaise, seule, loin de cet homme et elle fixe la porte du mĂ©decin. RĂ©guliĂšrement, elle serre la canne anglaise avec ses mains. Elle a peur. Quand le mĂ©decin vient et appelle quelquâun dâautre, on voit quâelle est comme soulagĂ©e. Quand câest son tour, elle avance doucement, tĂȘte baissĂ©e et dâun geste vif refuse lâaide de lâhomme qui la suit. Comme si elle avait besoin dây aller seule pour se donner du courage. 10 mars 2021 Une salle dâattente dans un hĂŽpital. Lâambiance est calme pour ces simples consultations non urgentes. Un homme et une femme arrivent. On remarque leur diffĂ©rence dâĂąge et on pense tout de suite Ă une mĂšre et son fils dĂ©jĂ ĂągĂ© dâune quarantaine dâannĂ©es. Ils sont tous les deux obĂšses et tombent littĂ©ralement sur leur chaise en soufflant. Il a entre les mains un document Ă remplir pour le secrĂ©tariat mĂ©dical, elle essaie de le lui arracher des mains en disant mais donne ! ». Il dĂ©tourne le document pour lâempĂȘcher de lâatteindre et continue de le lire. Elle crie presque Christophe ! ». Il sourit, nous sourit et lui dit je remplis ce papier ». Il a lâair dâĂȘtre habituĂ© Ă ce comportement de sa mĂšre qui fait comme sâil Ă©tait un adolescent immature. Elle enlĂšve son masque pour fouiller son sac et lui baisse le sien pour emplir le dossier. On leur fait remarquer quâil faut quâils mettent leur masque, lui le fait mais elle explique quâelle ne doit plus le faire parce quâelle est vaccinĂ©e ce qui provoque une discussion avec les autres patients prĂ©sents qui lui disent tous quâil faut quâelle mette un masque quand mĂȘme. Le fils semble trĂšs heureux de pouvoir se liguer avec tous, ou quasiment, contre sa mĂšre. Il en rajoute. Etonnement, elle a lâair de se complaire dans cette situation et on sent quâen fait cela les rend complices. Quand le mĂ©decin arrive et dit son prĂ©nom et son nom Ă lui, elle se lĂšve prĂ©cipitamment et difficilement et dit on est là ». Tout est dit. 9 mars 2021 Un vaste hall dâexposition qui sert pour les foires et qui est entiĂšrement vide mais dont le bĂątiment administratif et de rĂ©ception est transformĂ© en espace de vaccination. Une dame dâune cinquantaine dâannĂ©es est assise sur une chaise en plastique comme beaucoup dâautres avec une distance de deux mĂštres entre chaque chaise. Câest la salle de repos. Tous vaccinĂ©s attendent une demi-heure lĂ pour sâassurer que tout va bien. Elle porte des baskets en cuir blanc, un legging bleu, un grand pull gris clair avec un large col et elle a posĂ© sur ses genoux une petite doudoune bleu clair. Elle semble plutĂŽt ronde, elle est masquĂ©e et a un vĂ©ritable casque de cheveux roux avec un carrĂ© long et une frange. Elle est sans cesse en train de regarder les personnes qui arrivent et reconnaĂźt un homme de son Ăąge quâelle appelle et qui trouve une chaise prĂšs dâelle. Ils se mettent Ă parler, puis elle interpelle encore un autre homme, puis une femme et ils finissent tous par se regrouper chacun sur leur chaise. Câest drĂŽle parce quâils plaisantent, sâinterpellent, rient, exactement comme sâil Ă©taient au cafĂ©, en faisant beaucoup de bruit, en parlant fort, heureux de se retrouver lĂ ensemble. On sent aussi dans cette gaietĂ©, un soulagement. Lâun dâentre eux Ă un moment donnĂ© finit par lĂącher et bien si on mâavait dit que je serais si heureux dâavoir un piqĂ»re⊠» et la femme Ă cĂŽtĂ© de lui, se tourne vers les autres câest quâil a la phobie des piqĂ»res depuis quâil est petit ! ». Les autres recommencent Ă plaisanter, se moquent de lui mais une Ă©motion palpable les a traversĂ©s. Comme un dĂ©but de la fin de la peur. 8 mars 2021 Une place de marchĂ© dans une grande ville. Le bar-restaurant est fermĂ©, bien entendu, mais il fait traiteur et des cafĂ©s. De nombreuses personnes viennent prendre un plat, surtout des habituĂ©s, dâautres juste un cafĂ© et il leur est demandĂ© de ne pas sâattrouper pour le boire. On sâĂ©loigne et on sâadosse Ă des barriĂšres mĂ©talliques qui empĂȘchent de sâasseoir sur le banc et de se servir des jardiniĂšres des grands arbres comme tables hautes. Pourtant, on voit le long du pot, une pissaladiĂšre et un paquet avec des beignets. Pendant quâon boit notre cafĂ©, un homme dâune quarantaine dâannĂ©es arrive et nous dit sur le ton de la plaisanterie alors, on mange mon dĂ©jeuner ? ». On comprend quâil parle de la pissaladiĂšre et des beignets et on fait le geste de se pousser mais il nous dit de ne pas bouger quâil repassera les prendre. Il est hĂ©lĂ© par une jeune femme brune et va vers elle en plaisantant dĂ©jĂ . On le voit allant des uns aux autres, galĂ©jant », riant, interpellant, discutant. Il est habillĂ© en jean, il a des Converse » aux pieds et a un tĂȘte toute ronde surmontĂ©e de cheveux frisĂ©s gris. Il porte le masque sur le menton comme beaucoup qui boivent, fument et mangent mĂȘme si lui parle seulement. Il revient et nous rĂ©-aborde. Il voit bien que lâon remet notre masque Ă son approche. On pense que cela lâamuse et quâil va nous faire bouh » comme on fait peur Ă un enfant. Il nous agace mais on se dit que pour lui, ne plus pouvoir prendre un cafĂ© avec ses amis, ses connaissances, au bar cela doit ĂȘtre terrible. Câest lĂ quâest son espace de vie et de ses rencontres quotidiennes et il lui est enlevĂ©. Alors il papillonne bravement. 5 mars 2021 Sur le bord dâune route assez passante, un magasin et sa production artisanale de cĂ©ramiques et de carrelages. On sâarrĂȘte et on va voir. Le magasin semble complĂštement vide. On croise deux clients et puis enfin, un homme dâune quarantaine dâannĂ©es qui visiblement travaille-lĂ et parle avec un client. On est seuls au centre de lâespace, au milieu de centaines de terres-cuites et carrelages de grande qualitĂ© quand un vieux monsieur sâavance vers nous. Au dĂ©part, on ne sait pas sâil travaille-lĂ , notamment parce quâil semble trĂšs ĂągĂ© et quâil hĂ©site Ă nous aborder. Il est de taille moyenne, mince et lĂ©gĂšrement voĂ»tĂ©, il marche trĂšs lentement et Ă petits pas en traĂźnant un peu des pieds. Il porte des chaussures ou des chaussons en tissu molletonnĂ© mais qui ont la forme dâune espadrille, puis un jean et un pull un peu large qui semble en coton, bleu clair, une veste en tissu avec un petit col qui fait penser aux vestes dâouvrier. Il est masquĂ© et on distingue juste ses yeux bruns et ses cheveux blancs assez longs. Il finit par nous demander ce quâon veut et quand on lui explique nos hĂ©sitations, il tranche tout de suite et nous dĂ©signe ce quâil faut quâon prenne. A la maniĂšre dont il nous parle, on devine quâil nâest pas habituĂ© Ă ce rĂŽle lĂ , Ă sâoccuper des clients, Ă les aider Ă choisir, Ă leur donner des explications, Ă les Ă©couter patiemment. On le regarde sâĂ©loigner et, Ă la maniĂšre dont il regarde et dont il touche les carreaux, on se dit quâen fait ce doit ĂȘtre le patron historique de cette fabrique ancienne de cĂ©ramiques. Peut-ĂȘtre, ne travaille-t-il plus vraiment mais il vient lĂ sentir lâodeur de la terre, traĂźner dans les ateliers, regarder ce qui sort des fours, et mĂȘme, mettre la main Ă la pĂąte. LĂ , tous les jours depuis toujours. 4 mars 2021 Un petit village dans le sud de la France. Il est trĂšs prĂ©servĂ© avec son chĂąteau, son Ă©glise, ses passages couverts, ses portes anciennes, son jardin Ă la française et sa riviĂšre dont le bruit est prĂ©sent partout. PrĂšs de cette riviĂšre, en contrebas du chĂąteau, quelques maisons et un jardin clos. Ce nâest quâen hauteur quâon peut voir ce quâil y a lâintĂ©rieur de ce petit espace ceint de murs et dâun haut et large portail en bois plein et vert. On peut voir Ă lâintĂ©rieur un petit appentis ouvert, recouvert de tuiles et un peu de guingois, une Ă©chelle rose, un fauteuil de jardin vert pomme, recouvert de coussins orange, un bout de fausse pelouse, des multiples pots suspendus par des filets en macramĂ©, des cuvettes roses et violettes, une petite table jaune, un fauteuil en osier peint en orange, un tabouret haut rose, un autre Ă©chelle mauve et sur chaque barreau sont accrochĂ©s plusieurs pots de toutes les couleurs. Il nây a pas une seule vraie plante. On en oublie certainement car ce quâon dĂ©couvre ensuite ce sont deux mannequins ou grande poupĂ©es qui semblent dâune taille adulte. Lâune, fĂ©minine, est assise Ă une table, elle est toute ronde avec un chapeau blanc, une robe Ă smocks rose et lui est debout accrochĂ© Ă la clĂŽture, en frac et avec un haut de forme. Au milieu de ce village de pierre dorĂ©e et de fontaines moussues, cette mise en scĂšne grotesque est grinçante. Comme une bordĂ©e dâinjures dans un dĂźner chic. Pourtant, cette fausse enfance caricaturĂ©e ne fait pas sourire et nous laisse avec le sentiment dâun malaise diffus. 3 mars 2021 Une grande jardinerie Ă la pĂ©riphĂ©rie dâune grande ville. Au-delĂ des serres, il y a un vaste espace extĂ©rieur avec des allĂ©es dâarbres, de grandes plantes, de rosiers, de tout ce qui ne craint pas le froid trĂšs relatif de ce bord de mer. Une dame dâune soixantaine dâannĂ©es marche lentement, regardant certaines plantes mais on ne comprend pas bien ce quâelle cherche car elle passe dâune allĂ©e Ă lâautre, dâune plante Ă un arbre fruitier, puis aux oliviers, et elle revient vers les lauriers oĂč vous ĂȘtes depuis un moment. Elle vous dit combien câest difficile pour elle de choisir quelque chose. Que la semaine prĂ©cĂ©dente, elle a achetĂ© un abricotier mais quâelle sait bien quâil faudra des annĂ©es pour avoir des fruits, quâelle ne se fait pas dâillusion, alors elle est revenue, voir ce quâelle pourrait prendre dâautre. On remarque quâelle est entiĂšrement habillĂ©e en blanc, baskets en cuir, pantalon en jersey, doudoune sont immaculĂ©s. Câest surprenant car avec la terre quâil y a partout et notamment sur les pots, câest un lieu oĂč lâon se salit facilement. Elle nâa aucune tĂąche et porte juste un minuscule petit pot en plastique avec dedans une pensĂ©e blanche. Elle sâĂ©loigne dans les allĂ©es portant prĂ©cautionneusement son petit pot comme un objet prĂ©cieux. Cette forme blanche qui se dĂ©place doucement de maniĂšre un peu hasardeuse dans la jardinerie Ă©voque une forme errante, flottante. Une hallucination, qui nous fait la chercher pour bien vĂ©rifier que cette rencontre a eu lieu. 2 mars 2021 Un petit village dans un arriĂšre pays du sud de la France. Le village est construit autour de la route principale qui est bordĂ©e par des maisons dâun Ă©tage. La plupart sont anciennes avec une large porte cochĂšre fermĂ©e par une imposante porte Ă double battant en bois. Devant lâune de ces portes, ouverte, un homme trĂšs ĂągĂ©. On peut voir Ă lâintĂ©rieur un vaste atelier avec des tables, un petit tracteur, des outils, des dames-jeannes, et devant, mordant sur le trottoir assez large Ă cet endroit, un Ă©tabli. Dessus un enchevĂȘtrement de planches de bois et dâoutils. Le vieux monsieur bouge lentement autour de lâĂ©tabli, touche parfois un objet sans que lâon puisse comprendre ce quâil fait. Il est habillĂ© dâun pantalon vert de travail qui tient avec des bretelles sur un tee-shirt Ă manches longues gris, un peu large. Aux pieds, il porte des souliers de jardin en plastique noir. Il est un peu voĂ»tĂ©, on ne distingue pas bien son visage qui nâest pas masquĂ© et il a des cheveux blancs, courts sous une casquette en laine grise. On a le sentiment, quâil ne fait pas vraiment quelque chose mais quâil bricole doucement ou quâil range. On se dit quâil a gardĂ© cette habitude de bricoler lĂ , au milieu de la rue oĂč tous devaient travailler, vaquer, vendre, sâassoir pour se reposer ou parler. Ces moments oĂč la rue Ă©tait lâespace de vie. Dans le va-et-vient des voitures et des passants masquĂ©s, il semble ne pas sâapercevoir quâil est seul. Il poursuit son travail, et mĂȘme sâil est trop ĂągĂ© pour rĂ©ellement faire, peu importe. Il est lĂ . 1 mars 2021 Une femme sur la place du marchĂ© du vieux quartier dâune grande ville du bord de mer. On ne sait quel Ăąge lui donner en la voyant marcher de loin, elle paraĂźt grande et trĂšs mince. Elle a des cheveux noirs, longs, coiffĂ©s savamment en arriĂšre. Son visage est triangulaire avec un menton pointu, un petit nez droit. Ses yeux sont invisibles derriĂšre des grandes lunettes de soleil et sa bouche est cachĂ©e par son masque. Elle est habillĂ©e dâune petite veste noire avec un unique bouton dorĂ© pour la fermer. Dessous, elle porte un haut blanc qui semble trĂšs simple. Puis, un jean usagĂ© certainement volontairement blanchi, trĂšs serrĂ©, et elle est chaussĂ©e de bottines noires pointues qui arrivent juste au-dessus de la cheville et qui sont trĂšs hautes avec des talons noirs trĂšs, trĂšs, fins. Elle nâest pas grande mais de loin, avec ses talons, elle le paraissait. Elle doit avoir autour de quarante ans, peut-ĂȘtre un peu moins, peut-ĂȘtre un peu plus, mais le masque rend difficile de le savoir et sa silhouette est juvĂ©nile. On lâa remarquĂ©e Ă sa dĂ©marche. Elle marche comme si elle Ă©tait sur une ligne droite sans bouger les hanches, exactement comme un mannequin. Câest Ă©trange au milieu des gens qui vont et qui viennent, des vĂ©los, des scooters, des cris, des enfants qui courent. OĂč quâelle soit, elle marche sur un Ă©ternel podium. Dans la maĂźtrise infinie de son rapport Ă lâespace et au sol, elle flotte avec application. 22 fĂ©vrier 2021 On dirait que ce serait les vacances. On ferait comme si. Presque comme un jeu. Comme on sâallonge au soleil et on ferme les yeux. 20 fĂ©vrier 2021 Une dame dâune soixantaine dâannĂ©es avec son chariot Ă provisions. Elle est petite et marche Ă tous petits pas. Elle est chaussĂ©e de courtes bottines vernies noires avec un petit talon carrĂ©, dâun pantalon noir Ă pattes dâĂ©lĂ©phant, dâun chemisier blanc rentrĂ© dans le pantalon, dâune large ceinture en cuir noir avec une grosse boucle, dâun gilet noir avec des boutons dorĂ©s et dâun manteau noir, assez court, restĂ© ouvert. Autour du cou, elle a un foulard blanc Ă motifs bruns et de multiples chaines en or ou dorĂ©es. Elle est masquĂ©e. Elle porte des lunettes de soleil rondes, assez grandes et on voit de lourdes boucles dâoreilles dorĂ©es qui tombent assez bas dans son cou et sur son foulard. Elle est menue et sa tĂȘte semble petite coiffĂ©e dâun vĂ©ritable casque de cheveux. Ils sont teints en blond platine et sont artificiellement bouclĂ©s mais pas frisĂ©s. Ils sont littĂ©ralement montĂ©s en Ă©paisseur de maniĂšre Ă former une large boule autour de sa tĂȘte qui tient visiblement grĂące Ă de la laque. Quand elle remue, ses cheveux ne bougent pas du tout et on voit quâen surface, ils semblent mĂȘme un peu Ă©crasĂ©s. On pense quâelle porte peut-ĂȘtre une perruque mais en la regardant mieux, il ne nous semble pas. On a le sentiment que cette masse de cheveux impeccablement bĂątie est trop lourde pour sa tĂȘte et son corps. On a le souvenir dâimages de magazine des annĂ©es soixante-dix avec ce type de coiffure comme un Ă©chafaudage Ă la fois pesant et fragile. On se dit que cette dame a gardĂ© sa coiffure dâalors, sans en bouger, comme une fidĂ©litĂ© Ă ces moments-lĂ . Une forme de libertĂ©, peut-ĂȘtre. 19 fĂ©vrier 2021 Une femme dâenviron soixante-dix ans, ou mĂȘme plus, dans une rue des beaux quartiers dâune grande ville du bord de mer. Elle nâest pas grande, mince et dâune rare Ă©lĂ©gance. Elle porte des chaussures Richelieu » plates, bordeaux, des collants opaques, prune, une jupe sous les genoux et assez Ă©troite dâun rouge sombre, une veste matelassĂ©e bordeaux, un foulard grenat et un bonnet prune dont dĂ©passent quelque cheveux blancs coupĂ©s courts. Elle est donc entiĂšrement habillĂ©e en une gamme de rouge dont aucun nâest un rouge vif mais qui vont du prune, le plus brun, au grenat. Les passants se retournent sur son passage. Dâabord on voit un peu dâamusement dans leurs yeux avec ce cĂŽtĂ© inĂ©vitablement petit chaperon rouge » et puis, trĂšs vite, de lâadmiration car câest extrĂȘmement bien fait pour que justement cela ne soit pas dâune uniformitĂ© clinquante. On pense que cette dame doit prendre beaucoup de soin Ă choisir les habits quâelle achĂšte, puis Ă composer ses tenues. On imagine les habits prĂ©parĂ©s sur un lit ou un valet de chambre pour quâelle puisse vĂ©rifier que les accords sont parfaits. Ni trop, ni pas assez. On imagine quâelle a la possibilitĂ© comme cela suivant le temps et lâhumeur de sâhabiller dans des gammes de bleu, de vert, mais on ne la voit pas en rose ou jaune. On se souvient de Peau dâĂąne » et ses robes couleur de beau temps, de lune et de soleil. On se dit que cette femme rĂȘve en sâhabillant. 18 fĂ©vrier 2021 Une vitrine dâun magasin du quartier chic dâune grande ville. On vend essentiellement des vĂȘtements dans cette petite boutique un peu dĂ©suĂšte mais il y a aussi quelques paires de chaussures pour femmes. Ce sont toutes des escarpins. Sur le cĂŽtĂ© de la porte, il y a une petite vitrine avec quelques Ă©tagĂšres et au milieu, un escarpin que lâon voit de profil. Le talon est trĂšs fin et trĂšs haut, la courbe du pied est tellement raide quâelle est presque verticale. Le bout de la chaussure est extrĂȘmement pointu. Le talon et le bout du pied sont en mĂ©tal dorĂ© couleur cuivre. Ce nâest pas juste le bout extrĂȘme qui est en mĂ©tal mais une bande de trois centimĂštres environ. Ensuite la chaussure est faite dâune alternance de rayures vert amande et beige de la mĂȘme largeur. Quand on les regarde, on pense que ces chaussures ne sont pas mettables ou plutĂŽt, mĂȘme si on peut les enfiler, on se demande comment on peut marcher avec. Pourtant on sait que des femmes les achĂštent et marchent avec. On ne sait pas pourquoi cela nous met toujours mal Ă lâaise dâimaginer la contrainte des pieds dedans, la douleur mĂȘme. Mais surtout ces chaussures-lĂ . On devine que câest Ă cause du bout pointu qui est fait de mĂ©tal. Câest une arme. Pour faire mal ou se dĂ©fendre mais le bout si pointu est comme une dague au bout des pieds. Des images de films avec des pointes acĂ©rĂ©es qui sortent de chaussures nous reviennent. On regarde avec beaucoup de tendresse nos gros souliers Ă bouts ronds qui ne peuvent quâheurter mollement les autres passants. 16 fĂ©vrier 2021 Deux dames qui montent doucement la petite route qui borde votre maison. Elles sont ĂągĂ©es et marchent lentement en parlant. Elles sont toutes les deux petites, lâune est voĂ»tĂ©e et lâautre pas. Elles sont toutes les deux habillĂ©es en noir mais lâune est en jupe et lâautre en pantalon. Elles portent toutes les deux des chaussures Ă lacets de type MĂ©phisto », des collants opaques noirs pour celle en jupe, une jupe Ă mi-mollet, pour celle en pantalon large , une doudoune noire et pour lâautre un manteau court de type caban » noir. Elles nâont pas de sac. Elles sont masquĂ©es, portent des lunettes qui nous semblent plutĂŽt fines et ont les cheveux courts, blancs avec une coupe trĂšs simple. Elles parlent et leur conversation est animĂ©e, gaie. Lâune dâentre elles tient en laisse un petit chien blanc. On ne sait de quelle race, peut-ĂȘtre un bichon maltais. Il a un petit foulard colorĂ© autour du cou et monte avec difficultĂ© la pente raide. On pense que câest un vieux chien Ă son allure et Ă la texture du poil. Au milieu, de la montĂ©e, les deux dames sâarrĂȘtent. Celle qui avait le chien en laisse, le prend dans les bras, le dĂ©tache et le donne Ă lâautre qui prend une laisse dans sa poche, lâattache et le remet par terre. Le chien sâest laissĂ© faire trĂšs tranquillement comme sâil en avait lâhabitude . On ne comprend pas la manĆuvre. Pourquoi ne pas avoir juste passĂ© la laisse ? On se dit quâil doit y avoir lĂ un rituel immuable qui nous Ă©chappe, comme si le chien avait deux maĂźtresses et que la passation entre les deux devait obĂ©ir Ă des gestes prĂ©cis. Une forme singuliĂšre dâintimitĂ© et de partage. 15 fĂ©vrier 2021 Il est 17 heures et 47 minutes. On entend des pas de courses qui descendent dans la toute petite rue qui borde notre maison. On ne peut pas voir qui court mais chaque soir entre 17h47 et 17h50, on entend le mĂȘme pas, Ă la mĂȘme heure. Il est trĂšs reconnaissable car il est lourd malgrĂ© la course, et on sent que le coureur ou la coureuse cherche Ă se ralentir dans la pente. Cela produit un bruit Ă la fois mat et claquant trĂšs particulier. On se surprend certains soirs Ă lâattendre, guettant parmi tous ceux qui prennent ce petit raccourci en voiture, en scooter ou Ă pied. Contrairement aux autres coureurs, on nâentend pas son souffle, juste le pas. On se demande comment quelquâun peut courir avec cette prĂ©cision pour passer aux mĂȘmes endroits, Ă la mĂȘme heure, Ă cinq minutes prĂšs. On comprend le pourquoi de cette prĂ©cision car dix minutes aprĂšs le couvre-feu commence et on pense que cette personne doit habiter tout prĂšs. On imagine aussi que ce coureur ou cette coureuse nâest pas du tout un sportif qui fait du jogging mais quelquâun qui descend en courant Ă toute vitesse la pente pour arriver Ă temps chez elle. Quand on entend sa course, on pense aux grandes courses de lâenfance quand on se laissait happer par une pente en se faisant peur, en essayant de ralentir Ă tous prix et en sâarrĂȘtant en bas comme on peut, essoufflĂ©e, apeurĂ©e et contente. 12 fĂ©vrier 2021 Un homme qui marche le long dâun trottoir dans un quartier populaire alors quâil commence Ă pleuvoir. Il nâa pas de parapluie. Il semble ĂągĂ©. Il est petit, assez lourd avec des Ă©paules tombantes. Du coup, ses bras semblent longs et ses jambes assez courtes. Il a une tĂȘte carrĂ©e et son cou est enfoncĂ© dans une parka noire Ă col montant. Elle est boutonnĂ©e de bas en haut et est un peu grande. Il porte un masque et au-dessus on voit juste ses lunettes avec une monture trĂšs simple et ses cheveux gris presque blancs avec un dĂ©but de calvitie sur le sommet du crĂąne. Son parka descend jusquâaux genoux puis il porte un jogging noir qui semble aussi un peu trop grand. Quand on regarde ses pieds, on est trĂšs surpris car on voit de magnifiques chaussures de style anglais qui font penser Ă des Weston en cuir naturel impeccablement cirĂ©es, ce ne sont pas des copies. Des chaussures hors de prix. Il les porte avec le plus grand naturel, elles nâont pas lâair trop grandes contrairement Ă tout le reste de sa tenue et il marche avec comme si câĂ©tait ses chaussures de tous les jours. On a le sentiment dâun copiĂ©-collĂ©. On peut avoir lâimpression que ses habits lui ont Ă©tĂ© donnĂ©s mais, Ă©trangement, pas ses chaussures. Elles font corps avec lui, avec ce quâil est peut-ĂȘtre. Ou ce quâil a Ă©tĂ©. 11 fĂ©vrier 2021 Une femme assise presque par terre sur un petit rocher qui borde le chemin des douaniers longeant un cap au bord de la MĂ©diterranĂ©e. Il fait extrĂȘmement beau, mais la mer est encore houleuse de la tempĂȘte dâil y a trois jours. Il y a des promeneurs, la plupart sont en couple ou en famille, dâautres sont lĂ pour courir. Tous regardent la mer se fracasser rĂ©guliĂšrement sur les rochers en immenses gerbes dâeau et dâĂ©cume. Certaines montent trĂšs haut et les aspergent. Le spectacle est magnifique. On remarque cette femme parce quâelle tourne le dos Ă la mer. Elle est assise non pas sur un banc ou dans un endroit agrĂ©able mais sur un rocher qui borde le chemin et elle regarde devant elle. Elle ne semble pas regarder les passants non plus. Elle est habillĂ©e en habits citadins contrairement Ă tous les autres promeneurs. Elle porte un pantalon beige, des boots en cuir marron Ă petits talons, un manteau prune et elle serre son sac Ă main bordeaux. Son visage est rond, elle semble avoir une cinquantaine dâannĂ©es. Elle a des cheveux trĂšs noirs coiffĂ©s en un chignon bouffant autour du visage. Ses yeux sont noirs et regardent dans le vague, sa bouche est fermĂ©e. Elle ne semble pas sur le point de pleurer, elle semble absente, transportĂ©e par une vague et posĂ©e lĂ , dans une tristesse glaçante. Comme si elle Ă©tait dans une zone dâombre alors que tout est dans le soleil. Une femme Ă©chouĂ©e. 10 fĂ©vrier 2021 Une femme certainement dâune soixantaine dâannĂ©es qui vous accueille Ă lâentrĂ©e de son bureau, vous propose de vous asseoir et sâassied. Elle nâest pas grande, mince. Ses cheveux sont coupĂ©s au carrĂ© et teints en blond, le visage est plutĂŽt triangulaire avec des grands yeux bruns lĂ©gĂšrement maquillĂ©s. Elle porte des lunettes carrĂ©es avec une monture dorĂ©e assez fine. Le bas du visage est masquĂ©. Elle est habillĂ©e avec des richelieu » vernies, un pantalon noir avec des trĂšs fines rayures dorĂ©es, un chemisier blanc que lâon voit Ă peine et une veste noire sans boutons avec sur chaque manche deux lignes blanches et une trĂšs grosse broche faite de brillants en forme de fleurs sur le revers de cette veste. Elle a devant elle des livres, des cahiers, des stylos. On parle avec elle, on lui explique quelque chose, elle prend des notes et on se demande ce quâil manque. Quelque chose manque mais on ne sait pas quoi. Ce nâest que tardivement quâon se rend compte que sur son bureau, il nây a pas dâordinateur. On a tellement lâhabitude de voir des ordinateurs sur les bureaux des mĂ©decins, des banquiers, dans les administrations, dans tous les secrĂ©tariats, que voir cette avocate sans ordinateur nous sidĂšre. On le lui dit. Elle rĂ©pond quâelle en a jamais voulu, quâelle a commencĂ© sa carriĂšre comme ça. Sa rĂ©ponse provoque presque une forme de malaise, comme si elle nâavait pas voulu voir le temps passer. Comme si elle Ă©tait figĂ©e dans un temps suspendu pendant les quarante derniĂšres annĂ©es. Une paralysie presque glaçante. 9 fĂ©vrier 2021 Une toute petite fille dâenviron quatre ans qui sort de lâĂ©cole. Sa maman la tient par la main, elles traversent la rue et vont attendre le tram. Elle est habillĂ©e de petites chaussures noires vernies, dâun collant de laine blanc, dâune jupe en velours cĂŽtelĂ© bleu foncĂ© et dâune doudoune bleu clair longue et froncĂ©e Ă la taille. Elle a un visage rond avec des grands yeux noirs et un petit menton pointu. Ses cheveux sont bruns, trĂšs denses presque crĂ©pus et montent assez haut au dessus de sa tĂȘte et, dessus, est posĂ© un petit chapeau pointu rouge avec des Ă©toiles jaunes. Il est en carton avec un Ă©lastique fin passĂ© autour de son cou. On pense Ă un reste de dĂ©guisement, une fĂȘte, un goĂ»ter de la Chandeleur, un numĂ©ro de clown ou juste un petit cadeau. Elle nâarrĂȘte pas de le toucher et tout le long du chemin, elle parle. Elle ne parle pas Ă sa mĂšre, elle se parle Ă haute voix. Elle raconte quelque chose dont on nâentend presque rien sinon quâil est question du chapeau autour duquel elle créé un rĂ©cit. Elle a lâair Ă la fois sĂ©rieuse et ravie. On la perd de vue. On entend un long cri dâenfant. Câest elle. Sa mĂšre lui a enlevĂ© son chapeau, le tram arrive. La petite fille ne pleure pas mais hurle. Et cherche Ă reprendre le chapeau. Sa mĂšre le lui rend, un peu gĂȘnĂ©e. Elle remet son chapeau posĂ©ment presque avec une forme de gravitĂ©, passe bien lâĂ©lastique et lĂ , on voit quâelle sourit mais quâelle a les yeux plein de larmes. De soulagement peut-ĂȘtre. Elle grandit. 8 fĂ©vrier 2021 Une jeune femme qui travaille dans une banque. Elle vient nous chercher Ă lâaccueil. On entend ses talons avant quâelle nâarrive. Elle marche Ă petits pas trĂšs saccadĂ©s. Elle sâassoit derriĂšre son grand bureau et vous propose de vous assoir en face dâelle. Elle est habillĂ©e dâun pantalon noir Ă pinces, dâun pull en laine mohair lie de vin et de hautes chaussures prunes, assorties au pull, avec des talons Ă bouts carrĂ©s et une petite boucle sur le devant. Elle a de longs cheveux chĂątains avec des mĂšches blondes, ils sont assez volumineux et, rĂ©guliĂšrement, elle les prend entre ses mains et elle les froisse pour les faire bouffer. Elle a des grands yeux noir qui sont maquillĂ©s. Ils sont soulignĂ©s dâun trait noir, de fard Ă paupiĂšres argentĂ© presque blanc et de mascara. Ses sourcils sont Ă©pilĂ©s et retravaillĂ©s au crayon. Elle porte un masque bleu. On ne voit pas le bas de son visage mais on sâaperçoit quand mĂȘme quâelle doit ĂȘtre plus ĂągĂ©e quâon ne lâa cru dâabord en voyant sa silhouette juvĂ©nile. Elle travaille sur son ordinateur tout en nous parlant. LĂ on remarque ses mains. Elle ne porte quasiment pas de bijoux, juste une bague Ă lâannulaire gauche. On voit elle a des ongles trĂšs courts et carrĂ©s comme si elle sâĂ©tait rongĂ© les ongles pendant longtemps. Ses mains sont trĂšs fortes, on se dit, bĂȘtement, masculines. Elles sont Ă©paisses et larges aussi bien les doigts ronds et lourds que la paume qui contraste avec la finesse de lâos du poignet. Elle nâa pas les mains de sa silhouette, de ses habits, de son mĂ©tier. Quand elle les passe dans ses cheveux dans son geste rĂ©pĂ©tĂ©, on a lâimpression que cette main dans ses cheveux nâest pas la sienne. Ces mains terriennes qui pianotent sur le clavier dâun ordinateur, nous semblent vivre dans une tranquillitĂ© des gestes ancestraux au milieu de cet environnement bureautique de plastique et de talons qui trottinent. 5 fĂ©vrier 2021 Un homme qui travaille dans un hĂŽpital. On ne peut le voir quâassis au bureau derriĂšre lequel il nous accueille, ou plutĂŽt une sorte de comptoir bas puisquâon peut sâassoir aussi face Ă lui. Nous sommes sĂ©parĂ©s par une paroi de verre avec une juste une fente pour laisser passer les cartes et papiers. La premiĂšre vision est un choc car on a lâimpression que ses Ă©paules sont littĂ©ralement coincĂ©es entre les murs de son box de travail. Il nâest pas gros mais trĂšs corpulent. On pense Ă un culturiste, un joueur de rugby ou un lanceur de poids, Ă un sportif dont la masse a du mal Ă ĂȘtre contenue dans son tee-shirt gris. Cette impression de dĂ©mesure est renforcĂ©e par son cou Ă©norme et sa tĂȘte toute ronde, le crĂąne rasĂ© et sa barbe taillĂ©e court qui forme comme une boule dans laquelle on voit les yeux bruns en amande et le masque. Il est tatouĂ© sur tous les bras oĂč on distingue, une rose, une sĂ©rie de croix, des lettres mais aussi dans le cou oĂč on distingue comme des flammes. On a lâimpression que sâil se lĂšve le box dâaccueil va exploser. Sa voisine de secrĂ©tariat en voulant attraper un papier devant lui, lui Ă©rafle le crĂąne avec son bracelet et il saigne. Elle lui donne une lingette dĂ©sinfectante avec laquelle il se tamponne le haut du crĂąne. Il se tourne vers elle et lui dit mais ça pique ! » dâune voix douce dâenfant outrĂ©. 4 fĂ©vrier 2021 Un homme dans un musĂ©e fermĂ©. Il doit avoir une cinquantaine dâannĂ©es, il est assez grand et trapu. Il est habillĂ© en habits rĂ©glementaires de gardien et il porte un masque, on ne distingue donc que ses yeux bruns plutĂŽt ronds, ses sourcils Ă©pais et ses cheveux noirs. Il est seul et fait des va-et vient devant lâentrĂ©e. Il attend quelques visiteurs professionnels qui ont lâautorisation de venir voir lâexposition. Il est impatient et leur demande Ă plusieurs reprises sâils sont prĂȘts. Câest lui qui assure la sĂ©curitĂ© pendant leur visite et il les suit pas Ă pas. On remarque quâil Ă©coute ces spĂ©cialistes avec attention comme sâil devait faire attention quâils ne disent pas de bĂȘtises ou du mal de lâexposition dont il est lĂ , vĂ©ritablement, le gardien. Eux, Ă©changent sur les dates, les liens avec dâautres artistes, certains critiquent des Ćuvres, des rapprochements, sâexclament admirativement, ils prennent des notes et des photographies sans faire attention Ă lui. A un moment donnĂ©, se sachant autorisĂ©es Ă le faire, les deux femmes sâasseyent chacune leur tour sur un pouf de fausse fourrure noire muni dâune queue animale et sâamusent de cet attribut masculin dont elles se voient ainsi pourvues. Il est trĂšs gĂȘnĂ© et a mĂȘme lâair stupĂ©fait comme sâil nâavait pas vu et entendu que toute lâexposition parle de sexe et de genre. Certainement que la situation quasi intime de la visite le met dans une situation complexe, il se sent complice de cette lĂ©gĂšretĂ©. Pourtant il salue chaleureusement chacun des visiteurs et a mĂȘme lâair triste de leur dĂ©part. On se dit que jamais on nâaurait imaginĂ© cela il y a encore quelques temps. Un gardien qui regarde partir des visiteurs avec le sentiment dâĂȘtre abandonnĂ©. Il va continuer de veiller sur son exposition. Vide. 1 fĂ©vrier 2021 Une femme qui vend des objets dans une brocante. Elle doit avoir une soixantaine dâannĂ©es. Elle est debout au milieu de son stand. Elle est petite et est habillĂ©e chaudement avec un pantalon en velours cĂŽtelĂ© brun, des chaussures de type MĂ©phisto », puis, on aperçoit un pull en mohair rose, une veste matelassĂ©e Ă col mao » crĂšme avec des petites fleurs, une veste Ă©paisse en cuir retournĂ© et une grande Ă©charpe bleu et vert entourĂ©e autour de son cou. Elle semble complĂštement engoncĂ©e. Ses cheveux trĂšs blonds, longs et ondulĂ©s, la font paraĂźtre plus jeune. On voit ses yeux clairs et son masque noir est baissĂ© sur son menton. Elle fume. Elle tient la cigarette dans sa main droite et aspire goulĂ»ment des grandes bouffĂ©es, puis souffle doucement la fumĂ©e. Elle ferme les yeux, concentrĂ©e sur le plaisir de fumer sans plus rien regarder autour, ni objets, ni flĂąneurs, ni clients. Debout, comme tanquĂ©e » dans ses gros habits, elle se consacre Ă sa cigarette. On remarque ses doigts jaunis de grande fumeuse. Quelquâun lui pose une question, elle est obligĂ©e de se tourner et de lui rĂ©pondre, de bouger. Elle pose sa cigarette dans un gros cendrier en verre, rĂ©pond, dit un prix puis elle revient, elle se remet exactement dans la mĂȘme position et elle reprend sa cigarette. On dirait une adolescente qui fume pour la premiĂšre fois dans un plaisir dĂ©fendu sans cesse recommencĂ©. 30 janvier 2021 Un homme devant un bar fermĂ© mais qui fait des cafĂ©s Ă emporter. Câest samedi, il y a du monde. Il doit avoir une trentaine dâannĂ©es. Il est habillĂ© simplement de baskets blanches un peu usĂ©es, dâun jean, dâun blouson un peu long en cuir noir qui est ouvert sur un sweat-shirt noir. Il est assez grand et carrĂ©. Son visage semble rond, avec des cheveux courts, trĂšs frisĂ©s, noirs et on ne voit que ses grands yeux en amande lĂ©gĂšrement globuleux au dessus de son masque noir. La premiĂšre fois quâon lâaperçoit, il est au tĂ©lĂ©phone et fait signe Ă lâhomme plus ĂągĂ© qui lâaccompagne quâil veut un cafĂ©. Il Ă©coute son interlocuteur les sourcils froncĂ©s. Un peu plus tard, il boit son cafĂ© et a enlevĂ© son masque. On voit alors quâil a une moustache trĂšs brune. Lâhomme qui est avec lui, lui parle avec une sorte de vĂ©hĂ©mence, comme sâil lui faisait la leçon. Il ne dit rien et baisse la tĂȘte. Quand il la relĂšve, on voit que ses grands yeux dĂ©bordent de larmes quâil efface tout de suite. Il ferme les yeux comme sâil essayait de contrĂŽler son Ă©motion. Lâhomme a cĂŽtĂ© de lui nâa pas vu ce moment mais a senti sa tristesse et lui prend trĂšs gentiment lâĂ©paule. Lâautre sâaffaisse un moment et puis dit ça va aller, ça va aller » aussi bien pour lâautre que pour lui mĂȘme. Il regarde en lâair et suit un moment du regard les gabians » qui volent au dessus des Ă©tals de poissonniers dans un grand raffut. Il sourit. Ăa va mieux. 29 janvier 2021 Un homme trĂšs ĂągĂ© marche tout doucement dans un grand marchĂ©. Il fait trĂšs attention de ne pas se faire bousculer et lâhomme plus jeune qui lâaccompagne sâarrange pour quâil est de lâespace autour de lui. Lâhomme est petit, trĂšs maigre et voĂ»tĂ©. Il a des cheveux blancs courts, raides et un peu en bataille. Son visage a un profil dâoiseau avec un nez aquilin, les joues creuses et des yeux clairs presque gris. Il porte un masque en tissu, dâun rouge lie-de-vin, qui semble presque trop grand et lui mange tout le bas du visage. Il est habillĂ© trĂšs Ă©lĂ©gamment. On distingue une chemise blanche Ă fines rayures bordeaux, une cravate assez imposante, assortie au masque, lie-de-vin et par dessus un gilet beige en V boutonnĂ©. Son pantalon est en velours cĂŽtelĂ© brun un peu trop long qui tombe en se cassant sur des trĂšs belles chaussures anglaises de cuir marron. Il a une veste un peu longue qui ressemble Ă un barbour » classique brun . En marchant, il vacille souvent. Il sâappuie trĂšs fortement sur une canne trĂšs Ă©trange ; elle est en bois mais faite dans une branche qui a gardĂ© sa forme naturelle, trĂšs torturĂ©e, elle a juste Ă©tĂ© Ă©corcĂ©e et polie. La poignĂ©e est faite de lâintersection entre deux branches dans laquelle il met la main. Cet homme si raffinĂ© et sa canne forment comme une bulle dâĂ©lĂ©gance quâon a envie de protĂ©ger, une petite chose prĂ©cieuse et fragile qui traverse lâespace confus de la ville Ă petits pas silencieux. 28 janvier 2021 Un homme dans un magasin de spĂ©cialitĂ©s italiennes. Il est derriĂšre la grande vitrine oĂč sâamoncellent les fromages, les pĂątes fraiches, la charcuterie, les plats cuisinĂ©s. Il sert les clients. Il est trĂšs brun, il ne doit pas ĂȘtre trĂšs grand et semble plutĂŽt mince. Son visage est long, avec un grand front et un menton allongĂ©, les cheveux sont coupĂ©s courts, le nez est aussi dans ce mouvement tout en longueur du visage et la bouche est petite. Il porte un tablier blanc qui sâenfile complĂštement et lui fait une large veste qui est ouverte sur un pull marron. Il vous accueille trĂšs aimablement, presque un peu trop. Vous vous rendez compte que, contrairement Ă son collĂšgue, contrairement Ă vous, il ne porte pas de masque. Il voit votre hĂ©sitation, il se redresse fiĂšrement et esquisse Ă peine un sourire entre le triomphe et lâironie. Il vous sert avec toujours une lueur dans les yeux qui serait presque du dĂ©fi sâil nâavait pas besoin aussi dâavoir des clients. On se rappelle que la derniĂšre fois quâon est venu, il y a plusieurs mois, on lui avait demandĂ© pourquoi il ne portait pas de masque et il avait rĂ©pondu que lui, il nâĂ©tait pas malade. Comme si de porter ce masque Ă©tait en quelque sorte une marque dâinfamie, de possible maladie et de ne pas le porter une preuve de bonne santĂ©. Entre bĂȘtise et fanfaronnade, le monde Ă lâenvers. Et pourtant, on est lĂ , Ă penser Ă lâItalie si proche avec tendresse. 27 janvier 2021 Une femme dans un grand magasin oĂč elle est responsable dâun corner » dâune grande marque. Elle est trĂšs petite, elle doit avoir une quarantaine dâannĂ©es, peut-ĂȘtre un peu plus. Elle a les cheveux gris ou plutĂŽt Ă peine grisonnant comme si elle Ă©tait en train dâarrĂȘter de les teindre. Son visage est rĂ©gulier, ovale, avec des yeux bruns assez ronds peu maquillĂ©s, son nez est droit et la bouche assez petite. Elle est bien entendu habillĂ©e avec des habits de la marque quâelle vend, notamment un cardigan emblĂ©matique mais quâelle porte en laine dâun rose soutenu ce qui est assez rare. Le reste est plus sobre, noir, gris, ce qui semble plus en phase avec les habits prĂ©sentĂ©s. On sait trĂšs bien ce quâon veut. On choisit vite ce quâon veut essayer et Ă partir de lĂ , elle nâaura de cesse de tenter de nous faire essayer dâautres choses un gilet court, une jupe, un autre pantalon, au point quâon lui fait clairement comprendre que, non, on ne prendra rien dâautre. On regarde dâautres choses, juste pour le plaisir, elle revient Ă la charge. On sait quâelle fait son mĂ©tier mais on lui en veut parce quâon avait juste envie de profiter de ces belles choses, on est obligĂ© de se justifier, dâexpliquer pour la tenir Ă distance. On est certain quâelle se rend compte quâĂ force dâinsistance, elle produit exactement le contraire de ce quâelle voudrait mais elle ne peut sâen empĂȘcher. La mĂ©canique de sa parole et de ses gestes de vendeuse la dĂ©passe. Comme dans une course folle. 26 janvier 2021 Un petit garçon dâenviron sept ans sur une plage. Il fait trĂšs beau. Un groupe dâadultes est installĂ© pour un pique-nique avec une dizaine dâenfants qui jouent. Le petit garçon est assez trapu avec une tĂȘte toute ronde et des cheveux chĂątains bouclĂ©s qui lui encadrent le visage. Il est habillĂ© dâun sweat shirt » gris, dâun jean et il porte des baskets noires. Les enfants jouent Ă monter sur le grand mur qui borde la plage, puis on voit que ce petit garçon va seul au bord de la mer. Il cherche et trouve un Ă©norme galet quâil a du mal Ă soulever mais quâil soulĂšve en criant pour attirer lâattention des autres enfants qui se prĂ©cipitent. Avant quâils nâarrivent, il jette le gros galet dans la mer. Les enfants commencent Ă jouer avec les vagues, Ă crier, se pousser. A un moment donnĂ©, un autre petit garçon arrive Ă un bout de bĂ©ton Ă©norme et le jette aussi. Tout de suite, le petit garçon devient agressif envers lui et le menace dâun galet. Sa mĂšre traverse la plage Ă toute vitesse, lâattrape et le gronde. Le petit garçon va plus loin et sâinstalle au milieu de la plage pour jouer, les autres le suivent et commencent Ă jouer aussi. TrĂšs vite, Ă nouveau, il se lĂšve et va jusquâau mur quâil entreprend de grimper, les autres le suivent. Sans fin. On pourrait penser quâil veut ĂȘtre seul mais chaque fois quâil est seul, il fait tout, mine de rien, pour attirer les autres. Il ne veut pas ĂȘtre seul, il veut se singulariser. 25 janvier 2021 Un homme dâune soixantaine dâannĂ©es dans un marchĂ©. Il fait beau, câest une journĂ©e ensoleillĂ©e de lâhiver. Tous les manteaux sont ouverts, les gens font leur course mais sans se presser. Lâhomme traverse tranquillement la grande place avec un sac de provisions au bout de la main. Il est petit, trĂšs rond avec des cheveux frisottĂ©s dĂ©garnis sur le dessus du crĂąne. Il est habillĂ© dâun pantalon de toile beige, de souliers de cuir marron, usĂ©s et affaissĂ©s. Sa veste beige est ouverte et on voit un magnifique pull multicolore avec des larges rayures horizontales qui reprennent trĂšs exactement les couleurs arc-en-ciel du drapeau LGBT. Comme son ventre est saillant, son pull est trĂšs en avant et il gondole comme sâil Ă©tait dĂ©tendu ou mal fini. Plusieurs personnes se retournent sur ce pull multicolore. On nâarrive pas Ă savoir sâil est conscient de sa possible dimension militante ou revendicative. Il serait peut-ĂȘtre trĂšs Ă©tonnĂ© si quelquâun lui rĂ©vĂ©lait tout cela. On remarque que ses habits sont tous trĂšs avachis ou usĂ©s. On peut aussi trĂšs bien imaginer quâil lui a Ă©tĂ© tricotĂ© par quelquâun qui a trouvĂ© ces couleurs jolies, quâil lâa tricotĂ© lui-mĂȘme ou bien quâil lui a Ă©tĂ© donnĂ©. Ce pull dĂ©fraĂźchi aux couleurs de ce drapeau Ă la portĂ©e symbolique, hissĂ© lors des marches des fiertĂ©s », est portĂ© lĂ , sur ce marchĂ© populaire, avec une bonhomie touchante. 21 janvier 2021 Une jeune femme travaille dans une boulangerie. Elle est brune avec les cheveux trĂšs raides qui semblent lissĂ©s, ils sont attachĂ©s en une queue de cheval assez basse sur la nuque. Elle a un visage triangulaire avec des grands yeux bruns maquillĂ©s de gris. Elle est habillĂ©e dâun pantalon beige un peu court, dâun pull marron avec par dessus un tablier blanc trĂšs simple nouĂ© Ă la taille. Aux pieds, elle porte des crocs vert bouteille mais avec des chaussettes beige comme son pantalon. Elle a des gants en plastique translucide et elle tient un pince mĂ©tallique dâune main. Elle vient nous voir et on lui passe commande de trois choses. On voit quâelle hĂ©site puis va vers un premier pain quâelle attrape avec sa pince et met dans un papier, elle le fait lentement, elle a peur de faire tomber le pain. Puis, elle va vers les autres pains et a oubliĂ© si nous en voulions un petit, ou un gros, tranchĂ© ou pas, on lui rĂ©pĂšte notre commande et on la regarde faire posĂ©ment. Tous ses gestes montrent quâelle a peur de faire une erreur notamment sur les questions sanitaires, ne pas toucher le pain, ne pas toucher les clients, dĂ©sinfecter ce qui a Ă©tĂ© touchĂ© par les clients, garder ses distances. On voit bien que tous les ordres se bousculent dans sa tĂȘte et quâelle essaie de faire au mieux. Elle est nouvelle. On paie avec le sans contact ». On ne sait pas si on doit lui dire que pendant tout ce temps, elle portait mal son masque, sous son nez, anĂ©antissant tous ses efforts. On le lui dit tout doucement, elle nous remercie et remet vivement son masque en surveillant que personne ne la voit. Puis elle rĂ©flĂ©chit et va changer ses gants. Elle apprend. 20 janvier 2021 Une femme dâune quarantaine dâannĂ©es au comptoir dâun bar-tabac qui vend aussi des journaux. Le bar est vide mĂȘme sâil fait des cafĂ©s Ă emporter mais il y a quand mĂȘme dans un angle au fond un homme qui semble boire une cafĂ© en lisant un journal. Le cafĂ© empeste la cigarette. On a plus lâhabitude de cette odeur, on ne voit personne fumer et on se rend compte que cet espace public et non fumeur, doit ĂȘtre en partie redevenu privĂ© puisque le bar est fermĂ©, et que le patron, les employĂ©s, doivent fumer dedans. Lâodeur est vraiment Ă©pouvantable mais on a lâimpression quâelle ne la sent pas. Elle trie et compte les tickets du loto et met un moment Ă sâapercevoir que vous ĂȘtes devant elle attendant de pouvoir payer vos journaux. Elle est brune et ses cheveux longs sont attachĂ©s en queue de cheval, elle porte des lunettes en Ă©caille assez imposantes qui cachent ses yeux bruns, le nez est fort et droit et la bouche est plutĂŽt petite et ronde. Elle porte un pull noir et par dessus un gilet de laine noir Ă motifs rouges. Quand elle vous voit enfin, elle remonte vaguement le masque quâelle avait sur le menton et vous encaisse sans un regard. Elle vous donne lâimpression que vous la dĂ©rangez. En sortant vous voyez une fumĂ©e de cigarettes sortir du comptoir, puis en y prĂȘtant attention, la cigarette posĂ©e Ă lâenvers. Elle voit que vous avez vu sa cigarette, la prend et en aspire une grande bouffĂ©e et se replonge dans ses comptes en vous jetant un coup dâĆil noir. 19 janvier 2021 Une voix dâhomme au tĂ©lĂ©phone. On ne pourrait pas dire que câest une voix amie mais câest quelquâun que vous connaissez bien et que vous avez rencontrĂ© souvent dans le cadre professionnel. Il sâagit Ă nouveau dâun Ă©change dans le cadre du travail mais Ă titre amical. Vous vous donnez des nouvelles, et puis commencez Ă Ă©changer sur les questions qui vous ont amenĂ©es Ă nous appeler. Comme ces questions sont dĂ©licates et que vous ne pouvez pas le voir, guetter les expressions de son visage, vous ĂȘtes obligĂ©es dâĂȘtre trĂšs attentives Ă la moindre hĂ©sitation, au plus imperceptible changement de ton, au plus court silence, tout ce qui peut amener Ă une variation dans le dĂ©bit de sa voix. Elle est plutĂŽt douce, monocorde, un peu nasale et calme. Vous avez pu le cĂŽtoyer dans des rĂ©unions trĂšs tendues et jamais il nâa haussĂ© le ton et, de la mĂȘme façon, dans les quelques moments gais que vous avez partagĂ©s, sa voix est restĂ©e Ă©gale. Il sait que vous guettez les moindres variations. Il en joue. Ne pouvant rĂ©pondre directement aux questions que vous lui posez, les seuls moyens quâil a pour que vous compreniez ce quâil pense sans sortir de son devoir de rĂ©serve, câest justement ces courtes pauses, fausses hĂ©sitations, petits silences quâil fait volontairement et que vous devez dĂ©crypter. Cela provoque une tension Ă©trange, non pas entre vous, mais chez chacun dâentre vous, dans la recherche de la maĂźtrise dâune sorte de langage commun qui tient aux non-dits, Ă ce qui manque, Ă ce qui hĂ©site, Ă ce qui balbutie. A ce qui vient entraver. On se dit quâil doit le plus souvent faire cela et que ce doit ĂȘtre Ă©puisant de ne jamais pouvoir dire. Ou de dire mais sans parler. 18 janvier 2021 Une femme dâune cinquantaine dâannĂ©es qui participe Ă un cours en ligne. Elle a les cheveux courts, trĂšs raides et teints en roux clair. Le visage est assez rond, avec des grands yeux bruns, des lunettes rondes, un nez fin et une large bouche fine. On ne voit que le haut de son corps qui est vĂȘtu dâun chemisier bleu clair qui rappelle les chemises anciennes. TrĂšs souvent, elle perd le fil pendant le cours. Elle ne sait pas oĂč est lâexercice, Ă quelle page du livre il faut aller, elle nâa pas compris la consigne, et donc rĂ©guliĂšrement quand lâenseignante sâadresse Ă elle, elle ne rĂ©pond pas. Cela créé un sorte de trou, une latence Ă©trange dans ce dispositif de cours par skype ». Il faut un peu de temps pour comprendre ce qui nâa pas Ă©tĂ© compris. Souvent, ensuite, elle dit je nâavais pas compris », et elle sâexcuse en riant. Mais en rĂ©alitĂ©, elle nâa pas entendu. On se souvient des tous premiers cours alors que tous Ă©tions rĂ©unis, et dĂ©jĂ , elle nous avait demandĂ© Ă plusieurs reprises de lui rĂ©pĂ©ter et traduire ce qui avait Ă©tĂ© dit. A la fin du cours, elle sâĂ©tait excusĂ©e en disant en riant je crois que je ne dois pas bien entendre », qui Ă©tait devenu peu Ă peu je nâentends pas bien ». On est Ă©tonnĂ©e car elle ne semble rien faire pour cela et de cours en cours, elle continue de rĂ©pĂ©ter cette excuse comme si, chaque fois, elle Ă©tait nouvelle. Comme si chaque nouveau temps oĂč elle nâentend pas ou mal venait effacer celui dâavant. Elle ne veut pas entendre quâelle entend mal. Personne nâose lui en parler et lâenseignante trĂšs patiente, rĂ©pĂšte et mĂȘme lui demande directement si elle a compris. Mais elle nâose pas lui demander si elle a entendu. On se dit quâelle est mal entendante. En deux mots. 16 janvier 2021 Un Ă©cran, le haut du corps dâun homme et son visage. Tout de suite, on se dit il est gros. Le visage est long avec des cheveux courts lĂ©gĂšrement dressĂ©s. Les yeux bruns, le nez petit, et la bouche assez grande. Ce quâon remarque ce sont les bajoues de chaque cĂŽtĂ© du visage, les plis du cou et puis ensuite la masse du corps Ă la limite de lâobĂ©sitĂ©. Câest un acteur et, pendant un moment, cette maniĂšre dâavoir un corps grossi dont on devine encore ce quâil a Ă©tĂ©, nous donne Ă penser que cet embonpoint est travaillĂ©. Peut-ĂȘtre pas entiĂšrement fabriquĂ© mais accentuĂ©. Mais la maniĂšre dont il bouge Ă Ă©cran et dont il danse nous fait penser le contraire. Il a une lĂ©gĂšretĂ©, quelque chose de trĂšs aĂ©rien qui lui appartient et dont il joue, lĂ , dans ce rĂŽle. On voit que tout est fait pour le montrer comme le gros extraverti face Ă lâautre personnage, qui joue son compagnon, mince, coincĂ©, pĂ©tri dâangoisse. Pourtant, dĂšs quâil bouge, quelque chose en lui Ă©voque les comĂ©dies musicales, la dĂ©mesure, une nostalgie, Broadway, quelque chose qui emporte ailleurs que juste le pĂ©rimĂštre de cette sĂ©rie. On dirait quâil vient de ranger ses paillettes, de cacher son costume de clown et quâil fait semblant dâĂȘtre comme il faut juste un moment, sâappliquant mais souriant en coin. Encore un Auguste. 15 janvier 2021 Un gros palmier dans un jardin. Câest un palmier de la race des chamĂŠrops mais Ă©norme, appelĂ© aussi palmier chanvre ». Contrairement Ă ses cousins, il est trĂšs trapu comme les palmiers classiques. Son tronc fait plusieurs mĂštres de haut et est si Ă©pais, quâon ne peut lâentourer de ses bras. Avec ses grandes palmes, lâarbre est haut comme une maison de trois Ă©tages. On ne dirait pas car il est situĂ© devant la maison mais un peu sur le cĂŽtĂ© et sur une planche en dessous. Il a de nombreuses palmes caractĂ©ristiques avec une tige puis la palme elle-mĂȘme en Ă©ventail avec des terminaisons assez molles qui retombent cassant lâĂ©lan rigide de la feuille. En plein hiver, il a quelques branches quâil faut couper car elles sont sĂšches et deux fruits qui forment une sorte de longue tige brune. Les nouvelles palmes sont dĂ©jĂ lĂ au centre de lâarbre prĂȘtes Ă pousser. Il est Ă©norme et totalement disproportionnĂ© dans ce jardin de taille plutĂŽt modeste oĂč le plus grand arbre est un vieil oranger. Heureusement quâil est sur cette planche plus basse et que ses palmes touchent le mur extĂ©rieur de la propriĂ©tĂ©. Cela masque un peu son ampleur. On voit quâil a Ă©tĂ© plantĂ© dĂ©jĂ grand et tardivement certainement Ă la place dâun arbre mort, peut-ĂȘtre un palmier victime du papillon qui dĂ©cime ces arbres. Rien ne pousse dessous ou presque. Il est trĂšs isolĂ© dans la vĂ©gĂ©tation voisine dâoliviers, de mimosas, dâagrumes. Sa magnifique solitude pataude et massive nous touche. 14 janvier 2021 Une jeune femme est assise par terre sur une plate bande qui borde la grande promenade au bord de la mer. Elle nâest pas assise sur les bancs et les chaises au bord mais beaucoup plus en arriĂšre sur ce morceau de gazon, de lâautre cĂŽtĂ©, il y a les voies cyclistes puis la route. Devant elle, les promeneurs passent et les skateboarder » nombreux qui ont installĂ©s des plots au sol, font des essais de figures, de vitesse dans un grand fracas de bruit. Elle doit avoir une vingtaine dâannĂ©es. Elle a des longs cheveux blonds, un visage trĂšs fin, presque pointu et semble assez grande et mince. Elle est vĂȘtue dâune chemise bleue, avec par dessus une veste en fausse fourrure rousse, un jean serrĂ© et des baskets blanches montantes. Elle est au tĂ©lĂ©phone. Elle parle vite, certainement assez fort car il y a beaucoup de bruit et elle fait des grands gestes avec les mains. On perçoit Ă sa tension et Ă ses gestes que la conversation doit ĂȘtre animĂ©e, quâil se passe quelques chose. Tout Ă coup, les skateboarder » se regroupent pour discuter et se dĂ©saltĂ©rer et le silence se fait. On entend alors la jeune femme hurler Non, non, tu ne peux pas faire ça, merde ! ». Tout le monde se retourne et la regarde. Elle sâen aperçoit et devient rouge. Sa conversation continue, alors elle tourne le dos Ă la foule et Ă la mer et sâassied en tailleur face aux voitures et aux vĂ©los. Comme si elle voulait trouver de lâintimitĂ©. On est surprise quâelle ne descende pas sur la plage. Elle pourrait crier. Le bruit de la mer ne sâarrĂȘte jamais. 13 janvier 2021 Une dame dâun certain Ăąge qui attend devant le secrĂ©tariat dâun service hospitalier. Elle doit avoir une cinquantaine dâannĂ©es. Elle est petite, habillĂ©e dâun grand manteau rouge vif, dâun pantalon de cuir rouge, souple, en forme de jogging et de baskets noires. Elle est trĂšs brune avec les cheveux frisĂ©s et semble avoir un visage rond qui est cachĂ© par des lunettes noires et un masque bleu. Elle marche avec deux bĂ©quilles. Elle a un grand sac en bandouliĂšre qui semble trĂšs rempli. Quand elle arrive, elle va directement dans le bureau et la secrĂ©taire lui dit quâil y a plusieurs personnes qui attendent. Elle rĂ©pond quelque chose que lâon nâentend pas et la secrĂ©taire lui dit que bien entendu, elle peut sâassoir, comme les autres personnes, sur un siĂšge et quâelle se lĂšvera quand ce sera son tour. La femme semble furieuse et regarde ceux qui font la queue avec colĂšre. Elle prend une chaise avec violence, la dĂ©place, la met au milieu de la salle dâattente et sâinstalle dessus. Elle cherche dans son sac en marmonnant, ses bĂ©quilles tombent, elle les ramassent en rĂąlant. Elle sâaperçoit quâil y a du gel hydroalcoolique. Elle se lĂšve et en met sur ses mains. Elle renverse son sac. Elle se rassied en pestant, remet dans son sac et dit et bien, voilà » dâun ton plus haineux quâen colĂšre. Et brusquement, elle se lĂšve et part. La secrĂ©taire la cherche, revient et dit que cette dame est encore repartie sans quâon sache qui elle est. Cela fait la troisiĂšme fois cette semaine dans ce service. Une femme perdue. Encore une. 12 janvier 2021 Un homme dâune trentaine dâannĂ©es est adossĂ© Ă un mur Ă la toute fin du marchĂ©, juste en face du dernier Ă©tal de poissonnier. Il est chaudement habillĂ© car il fait froid et il y a du vent. Il a un bonnet de laine brun avec une petite frise beige, une doudoune marron assez longue, un pantalon qui ressemble Ă un baggy noir et des grosses chaussures noires qui semblent montantes comme des Doc Martens ». Il est moyennement grand. On voit juste quelques cheveux frisĂ©s noirs dĂ©passer du bonnet, il a un visage trĂšs rond avec des yeux noirs et un nez plutĂŽt petits, une bouche assez large et une barbe naissante comme quelquâun qui ne sâest pas rasĂ© depuis deux ou trois jours. Il a un masque mais sur le menton et le cou. Il fait quelque chose avec ses mains mais on ne distingue pas quoi. Quand on sâapproche de lui, on entend un bruit Ă©trange chtac, chatc, chtac, .. ». On voit alors quâil est en train de se couper les ongles avec un coupe-ongle. Avec beaucoup dâattention, il se coupe tous les ongles des mains et jette scrupuleusement les ongles coupĂ©s par terre. On est trĂšs surpris. Un geste qui renvoie Ă la toilette, Ă lâespace de la salle de bain qui se retrouve fait dans la rue. Il nây a pas lĂ dâindĂ©cence et il le fait avec le plus grand naturel. Pourtant on se sent mal Ă lâaise. Comme si on avait surpris quelque chose alors que lui sâen moque. Câest comme si cela avait obligĂ© notre regard de passant. Etrangement, cela vient empiĂ©ter sur notre espace intime et pas le sien. 11 janvier 2021 Une dame assez ĂągĂ©e qui traverse une place en poussant un drĂŽle dâengin. Ce serait un dĂ©ambulateur Ă roulettes avec deux poignĂ©es pour les mains comme celle dâun vĂ©lo, des freins, un panier pour les provisions en bas et une assise en plastique noir pour pouvoir se reposer et sâassoir. Elle est petite et presque trop pour son dĂ©ambulateur car elle est obligĂ©e de lever un peu les bras pour atteindre les deux poignĂ©es. Elle a une mise en plis Ă lâancienne avec des cheveux uniformĂ©ment gris clair. Elle est habillĂ©e dâun manteau bleu, assez long, dâun foulard gris entrĂ© dans le col du manteau et de petits bottines noires fourrĂ©es. Elle ne porte ni bas, ni collant alors quâil ne fait pas chaud. Dans le panier, on voit un dĂ©sordre de sacs plastiques, un sac en cuir noir trĂšs Ă©limĂ©, une petite bouteille dâeau, une Ă©charpe en laine, une boite de type tupperware », un sac en papier certainement empli de fruits ou de lĂ©gumes. Elle marche lentement et dâun coup, sâarrĂȘte et sâassied sur son petit siĂšge en plastique. Elle ne semble pas remarquer quâelle sâest installĂ©e sur le couloir du tram entre deux rails. Des gens sâarrĂȘtent, se parlent et une jeune femme va la voir. Elle la regarde puis regarde autour dâelle et ne semble pas vouloir bouger. Il faudra que plusieurs personnes lâentourent pour la convaincre et quâelle se relĂšve. Les gens la conduisent sur les bancs dâun arrĂȘt du tram. Elle sây assied puis se lĂšve et sâassied sur son petit siĂšge et tourne le dos au tram. On ne sait si elle est dĂ©sorientĂ©e ou bien si elle vient lĂ depuis tellement longtemps quâelle oublie ce nouveau tram qui est sur son parcours quotidien. Ou plutĂŽt quâelle a dĂ©cidĂ© de lâignorer. 8 janvier 2021 Un Ă©cran, le visage dâune femme. Elle doit avoir une cinquantaine dâannĂ©es. Elle porte les cheveux courts, ondulĂ©s, coiffĂ©s en arriĂšre. Ils sont chĂątain clair avec des mĂšches blondes et doivent ĂȘtre teints. Elle a un visage plutĂŽt pointu avec une petite bouche, un nez droit et des yeux bleus perçants. Elle est assez ronde, on le perçoit Ă ses Ă©paules opulentes, Ă sa chemise fleurie ample et Ă son foulard bleu entourĂ© Ă la va-vite autour de son cou. Elle a des grandes lunettes de soleil en forme de papillon quâelle relĂšve souvent sur ses cheveux. Elle est trĂšs expressive. On ne sait si câest parce quâelle sait quâelle est filmĂ©e mais pour chacune de ses expressions, la joie, la surprise, le mĂ©contentement, le rire, lâinterrogation, elle reste un instant figĂ©e dans une expression outrĂ©e comme un arrĂȘt sur image. On dirait parfois un dessin animĂ©, on attend presque les onomatopĂ©es et les signes graphiques qui marquent une Ă©motion, un mouvement, une bagarre. Elle nâest pas actrice mais elle joue un rĂŽle, celle de lâextravertie, qui dit tout ce quâelle pense, qui est traversĂ©e par ses Ă©motions. Pourtant parfois, son regard semble plutĂŽt froid. Elle doit se tenir Ă ce rĂŽle parce que son compĂšre prĂ©sentateur est un homme qui surjoue le calme et la froideur. On pense que cela doit ĂȘtre fatigant mais pas si Ă©loignĂ© dâun numĂ©ro de clown. Elle est lâAuguste. 6 janvier 2021 Un Ă©cran, le visage dâun homme. Il est trĂšs brun, les cheveux sont coupĂ©s courts avec quelques petits cheveux sur le haut du front, ses oreilles sont dĂ©gagĂ©es. Le visage est plutĂŽt triangulaire mais le menton est carrĂ© et assez fort. La bouche est Ă©troite avec comme une fossette Ă chaque commissure, le nez est petit mais semble un peu Ă©crasĂ© en son milieu, les yeux sont noirs et bridĂ©s. Il doit avoir au moins la cinquantaine car il a des petites poches sous les yeux, des rides autour du nez et de la bouche. Il porte un tee-shirt blanc et par dessus une veste de kimono bleue en coton Ă©pais, qui fait penser Ă une veste de travail. Il est assez expressif et souvent il plisse le front. Quant il fait cela, on sâaperçoit quâil a une cicatrice verticale rouge qui part du milieu du sourcil droit et descend jusquâau bas de la joue. On regarde de plus prĂšs et on constate que ce nâest pas un effet de maquillage, que celui quâon prend pour un acteur, a vraiment une balafre au travers du visage. On se demande si cet homme est un acteur professionnel ou un amateur, sâil a Ă©tĂ© yakusa » ou peut-ĂȘtre puni par une mafia car la balafre semble trop droite pour ĂȘtre accidentelle. Pourtant lĂ , Ă lâĂ©cran, il fait la cuisine. On observe ses gestes, comment il manipule les couteaux et on se demande comment il fait pour travailler au quotidien avec cet outil qui a dĂ» lui couper le visage en deux. Quand il tend les petites assiettes Ă ses clients, il attend leur verdict, sĂ©rieux, les mains sur les hanches et quand on lui dit que câest excellent, il sourit comme un enfant. La balafre disparaĂźt un instant. 5 janvier 2021 Les urgences dâune clinique du centre ville. Il nây a pas grand monde, on sent un certain calme. A lâintĂ©rieur mĂȘme du service, passĂ© les doubles portes, un homme est assis, il est perfusĂ©. Il a une trentaine dâannĂ©es, il est en habits de sport. Le mĂ©decin demande quâune infirmiĂšre vienne pour lui enlever sa perfusion. Il lui explique poliment quâil pourra ensuite sâen aller mais quâil doit aller voir son mĂ©decin traitant. A peine deux minutes aprĂšs, le mĂ©decin se tourne vers lâhomme et voit quâil y a un autre homme, un peu plus jeune, avec lui, qui lui parle. Ce nouveau venu porte un masque mais sous son nez. Le mĂ©decin lui dit Monsieur, nous ne pouvons accepter dâaccompagnant au sein du service des urgences, voulez-vous bien sortir et attendre votre ami dans la salle dâattente et mettre correctement votre masque ? ». Lâhomme le regarde avec agressivitĂ© et ne bouge pas, soulevant le menton Ă plusieurs reprises dans un geste entre le dĂ©fi et la menace. Le mĂ©decin rĂ©pĂšte fermement et rĂ©explique que personne ne peut ĂȘtre accompagnĂ©. Lâhomme, en murmurant agressivement, se dĂ©place vers les doubles portes mais reste dans le service. Le mĂ©decin revient et lui dit que son ami va sortir et quâil lui demande de sortir du service, une fois de plus. Lâhomme finit par sortir en reculant mais en lâinsultant de maniĂšre extrĂȘmement grossiĂšre et violente. On ne comprend pas. Le mĂ©decin nous dit que câest comme ça tous les jours, pourtant on sent quâil est atteint. Lâhomme quâil a soignĂ© nâa rien dit pour calmer son ami et mĂȘme sourit. On est abasourdie par cette violence. Pourquoi ce refus de sortir comme tous ? De mettre son masque ? Est-ce que câĂ©tait juste parce quâil ne pouvait supporter dâavoir le sentiment dâobĂ©ir Ă ce qui lui semble une autoritĂ©, un mĂ©decin ? On est Ă©pouvantĂ©e de ce que cela rĂ©vĂšle dâincomprĂ©hension, de ressentiment, de violence diffuse. LâinfirmiĂšre enlĂšve la perfusion, lâhomme se lĂšve, le mĂ©decin toujours calme lui tend ses papiers et lui redit poliment quâil doit aller voir un mĂ©decin. Lâhomme part, il nâa pas dit un mot. 4 janvier 2021 Un camping-car roule trĂšs vite dans un boulevard de la ville puis prend un embranchement et va aussi vite sur une route Ă©troite de lâarriĂšre-pays qui tourne beaucoup. On est surpris parce que le camping-car, qui est pourtant assez imposant, est conduit comme une voiture rapide. Il est entiĂšrement blanc avec quelques dessins gĂ©omĂ©triques jaune et bleu, comme un logo, Ă lâarriĂšre et sur une porte. On remarque une figure au pochoir noir. Quand on voit le cĂŽtĂ© du camping-car, on aperçoit dâautres pochoirs. Chaque fois, il sâagit dâun portrait dâElvis, certains de trois-quart, dâautres de face. Il y en a beaucoup disposĂ©s partout sur le camion. Un fan, certainement. Le conducteur est un homme dâune soixantaine dâannĂ©e qui semble assez rond et petit car il est un peu cachĂ© derriĂšre son volant. On remarque tout de suite quâil est coiffĂ© dâune Ă©norme banane de cheveux gris trĂšs bien rĂ©alisĂ©e. Elle est presque caricaturale et nous fait penser Ă un personnage de bande dessinĂ©e. Devant lui, entre le pare-brise et le volant, il y a une photographie dâElvis rĂ©pĂ©tĂ©e plusieurs fois formant une frise dĂ©corative. DerriĂšre lui, il y a un grand panneau lumineux et le nom Elvis qui clignote en rouge sur fond noir. On le regarde passer. On imagine quâil Ă©coute Elvis dans son camping-car et que câest sa part de rĂȘve quâil porte avec lui fonçant comme sâil conduisait un bolide dans le dĂ©sert amĂ©ricain, sur les petites routes de Provence. 14 dĂ©cembre 2020 On serait Ă nouveau en mouvement, on aurait des choses Ă faire, on serait en train de courir. On ferait des listes, du rangement, on se prĂ©parerait. On regarderait des recettes, on verrait des cerises en dĂ©cembre, des fruits exotiques sur les Ă©tals, lâodeur de la truffe vous poursuivrait sur le marchĂ©. Ce serait pour de faux mais ce serait bien quand mĂȘme. On va regarder ailleurs et puis on reviendra au temps secret des descriptions. Plus tard. 13 dĂ©cembre 2020 Une femme dâune cinquantaine dâannĂ©e qui doit rejoindre une rĂ©union sur skype » avec quatre autres personnes. Elle suit un cours de langue et, pour le moment, les cours se font comme cela. Elle est brune avec des cheveux courts et volumineux quâelle essaie de coiffer avec une raie sur le cĂŽtĂ©. Elle a un visage long avec des sourcils noirs trĂšs forts, des yeux bruns plutĂŽt ronds, un nez fin et une large bouche charnue. Elle est vĂȘtue dâun pull rose et, Ă lâĂ©cran, on voit quâelle est devant un buffet brun avec une grand dĂ©sordre de papiers posĂ©s dessus et un bouquet de fausses orchidĂ©es. Elle arrive dans la rĂ©union avec du retard et on la voit mais sans lâentendre. Lâune des autres participantes lui explique quâelle a dĂ» couper son micro et comment il faut quâelle lâouvre. On voit quâelle parle, quâelle semble toucher son clavier et quâelle a lâair trĂšs tendue. Elle disparaĂźt de la conversation. Les autres parlent en attendant patiemment et la professeure dĂ©cide de commencer. A ce moment-lĂ , elle rĂ©apparaĂźt, on la voit et on lâentend. Tout le monde la salue et elle sâexcuse. Elle semble dĂ©jĂ Ă©puisĂ©e avant que le cours nâait commencĂ©. La professeure lui demande pourquoi cela a Ă©tĂ© si difficile cette fois et elle rĂ©pond quâelle ne sait pas mais que de toutes les façons elle ne sait jamais pourquoi ça marche et pourquoi ça ne marche pas. Elle dit cela dâun air dĂ©couragĂ© de petite fille perdue. 12 dĂ©cembre 2020 Une petite fille qui doit avoir quatre ans, elle attend un ascenseur avec sa mĂšre. Elle porte des petites baskets blanches en cuir, un jean et une doudoune, avec un motif de petites fleurs, dont dĂ©passe une capuche. Elle a les cheveux longs, bruns et bouclĂ©s. Pour les retenir en arriĂšre, ses cheveux du dessus sont tressĂ©s. Elle a un visage tout rond avec des yeux bruns et des lunettes roses avec des branches assez Ă©paisses dâun rose plus clair. On remarque quâelle a une goutte sur le menton que sa mĂšre essuie en lui disant gentiment fais attention ». La petite fille suce tout le temps sa lĂšvre du dessous qui est toute rouge. Le menton aussi est irritĂ© car il doit souvent ĂȘtre mouillĂ© et il commence Ă faire froid. La petite fille ne bouge pas. Elle doit essayer de ne pas le faire, se concentrer. Une maman passe avec son bĂ©bĂ© dans les bras. ImmĂ©diatement, la petite fille la remarque et la suit des yeux, demandant ce quâelle fait cette dame. Sa mĂšre lui rĂ©pond quâelle porte son bĂ©bĂ©. La petite fille parle comme si elle rĂ©pĂ©tait des phrases dâadulte pour elle-mĂȘme il fait froid, on met son manteau, une maman, un papa, attention, le bĂ©bĂ©, une maman, un papa » et elle continue. Sa mĂšre la regarde sans lâinterrompre comme Ă©tonnĂ©e par le refrain une maman, un papa ». On se dit quâelle se rassure, peut-ĂȘtre parce quâelle a vu cette maman seule avec son bĂ©bĂ©, peut-ĂȘtre parce son papa nâest pas lĂ ou quâil est loin ou quâelle nâen a pas. On ne peut savoir mais pendant tout ce temps, elle nâa pas sucĂ© sa lĂšvre. Elle grandit. 11 dĂ©cembre 2020 Une jeune femme qui fume devant un grand hĂŽpital. Elle est blonde, ses cheveux sont attachĂ©s en une queue de cheval haute. Elle est habillĂ©e avec un jean et par dessus une blouse blanche qui lui descend aux genoux. Elle a mis un chĂąle de laine bleu sur ses Ă©paules. Au pieds, elle a des crocs » blancs. Elle a descendu son masque qui lui couvre une partie du menton et le cou. Son visage, Ă la peau trĂšs claire, est lumineux avec un regard bleu pĂ©tillant. Elle marche en fumant et elle tire nerveusement sur sa cigarette. De temps en temps, elle sort un thermos de sa grande poche et boit, certainement quelque chose de chaud. Une autre jeune femme la rejoint, allume une cigarette, elles parlent, puis elles se mettent Ă rire. La premiĂšre jeune femme consulte une premiĂšre fois ce qui ressemble Ă un tĂ©lĂ©phone, on voit quâelle hĂ©site Ă reprendre une cigarette et puis dâun coup, elle regarde Ă nouveau ce tĂ©lĂ©phone ou ce beeper », son visage se ferme. Elle fait un signe de la main Ă sa camarade, son visage est tendu, elle repart vers lâintĂ©rieur de lâhĂŽpital et commence Ă traverser la grande cour en marchant vite, puis elle se met Ă courir. Sa course nous fait penser Ă ce quâelle va trouver Ă lâintĂ©rieur, cette urgence dans son corps. Cette jeunesse Ă©clatante entrevue qui doit aller vite pour prendre soin des autres. 10 dĂ©cembre 2020 Un jeune homme assis sur un muret qui regarde ses camarades. Ceux-ci jouent aux cartes, discutent en fumant, mangent des pizzas, regardent leur tĂ©lĂ©phone en sâĂ©changeant des blagues, deux sont sur des chaises longues et Ă©coutent de la musique leurs Ă©couteurs vissĂ©s aux oreilles. Lui ne fait rien, il est Ă la fois attentif et absent. Il est assez grand, le visage rond, avec des yeux bleus perçants. Les cheveux sont chĂątains clairs coupĂ©s un peu nâimporte comment, il passe souvent la main dans ses cheveux qui sont dressĂ©s. Il porte juste un jean, un tee-shirt Ă manches longues et une doudoune sans manches alors quâil commence Ă faire froid. De temps en temps un de ses amis lĂšve la tĂȘte et lui demande ça va ? » . Il rĂ©pond briĂšvement mais trĂšs gentiment que oui, oui, ça va ». Il est seul mais on sent une attention autour de lui. A un moment donnĂ©, deux ou trois se lĂšvent et disent allez, on gĂšle, on rentre et on se fait un code name » . Il les regarde, une des jeunes filles se lĂšve et lâattrape au passage par la main, il suit le mouvement. Mais on voit quâil le fait parce quâil sent bien que tous ont fait cela discrĂ©tement pour quâil sorte de sa solitude. Il ne veut pas trop montrer quâil est triste. Et en mĂȘme temps, il sait que tout le monde le sait. Il a perdu quelquâun et cette perte creuse un trou dans son corps quâil nâa pas encore appris Ă combler. 9 dĂ©cembre 2020 Un homme trĂšs ĂągĂ© mais dont on ne peut dĂ©terminer lâĂąge. Il a des cheveux gris un peu clairsemĂ©s, une tĂȘte dâoiseau avec des yeux noirs perçants, un nez aquilin et une fine bouche dans un bas de visage pointu. Il est un peu voĂ»tĂ© mais semble assez grand. Il est habillĂ© dâun gros pull gris, dâune polaire et par dessus dâun grand tablier blanc qui lui recouvre tout le devant du corps et qui se noue par dessus lâĂ©paule. On ne voit pas le reste de son corps cachĂ© derriĂšre le comptoir. Le tablier est maculĂ© de tĂąches rouges. Il parle lentement, il marche lentement, il travaille lentement mais il travaille toujours dirigeant son commerce, sa famille et ses employĂ©s mĂȘme si son petit-fils prend de plus en plus de place. Tout autour de lui tout le monde sâaffaire parfois avec prĂ©cipitation, lui jamais. Il a un accent assez fort et vous demande toujours ce que vous voulez faire avec la viande que vous lui demandez, puis il commente ce que vous lui avez dit, il vous fait des propositions mais en affirmant que câest tel morceau quâil faut absolument prendre tout en lâattrapant dĂ©jĂ et en le posant sur le billot avant mĂȘme que vous ayez acceptĂ©. Ensuite, toujours aussi lentement, il prĂ©pare la viande, la dispose joliment, la pĂšse, cherche un gros feutre rouge dans poche, et note le prix. Il passera ensuite tout ce que vous avez achetĂ© Ă sa fille qui fera lâaddition et vous encaissera. Il a pliĂ© vos achats avec ses mains pleines de viande, il en reste sur le sachet. Il fait son mĂ©tier avec une telle attention et prĂ©cision que sa lenteur devient comme un ballet ralenti et prĂ©cieux. 8 dĂ©cembre 2020 Un homme dâune soixantaine dâannĂ©e peut-ĂȘtre plus. On le voit travailler dans ce restaurant depuis presque quarante ans. Il est vraiment petit, avec les cheveux blancs depuis trĂšs longtemps, un visage assez rond cachĂ© par des lunettes avec une monture noire, Ă©paisse et au dessin travaillĂ©. On se souvient quâil a toujours eu des montures contemporaines et trĂšs recherchĂ©es. Il est habillĂ© dâun jean, dâune chemise grise en flanelle, dâune doudoune sans manches gris foncĂ© et de chaussures de montantes qui ressemblent Ă des Caterpillar ». Il semble trĂšs dĂ©contractĂ© mais en rĂ©alitĂ©, il est habillĂ© avec recherche. Il sort du restaurant oĂč il travaille, il est interpellĂ© par des passants qui le reconnaissent, par des vendeurs du marchĂ©, il salue tout le monde et entre dans un immeuble. On le voit ensuite Ă un balcon qui donne sur ce marchĂ© et la mer, une des plus belles vues de cette ville, il est en train de tĂ©lĂ©phoner. On se demande si en fait, il nâest pas un des patrons de ce restaurant connu de toute la cĂŽte. Quand on le recroise quelques heures aprĂšs, on remarque quâil boite. On nâen revient pas. Est-ce quâil a toujours boitĂ© et on ne lâaurait pas vu ? Est-ce que câest nouveau ? Pourtant sa boiterie semble naturelle comme ceux qui depuis toujours font avec. On se rend compte que sa dĂ©marche a toujours Ă©tĂ© trĂšs chaloupĂ©e et quâil faisait rarement le service dans ce restaurant, il prenait les commandes, encaissait. Le restaurant fermĂ©, on a pu le regarder et le voir parce quâil Ă©tait sorti de son territoire et nous aussi. 7 dĂ©cembre 2020 Un homme dâune cinquantaine dâannĂ©es dans un magasin de vĂȘtement pour femme assez luxueux. Il est debout prĂšs de la caisse pendant que sa femme paie et que la vendeuse plie les vĂȘtements quâils ont achetĂ©s. Il est assez grand, entiĂšrement chauve, on voit ses yeux bleus mais pas le bas de son visage masquĂ©. Il est habillĂ© dâune paire de baskets en cuir, dâun pantalon en laine assez serrĂ© bleu foncĂ© et dâun manteau lĂ©ger sous lequel on voit une doudoune grise fermĂ©e. Sa femme lui parle. Elle lui fait la liste des endroits oĂč ils doivent encore aller, la plus vieille papeterie de la ville, un autre magasin de vĂȘtement, une pĂątisserie, un magasin de design, on pense quâils sont en train de faire leurs courses et leurs commandes de NoĂ«l. Dâailleurs la vendeuse fait des papiers cadeaux pour certains vĂȘtements achetĂ©s. Lâhomme ne dit rien et rien ne traduit quâil ait entendu ce quâelle lui a dit. Elle le regarde et lui dit Et bien alors, quâest-ce que tu en dis ? ». Il rĂ©pond Rien ». Elle hausse les Ă©paules et reprend sa litanie des choses Ă faire et lĂ , il lĂšve les yeux au ciel. Elle sâĂ©nerve et lui dit que si câest pour lui gĂącher son plaisir de faire des cadeaux, il nâa quâĂ aller se promener. Il tourne les talons immĂ©diatement. On se dit que son masque doit cacher un grand sourire de victoire. On le voit qui se dirige vers la mer. Elle soupire et dit Tant mieux ». On a lâimpression dâassister Ă un ballet de NoĂ«l bien rodĂ© et rejouĂ© chaque annĂ©e. 5 dĂ©cembre 2020 Une enfant de cinq ans se tient assise accroupie devant une reprĂ©sentation immense dâun pĂšre NoĂ«l installĂ©e sur la promenade du bord de mer. Il fait plusieurs mĂštres de haut. Il est reprĂ©sentĂ© assis sur une sorte de trĂŽne. On pense que ce sont les carnavaliers de cette ville qui ont fait cette sculpture, en papier mĂąchĂ© ou en rĂ©sine, pour lâoffrir comme chaque annĂ©e aux enfants qui sont hospitalisĂ©s en face et qui peuvent ainsi la voir. Pour la petite fille, qui est au pied de ce pĂšre NoĂ«l, il doit ĂȘtre immense et un peu effrayant. Elle est entre la peur et lâamusement. Elle se tourne vers son pĂšre qui est debout Ă cĂŽtĂ© dâelle et elle lui demande câest pour de faux, hein ? ». Son pĂšre lui explique en lui montrant lâhĂŽpital en face, pourquoi ce PĂšre NoĂ«l est lĂ . Elle rĂ©pĂšte comme pour elle-mĂȘme câest pas le vrai » mais elle fronce les sourcils et regarde le grand bĂątiment bleu en face. Elle dĂ©cide de ne pas avoir peur et dâun coup elle attrape le gros soulier et essaie de grimper. Son pĂšre lui demande ce quâelle fait. Elle explique quâelle veut grimper sur les genoux du PĂšre NoĂ«l et faire coucou aux enfants de lâhĂŽpital. Son inquiĂ©tude sâest dĂ©placĂ©e. Câest la premiĂšre fois quâon lui parle dâun hĂŽpital pour les enfants, et ça câest trĂšs effrayant. Alors elle veut voir. Elle grandit. 4 dĂ©cembre 2020 Un homme dâune trentaine dâannĂ©es Ă lâentrĂ©e dâun grand magasin. Il est grand et assez fort. Il a des cheveux noirs trĂšs courts, une barbe bien dessinĂ©e que lâon entraperçoit sous son masque noir. Il est habillĂ© dâune parka noire fermĂ©e et dâun pantalon noir. Aux pieds, il a des baskets sombres aussi. Dans le dos de la parka, on peut lire sĂ©curitĂ© » en blanc. Il regarde une Ă une toutes les personnes qui entrent dans la magasin et indiquent dâun mouvement de bras Ă certains de mettre bien leur masque, sur le nez. Il ne parle pas, il fait juste le geste et il indique Ă ceux qui ne le font pas spontanĂ©ment, le gel hydroalcoolique pour quâils se lavent les mains. Un jeune homme arrive sans masque. Lâhomme avance et lui barre le passage et le regarde. Lâautre lui dit assez agressivement â quoi ?â. Lâhomme de la sĂ©curitĂ© lui montre son masque, le regard dur, le corps plus prĂ©sent. Le jeune homme lui dit â jâen ai pas â. Lâhomme se met carrĂ©ment en travers de sa route de toute sa hauteur, et du bras, lui indique la sortie. Lâautre hĂ©site puis fait demi-tour en rĂąlant. Lâhomme reprend son inspection. Il nâa pas dit un mot. 3 dĂ©cembre 2020 Une femme dâune cinquantaine dâannĂ©es dans une rĂ©union familiale et amicale oĂč elle ne connait pas beaucoup de monde. Elle est assez petite, ronde avec des cheveux longs, raides, Ă©pais et blancs qui font comme un casque tout autour de son visage. Elle a un visage rond, avec des yeux noirs profondĂ©ment enfoncĂ©s. Elle est habillĂ©e avec des chaussures montantes fourrĂ©es brunes dont les derniers lacets sont restĂ©s ouverts. Dedans, est coincĂ© un pantalon de jogging gris assez large. Elle porte ensuite un pull beige et une doudoune sans manche vert kaki. Elle dĂ©tonne dans lâassemblĂ©e qui est habillĂ©e de maniĂšre trĂšs diverse et dĂ©tendue mais avec soin. Elle est avenante et sâadresse avec facilitĂ© aux uns et aux autres et donc participe Ă de nombreuses conversations. Pourtant, on sâaperçoit quâelle part assez vite de chaque groupe, va des uns aux autres et trĂšs souvent sâoccupe du buffet, vĂ©rifie quâil reste Ă manger, ou se retrouve prĂšs de son mari qui est aussi un peu Ă part. Les conversations sont autour des moments anciens partagĂ©s, les anecdotes fusent, les complicitĂ©s reviennent, et vite on dĂ©bat, on se moque, on rit, on sâinvective, on sâengueule, on se rĂ©concilie, on sâexclame. MĂȘme dans les conversations politiques, sur les temps que lâon vit, sur le dernier livre, sur la course du VendĂ©e Globe, on parle par ellipses, on rit de lâincomprĂ©hensible, on produit de lâentre-soi. On ne sâen rend pas compte dans la joie des retrouvailles. On exclut. 2 dĂ©cembre 2020 Une femme dâune soixantaine dâannĂ©e assise sur un parapet le long dâun immeuble sur une place qui sert de parking. On voit dâabord ses jambes, lâune est posĂ©e au sol, lâautre pend dans le vide. Elle porte des ballerines noires classiques, ses jambes sont nues et au-dessus du genou, on aperçoit un legging rose fuchsia. En haut, elle porte un pull beige trĂšs ample, une Ă©charpe violette entourĂ©e autour du cou et un bonnet marron enfoncĂ© sur la tĂȘte. Son visage est comme gonflĂ© et ses yeux noirs sont cachĂ©s par des lunettes de soleil, dont il manque un verre, alors que la nuit de ce jour gris tombe. A cĂŽtĂ© dâelle, posĂ© sur le parapet, un sac ikea » bleu rempli Ă ras-bord. On aperçoit, dĂ©passant, des vĂȘtements et une doudoune ou un duvet. Quand on passe, elle nous invective. Elle invective et insulte tous les passants qui ont un masque et les, trĂšs rares, qui nâen ont pas, elle les salue par un hurlement de contentement et en leur proposant un coup Ă boire ». On voit alors quâelle a une grande canette de biĂšre Ă la main, et un pack ouvert qui a lâair dâĂȘtre largement entamĂ© derriĂšre elle. Elle est Ă la fois joyeuse et en colĂšre. Peu Ă peu, elle se met aussi Ă insulter ceux qui nâont pas de masque car ils ne veulent pas venir boire avec elle. Quand on repasse, plus tard, elle est assise par terre contre le mur, elle dort appuyĂ©e sur son sac. Elle ne se rend mĂȘme pas compte quâil pleut. Une femme perdue. Encore une. 1 dĂ©cembre 2020 Une trĂšs jeune femme dâune vingtaine dâannĂ©es. Elle est est extrĂȘmement jolie. Elle a de longs cheveux bruns bouclĂ©s avec des trĂšs lĂ©gers reflets auburn. Son visage est en forme de cĆur avec une fossette au menton, une bouche petite mais ourlĂ©e et des grands yeux bruns. Son teint est trĂšs pĂąle presque transparent mais on ne sait si câest la fatigue ou son teint habituel. Elle nâest absolument pas maquillĂ©e ou apprĂȘtĂ©e. Elle est trĂšs souriante et va des uns aux autres avec un grand naturel dans cette rĂ©union de famille un peu particuliĂšre. On la sent fragile et on voit que ses amis la surveillent discrĂštement aussi. Souvent, malgrĂ© le soleil, elle attrape son ample manteau Ă carreaux et semble enfouir sa minceur dedans. Elle se met dans un fauteuil et semble somnoler un peu ce qui ne nous Ă©tonne pas car les jeunes gens se sont couchĂ©s trĂšs tard. On la perd des yeux. On la retrouve, les deux coudes sur une table en train de manger un Ă©norme hamburger et plonger rĂ©guliĂšrement la main dans un grand sachet de potatoes ». Elle dĂ©vore littĂ©ralement. Puis elle va Ă la table des desserts et se sert dâune part Ă©norme de tiramisu » quâelle mange immĂ©diatement Ă grandes cuillerĂ©es gourmandes. On sent quâelle se reconstitue, quâelle retrouve des forces mais quâelle mange avec un grand plaisir, une vraie gourmandise. Un appĂ©tit dĂ©vorant qui nous ravit. 30 novembre 2020 Un homme dâune trentaine dâannĂ©es, il est le cuisinier dâun restaurant populaire sur la grande place dâun marchĂ©. Le restaurant, comme tous les autres, est fermĂ© mais fait des plats traditionnels Ă emporter. Le cuisinier sort pour vous parler car vous voulez lui commander quelque chose de spĂ©cial. Il est grand, il a les cheveux recouverts dâune charlotte de papier qui fait penser Ă celle des hĂŽpitaux, il a un tee-shirt gris, un jean, un grand tablier blanc maculĂ© de tĂąches et des crocs » vertes. Son visage est long avec des yeux bruns et vous remarquez quâil ne porte pas de masque. Il veut vous emmener dans sa cuisine car il nâa plus de four et ne peut pas cuire votre commande. Vous tombez des nues. La cuisine de ce restaurant qui fait normalement beaucoup de couverts est minuscule et malcommode. Il voit votre Ă©tonnement, il est penaud et il sâexcuse presque. Il vous explique comment il travaille dans cet espace rĂ©duit. Il est trĂšs fier de toutes ses trouvailles et son visage sâanime, il mime les gestes rapides du service. Il vous dit quâheureusement quâil peut quand mĂȘme cuisiner parce que cela lui manque les gens, le coup de feu mais que lĂ en plus son four lâa lĂąchĂ©. Il est presque au bord des larmes. Vous dites que vous ferez cuire vous-mĂȘme votre commande, que ce nâest pas grave. Il vous sourit avec un sourire dâenfant soulagĂ© et se remet Ă cuisiner immĂ©diatement en vous oubliant instantanĂ©ment. 28 novembre 2020 Une matinĂ©e grise avec quelques Ă©claircies en Provence. Une maison pas complĂštement neuve mais pas ancienne non plus, au bout dâune allĂ©e au fond du jardin. Le jardin nâen est pas vraiment un, il y a des arbres, des chĂȘnes verts, un olivier, un terrain de boules et sur le cĂŽtĂ©, une piscine fermĂ©e pour lâhiver. Il nây a pas de fleurs et trĂšs peu de choses semblent avoir Ă©tĂ© plantĂ©es. Des voitures sont garĂ©es dans lâallĂ©e. Devant la maison, sur la terrasse, une cinquantaine de personnes sont rĂ©unies et regardent vers la maison. Elles sont toutes, ou presque, masquĂ©es. Certaines se tiennent la main, dâautres sont enlacĂ©es, dâautres sont debout, seules. Il y a une musique, classique, douce. On voit la photo dâun homme dâune cinquantaine dâannĂ©es posĂ©e devant tous. De temps en temps, un homme ou une femme sâavance, se met Ă cĂŽtĂ© de la photo, prend le micro et dit quelques mots, certaines sont plus longs que dâautres, certains provoquent plus dâĂ©motions que dâautres. Ils sâadressent dâabord Ă une femme qui se tient trĂšs droite avec ses trois enfants enlacĂ©s autour dâelle au premier rang. Parfois certains pleurent ou ont les larmes aux yeux. Parfois des rires parcourent cette drĂŽle dâassemblĂ©e. On les regarde tous. Ils ont vieilli mais ils sont lĂ . Il en manque un. 27 novembre 2020 Une homme debout sur une petite digue artificielle de quelques rochers qui entre dans la mer. Il est de dos face aux vagues. Il est chaudement habillĂ©. Il porte une doudoune noire avec un col remontĂ©, un pantalon de type âjoggingâ noir et des chaussures de marche en cuir marron. Il porte un bonnet en laine noir. Il est campĂ© sur ses deux pieds et il pĂȘche. De ses deux mains, il tient solidement une canne Ă pĂȘche. Il ne bouge presque pas. Il donne juste de temps en temps un petit mouvement Ă sa canne et donc Ă sa ligne. Tout Ă coup, on le voit prendre sa canne dâune main et chercher fĂ©brilement dans sa poche, en sortir un tĂ©lĂ©phone et rĂ©pondre. De dos, sa figure est maintenant Ă©trange avec une canne dans une main et de lâautre, son tĂ©lĂ©phone contre son oreille, comme le tĂ©lescopage de deux mondes. Il commence Ă tirer sur sa ligne, puis de plus en plus, mais sa main est prise par le tĂ©lĂ©phone, il ne peut pas mouliner. Il essaie de tenir le tĂ©lĂ©phone entre son Ă©paule et son oreille et commence Ă mouliner pour remonter un poisson. Le tĂ©lĂ©phone tombe entre les rochers, il regarde par terre et dĂ©cide de choisir le poisson quâil remonte doucement. Quand il le sort, il semble trĂšs content et le met dans un seau, puis il semble se rappeler de la chute de son tĂ©lĂ©phone. Il sâallonge sur un rocher et plonge une main entre deux pierres. Il semble chercher pendant un moment puis ressort son tĂ©lĂ©phone. Le nettoie, vĂ©rifie quâil marche et le range. Il sâassied comme pour souffler. Il sort son tĂ©lĂ©phone et prend une photo du poisson dans le seau. Une rĂ©conciliation. 26 novembre 2020 Un homme qui aurait dĂ» avoir soixante ans. On se rappelle des cheveux blonds devenus gris, du regard doux et attentionnĂ©, toujours chaleureux, du visage charpentĂ© qui sâĂ©tait enrobĂ©, de la petite bouche se dĂ©formant en un sourire presque carrĂ©. Mais quand on pense Ă lui on entend dâabord son rire. Il riait souvent dans une gaietĂ© qui nâĂ©tait pas factice surtout quand il Ă©tait entourĂ© de ses amis. On avait compris que câĂ©tait le plus important pour lui, ses amis, leurs retrouvailles, leurs ripailles, leurs fĂȘtes, leurs rituels, leurs parties de foot, leurs week-ends entre potes » au ski, les vacances ensemble, les jours de lâan chez lui. Sa femme, ses enfants Ă©taient son centre et ses amis Ă©taient sa vie. DĂšs quâil vous apercevait, il commençait Ă galĂ©jer » en souriant. Son rire Ă©tait assez aigu, dâabord lĂ©ger, comme un rire de connivence, un rire un peu retenu mais qui vous Ă©chappe et puis dâun coup partait en un Ă©clat franc et juvĂ©nile qui vous emporte. Cela faisait partie de lâattention quâil portait aux autres, il pouvait rire et vous regarder en mĂȘme temps dâun Ćil affectueux sâil sentait que quelque chose nâallait pas. On voit les photos de lui et de ses amis de toujours, et dâun coup, il y a un trou. On ne sait pas comment ils vont faire. Que fait-on dans une Ă©quipe quand un joueur meurt ? Ils vont devoir apprendre Ă jouer Ă dix. Eux qui jouaient dĂ©jĂ si mal. On regarde la mer, on guette le son de son rire. 25 novembre 2020 Une femme qui doit avoir entre quarante et cinquante ans, câest difficile de le voir. Elle est petite, menue et entiĂšrement cachĂ©e dans une doudoune beige, trĂšs longue, avec des grosses cĂŽtes. On voit juste Ă©merger ses pieds dans des boots noires Ă petits talons. Elle a des cheveux teints dans un blond trĂšs clair et coupĂ©s en un long carrĂ© avec une frange. Elle porte des larges lunettes de soleil de formes carrĂ©es et un masque bleu ce qui ne nous permet pas de voir son visage. Elle marche vers un petit camion blanc dont elle ferme trĂšs violemment la porte qui est sur le cĂŽtĂ©. On voit alors surgir Ă lâavant du camion la tĂȘte dâun caniche assis Ă la place du conducteur qui se penche pour regarder. La femme va ensuite vers lâarriĂšre et ouvre vite la porte Ă doubles battants en grand, attrape un chariot de livraison rouge et lâinstalle devant lâouverture. Elle monte ensuite dans le camion et en ressort avec un grand carton qui semble lourd, quâelle met sur le chariot, va en chercher un autre, puis un autre. Elle referme trĂšs violemment les deux portes et part avec son diable extrĂȘmement chargĂ© et plus haut quâelle. On sent quâelle fait ça depuis longtemps et quâelle a vraiment lâhabitude de tous ces gestes. On la suit du regard. On pense aux forts des halles », aux images anciennes de ceux qui portent les marchandises, caisses, cagettes empilĂ©es aux abords des marchĂ©s. Les costauds et une costaude. 24 novembre 2020 Un homme jeune qui conduit une petite voiture banale. Il fait beau, la vitre de sa portiĂšre est entiĂšrement baissĂ©e et il a un bras repliĂ© posĂ© sur la fenĂȘtre. Sur le coude, enfilĂ© dans le bras, son masque bleu. Il est chĂątain, des cheveux courts, un visage ovale avec une assez grande bouche. On ne distingue pas le haut de son visage car il porte des lunettes de soleil qui en mangent tout le haut. Il est habillĂ© dâune chemise bleu clair, le col ouvert et les manches retroussĂ©es assez haut. Une musique sort de la voiture mais elle nâest pas forte, on ne reconnaĂźt pas ce que câest mais on pense Ă du rap amĂ©ricain. Il attend tranquillement Ă un long feu rouge dans la voiture juste Ă cĂŽtĂ© de nous. On met du temps Ă comprendre ce qui attire notre attention. Une cigarette. Il a, suspendue Ă ses lĂšvres, une cigarette allumĂ©e qui fume sans ĂȘtre tenue par une main. Cette image nous surprend. Pourtant on lâa vue et revue trĂšs souvent notamment quand des fumeurs sont au volant mais elle est devenue tellement rare quâelle nous saisit et quâon pense non pas Ă ces scĂšnes vues mais Ă des images de cinĂ©ma, Ă Belmondo nonchalamment accoudĂ© Ă la fenĂȘtre ouverte de sa belle voiture, la clope au bec. On pense que ce jeune homme nâa rien de cela dans la tĂȘte mais malgrĂ© lui, il rejoue la scĂšne. La musique, le soleil, les lunettes, la pose, la fumĂ©e de la cigarette, la maniĂšre dont elle tient entre les lĂšvres et penche Ă peine, tout y est. On essaie, un instant, dâoublier le rectangle bleu du masque pour que le glamour et une pointe de nostalgie reviennent. 23 novembre 2020 Un homme assis sur des rochers qui forment une petite digue artificielle qui entre dans la mer. Il est assez jeune, une trentaine dâannĂ©es, peut-ĂȘtre. Il a des cheveux bruns, courts et on ne voit pas son visage. Il porte des chaussures de marche en cuir gris, on distingue des chaussettes beiges puis un pantalon gris foncĂ© en toile. Il est ensuite habillĂ© dâune chemisette noire avec des motifs jaunes et dâune doudoune sans manches grise. Il a gardĂ© son sac Ă dos dont on voit les deux bretelles sur ses Ă©paules. Au poignet, il porte une montre et son masque bleu. Sa tĂȘte est penchĂ©e en permanence sur son tĂ©lĂ©phone portable. Il ne regarde rien, ni la mer, ni la plage, ni la ville. Il ne bouge quasiment pas et observe son portable sans tĂ©lĂ©phoner, sans parler, sans jouer, comme sâil visionnait une vidĂ©o ou un film. Tout Ă coup, il range son tĂ©lĂ©phone dans la poche de son pantalon, se lĂšve, rajuste sac Ă dos et part. On remarque alors que que la femme qui Ă©tait en maillot de bain pas loin de lui, sur la plage, sâest rhabillĂ©e et sâen va. Il la suit. Quand elle sâarrĂȘte, on pense quâelle lâattend et quâils sont venus ensemble mais non, il la dĂ©passe un peu gĂȘnĂ©, elle a le visage tendu et attend un moment, puis reprend sa marche. On ne sait sâil a voulu la suivre ou si câest un hasard. Mais jamais tout ce temps, il ne lâa regardĂ©e ou nâa essayĂ© dâengager la conversation. Il nâa rien vu ni rien regardĂ©, peut-ĂȘtre que dâĂȘtre lĂ , pas si loin des autres, avec le bruit de la mer lui suffit. 21 novembre 2020 Une femme dâune soixantaine dâannĂ©es ou peut-ĂȘtre plus sur un marchĂ©. Elle boit un cafĂ© debout dans un gobelet en plastique et parle avec une autre femme. Dâune main, elle tient son cafĂ©, de lâautre une cigarette roulĂ©e. Elle est assez petite et trĂšs mince. Elle est chaussĂ©e de baskets Ă talons compensĂ©s en cuir brun avec des lacets dorĂ©s. On entraperçoit des chaussettes dâun rose argentĂ© puis elle porte un pantalon de type sarouel en un tissu fluide entiĂšrement dorĂ©. En haut, elle a un tee-shirt avec des manches ou un pull lĂ©ger brun et par dessus un paletot en fausse fourrure rousse aux longs poils. Elle a des nombreux bijoux et notamment des colliers dorĂ©s de toutes tailles autour du cou et de grandes boucles dâoreilles qui sont comme des mutliples chaines qui descendent le long de son cou. Elle a une coupe au carrĂ© trĂšs stricte avec une frange coupĂ©e au cordeau, ses cheveux sont orange et nous font penser Ă la couleur du hennĂ©. Son visage est bronzĂ© sans maquillage, la bouche petite, le nez pointu et les yeux trĂšs bruns. Elle parle avec beaucoup dâexpressivitĂ© en faisant de grands gestes. On peut voir son visage car elle a son masque sur le menton. Elle se tient trĂšs droite avec un maintien qui Ă©voque celui des danseuses. Sa forte prĂ©sence dans lâespace et la maniĂšre dont elle est habillĂ©e font quâon la remarque et quâon pense immĂ©diatement en la regardant quâelle a fait de la scĂšne, une actrice ou une circassienne. En tous les cas, câest que quâelle veut que lâon pense. Câest trĂšs rĂ©ussi. 20 novembre 2020 Une femme dâune quarantaine dâannĂ©es sur la plage de galets. Nous sommes en plein hiver mais elle est en maillot de bain comme quelques autres dissĂ©minĂ©s tout le long de la mer. Elle porte un maillot deux-piĂšces vert et a coiffĂ© ses cheveux longs et orange dâun grand chignon au sommet de sa tĂȘte. Assise, elle lit un livre posĂ© sur le sol. Elle est installĂ©e sur une serviette orange et Ă cĂŽtĂ© dâelle, il y a un sac Ă dos noir assez volumineux. On pense quâelle est une habituĂ©e qui vient tous les jours de soleil se baigner comme il y en beaucoup dans cette ville au doux climat. A un moment donnĂ©, elle se lĂšve et se rhabille directement sur son maillot avec un legging gris, un haut assez large avec un grand dessin rouge et noir japonisant reprĂ©sentant des pins et une montagne. Elle range ses affaires dans son sac, met un blouson assez grand et long, trĂšs fin, de couleur mauve avec des bandes roses aux Ă©paules. Elle enfile son sac Ă dos et part. De tous ceux qui sont sur la plage, elle est la seule qui nâa pas consultĂ© son tĂ©lĂ©phone portable. En partant, on voit son visage se durcir. Lâhomme qui Ă©tait sur la petite jetĂ©e, pas trĂšs loin dâelle, et qui lui nâa pas quittĂ© son tĂ©lĂ©phone des yeux, se lĂšve aussi et la suit. Câest peut-ĂȘtre un hasard mais cela ne lui plaĂźt pas. Elle sâarrĂȘte et attend quâil la dĂ©passe. Elle veut ĂȘtre seule et le lui montre. 19 novembre 2020 Un couple de personnes ĂągĂ©es Ă la caisse dâun magasin Bio. Il est dans un fauteuil roulant. Il est habillĂ© dâun jean, dâun pull bleu foncĂ© et de chaussures en cuir marron. Sur ses genoux, il tient un sac de femme en cuir marron assez grand. Il est trĂšs souriant avec un visage rond et des yeux trĂšs bleus. Elle est assez grande, mince et est vĂȘtue dâun pantalon beige de type chino », dâun chemisier rose et dâun gilet beige aussi. Elle a des bottines en cuir naturel aux pieds. Ses cheveux gris sont en chignon. Elle a un beau visage avec des grands yeux en amande qui nous semblent gris derriĂšre des lunettes. Elle tient Ă la main un sac en tissu et range les courses dans le sac, puis se tourne vers lui, cherche son porte monnaie dans le sac quâil a sur les genoux et paie. Elle range son porte monnaie dans le sac quâelle pousse un peu, puis elle pose sur les genoux de son mari, le sac de courses. Il ouvre les bras de maniĂšre grandiloquente et sur le ton de la plaisanterie, dit en fait, câest pratique, non ? » prenant Ă tĂ©moin le caissier pendant quâelle rit doucement en secouant la tĂȘte. Le caissier semble trĂšs embĂȘtĂ© et ne sait sâil doit rire ou faire comme si de rien nâĂ©tait, il choisit de sourire poliment. Elle regarde son mari avec une infinie tendresse, et lui sourit. Il tourne les roues de son fauteuil, elle prend les poignĂ©es et le pousse. Ils partent. Ensemble. 18 novembre 2020 Sur le grand trottoir de la promenade du bord de mer, on voit une poussette noire, seule, proche de la rambarde. On regarde donc un peu en contrebas et on voit une jeune femme assise en tailleur et un trĂšs jeune enfant, presque encore un bĂ©bĂ©, allongĂ© sur le dos. Il est complĂštement Ă plat, bras et jambes Ă©cartĂ©s avec un foulard rose sur le visage que lâon ne distingue donc pas. Il est posĂ© Ă lâendroit de la plage oĂč il y a des tous petits galets. A cĂŽtĂ©, la jeune femme roule une cigarette, lâallume et se penche sur son tĂ©lĂ©phone. On comprend que ce bĂ©bĂ© sâest endormi dans sa poussette et, comme les chaises et les bancs pour sâasseoir ont Ă©tĂ© enlevĂ©s, sa mĂšre ou sa nounou a prĂ©fĂ©rĂ© sâarrĂȘter et lui laisser faire sa sieste. Pourtant quelque chose nous retient comme le souvenir dâune image triste. Le corps de lâenfant semble comme abandonnĂ©, presquâĂ©chouĂ©. On pense que câest parce quâil est posĂ© lĂ sans sa poussette, sans couverture, sans serviette, le corps directement sur les petits galets. On regarde un moment lâenfant, son doudou sur le visage, et on ne sait ce quâon guette mais on ne sâen va quâaprĂšs lâavoir vu bouger et que sa mĂšre ou sa nounou, le regarde, se lĂšve, lui remette son doudou, et se rĂ©installe tranquillement. Comme si on attendait quâune image de douceur vienne effacer le souvenir diffus et poignant qui nous a assailli. 17 novembre 2020 Une enfant de deux ans assise sur ses pieds qui regarde avec une attention extrĂȘme une fleur, un pissenlit. Elle est dans un grand jardin public et au bord de la pelouse, elle a vu la fleur jaune. Elle est habillĂ©e dâune large salopette en jean, de chaussures en cuir rouge montantes et dâun manteau en velours cĂŽtelĂ© beige, doublĂ© dâun tissu au motif fleuri. Le manteau est ouvert et on voit quâelle porte une cagoule qui a Ă©tĂ© baissĂ©e et qui lui entoure le cou. Elle est brune avec une frange et un carrĂ© sous les oreilles. Le visage est encore trĂšs rond avec un menton dĂ©jĂ dessinĂ©, un nez fin, une petite bouche et des grands yeux bruns presque noirs. Elle ne bouge pas et regarde la fleur, puis la touche lentement. Elle est trĂšs sĂ©rieuse. Elle cherche visiblement Ă comprendre. Elle regarde autour, ne voit pas dâautre fleur, elle la touche Ă nouveau. Elle doit hĂ©siter Ă la cueillir. Elle rĂ©flĂ©chit et se met Ă regarder au loin avec ses grands grands yeux bruns qui deviennent Ă la fois intenses et presque rĂȘveurs. On se dit quâelle a, Ă ce moment-lĂ , le visage et le regard quâelle aura plus tard, quelque chose de presquâabsent Ă force de concentration et de rĂ©flexion. Comme quand elle emboite des choses avec prĂ©cision ou comme quand elle fera des puzzles avec passion. Elle est encore une toute jeune enfant et on pressent tout cela, on la voit quand elle aura trente ans. 16 novembre 2020 Une dame dâune cinquantaine dâannĂ©es qui se promĂšne au bord de la mer. Elle est assez petite, avec les cheveux dâun noir de jais assez courts et frisĂ©s. Elle est habillĂ©e dâun jean Leviâs serrĂ©, dâun tee-shirt Ă manches longues noir et dâune doudoune, sans manches, noire et brillante. Elle a une assez longue Ă©charpe fine, rose avec des motifs floraux trĂšs pĂąles, nouĂ©e sur le devant. Aux pieds, elle porte des hautes baskets blanches. On voit peu son visage avec le large masque noir et les grandes lunettes de soleil. On lâentend parler et on pense quâelle dialogue avec la jeune femme qui marche avec elle, pourtant elle dit allez, les filles, vous ĂȘtes un peu fatiguĂ©e, hein ? On va faire demi-tour ». On voit alors quâelle parle Ă deux petits chiens quâelle tient en laisse. Ce sont deux tout petits chiens de couleur sable, avec une tĂȘte un peu Ă©crasĂ©e et des grands yeux presque globuleux. Pendant toute la promenade, elle parlera sans cesse Ă ses filles » et ne parlera que dâelles Ă lâautre personne notamment pour dire ce sont des chihuahuas, elles ont trĂšs mauvais caractĂšre». On comprend quâelle utilise cette heure de promenade pour ses chiennes qui, comme elle lâexplique, ont besoin de se dĂ©gourdir les pattes » et qui adorent lâair de la mer mais ne supportent pas de marcher dans les galets ». On ne sait si la jeune femme qui lâaccompagne aime les chiens et pose des questions Ă leur propos car elle parle trĂšs doucement. On a lâimpression quâelles ne se connaissent pas bien et que les chiens leur ont permis de faire connaissance. On regarde les deux filles » qui trottinent indiffĂ©rentes et se mettent Ă sentir fiĂ©vreusement les pieds dâun banc et tirent sur leur laisse. Comme tous les chiens. 15 novembre 2020 Les bruits dans le chemin sont plus nombreux, les voix dans les jardins nous parviennent, la ville est un peu adoucie. Câest dimanche. Alors, comme il faut bien que quelque chose vienne rythmer les jours et les semaines, le dimanche, il nây aura pas de description. Un rituel inversĂ©, une scansion par le silence. 14 novembre 2020 Une vieille dame qui sâappuie sur une moto rouge. La vision est trĂšs Ă©trange et nous saisit au bas du chemin qui longe notre maison. Une moto sportive rouge y est souvent garĂ©e devant un petit portail toujours fermĂ©. DerriĂšre le portail des escaliers doivent mener Ă une maison. La vieille dame, que lâon avait jamais vue, est appuyĂ©e sur la moto avec beaucoup dâassurance, son torse au niveau de la selle et elle a un bras appuyĂ© sur le haut rĂ©servoir. De lâautre cĂŽtĂ©, elle a posĂ© son sac Ă main sur lâarriĂšre de la selle et de sa main, tient une longue canne. Elle est habillĂ©e pour sortir et, malgrĂ© la douceur du printemps, elle a un manteau bleu clair boutonnĂ©, un foulard, qui est peut-ĂȘtre en soie, bleu foncĂ© nouĂ© autour du cou et rentrĂ© dans lâencolure du manteau. Aux pieds, elle a de courtes bottines dont on peut se demander si elle ne sont pas fourrĂ©es. Elle est assez menue, elle a les cheveux courts et une mise en plis en petites boucles. Le petit portail est ouvert et on comprend quâelle a dĂ» descendre de sa maison par lĂ et quâelle doit attendre quelquâun ou quâune voiture passe la prendre, fatiguĂ©e, elle sâappuie sur la moto. Le rouge trĂšs vif, la brillance du mĂ©tal et le design affutĂ© viennent heurter la douceur un peu passĂ©e de la vieille dame. Pourtant, elle semble trĂšs Ă lâaise et mĂȘme assez contente semble-t-il. On se dit que peut-ĂȘtre elle aime les motos, quâelle en a fait beaucoup, quâelle est une passionnĂ©e de courses. On pressent une assurance ancienne dans sa maniĂšre dâĂȘtre adossĂ©e au bolide, une libertĂ©, qui nous ravit. 13 novembre 2020 Une famille dans le chemin qui longe votre maison. Ils sont cinq, les parents et trois garçons. On les entend avant de les voir. Les jeunes garçons semblent se courir aprĂšs, on perçoit leurs rires, leurs cris et ils dĂ©valent la pente. Les parents marchent dâun bon pas. On entend le pĂšre dire il faudrait quâon les appelle, on le les voit plus, il y a la route en bas ». Elle ne rĂ©pond pas, peut-ĂȘtre acquiesce-t-elle dâun geste car il crie les enfants, les enfants, venez ». Ils rĂ©pondent oui » en chĆur et remontent la route toujours en courant et en sâattrapant. Ils arrivent Ă la hauteur de leurs parents essoufflĂ©s. On les dĂ©couvre Ă ce moment-lĂ . Les trois garçons sont tous les trois habillĂ©s pareil dâun jean et dâun tee-shirt Ă manches longues bleu, ils sont une doudoune lĂ©gĂšre nouĂ©e autour de la taille bleu marine et des baskets. Ils doivent avoir environ cinq, huit et dix ans. Les parents sont habillĂ©s simplement de jean, elle a un chemisier blanc assez large et lui un tee-shirt blanc. A leur pieds les mĂȘmes baskets blanches, lui portant un lĂ©ger sac Ă dos. Elle tient Ă la main quelques fleurs ramassĂ©es plus haut sur le bord du chemin. Ils sont Ă©tonnants dâharmonie et mĂȘme un peu inquiĂ©tants. On pense aux images publicitaires avec des familles parfaites en train de gambader dans les champs pour nous vendre de la lessive ou des cĂ©rĂ©ales de petit-dĂ©jeuner. Ce qui rend la scĂšne diffĂ©rente est quâils sont tous masquĂ©s. Mais tous les masques sont âfaits maisonâ en tissu bleu clair. Cela nous fait sourire de voir que la volontĂ© dâun accord colorĂ© pastel va jusque-lĂ . Ils sont rĂ©unis devant notre portail et les enfants boivent de lâeau Ă la bouteille. Ils discutent posĂ©ment un moment et dĂ©cident de prendre le petit chemin qui part sur la droite. DĂšs la dĂ©cision prise, on voit les enfants courir en poussant des hurlements. On les entend Ă nouveau rire et crier. Cela nous rassure. 12 novembre 2020 Un homme dĂ©jĂ ĂągĂ©. Il semble grand car il est trĂšs maigre. Il est habillĂ© dâun jean Leviâs classique assez neuf et dâun pull marine Ă col en V sur un tee-shirt blanc. Au pied, des chaussures en cuir naturel de style anglais. Il est Ă la fois cool et Ă©lĂ©gant et porte bien une certaine nonchalance. Au bout de ce corps comme une tige frĂȘle, une tĂȘte assez longue avec un menton fort, deux yeux bruns et une touffe de cheveux Ă©trange. Ils sont frisĂ©s, avec une couleur chĂątain un peu indĂ©finie, et certainement teints,Ă©tant donnĂ© son Ăąge, et leur longueur cache quâils sont clairsemĂ©s. On a le sentiment Ă le voir que câest un grand timide qui bouge avec maladresse. Autour de lui on sâempresse pour lâaider, lui expliquer comment ça marche zoom, instagram, facebook pour quâil puisse chanter. On le sent mal Ă lâaise mais en mĂȘme temps dans ses gestes flous, on perçoit des gestes dĂ©cidĂ©s, la guitare, le micro, le coup dâĆil aux autres musiciens, le regard dans la camĂ©ra, tout dâun grand professionnel. On ne sait si cet air empĂȘtrĂ© est celui qui se donne pour coller Ă son image ou bien si câest vraiment comme cela quâil bouge et que ce nâest que dans son mĂ©tier quâil sait se dĂ©brouiller avec le rĂ©el. On se dit que face Ă ces images dĂ©versĂ©es chez nous qui voudraient nous montrer du vrai, on ne sait plus du tout comment regarder ce que lâon voit. MĂȘme si on est sensĂ© surprendre cet homme public chez lui, tout est pensĂ© et tout a Ă©tĂ© Ă©videmment minutieusement prĂ©parĂ©. Heureusement quâil se met Ă chanter car on a failli sâĂ©chapper pour ne plus regarder une image faussĂ©e dans une fausse situation. 11 novembre 2020 Câest dâabord un bruit. On ne lâentend que la journĂ©e, il est assez proche derriĂšre la premiĂšre rangĂ©e dâarbres. Au dĂ©but, quand on est arrivĂ©e, on nây a pas prĂȘtĂ© attention puis quand on a cherchĂ© ce que ça pouvait ĂȘtre, on a vite compris. Poc, poc, poc, poc, poc, parfois pendant trĂšs longtemps. On a associĂ© le bruit aux cours de tennis universitaires en contrebas. On a pris lâhabitude dâĂ©couter. On arrive maintenant Ă faire la diffĂ©rence entre les entraĂźnements et les matchs. Lors des entraĂźnements, les Ă©changes sont trĂšs longs, parfois nous semblent infinis. Alors que lors de matchs, les Ă©changes sont courts et ponctuĂ©s de cris ; des cris dâefforts, des cris de dĂ©pits, des injures, des exclamations arrivent jusquâĂ nous comme une maniĂšre dâhumaniser le tempo abstrait du poc. On finit par reconnaĂźtre certains joueurs rĂ©guliers. Il y a une jeune femme qui pousse un grand cri Ă chaque coup que lâon a surnommĂ©e Monica Seles, il y a un homme qui chaque fois quâil perd un point lance un tonitruant âet, merdeâ, il y a deux hommes qui jouent souvent lâun contre lâautre et qui se parlent, qui rient, il y a un jeune homme qui dit âoh, nonâ en appuyant longuement sur le on et tous les cris de joie quand ils gagnent. Et puis il y a lâentraĂźneur, on lâentend peu mais parfois, il dit âmais, nonâ sonore et sec. On entend parfois mĂȘme, quand le vent est favorable, la diffĂ©rence entre les coups suivant comment est frappĂ©e la balle. Savoir la prĂ©sence des joueurs que lâon imagine courant, suant, Ă deux pas de nous, nous suffit. On nâa jamais eu envie dâaller voir, on prĂ©fĂšre rester dans la distance avec le bruit comme un mĂ©tronome qui scande doucement nos journĂ©es. 10 novembre 2020 Une trĂšs vieille dame qui se promĂšne dans le marchĂ© des antiquaires. Elle est chaussĂ©e de baskets montantes, compensĂ©es, avec des dĂ©corations dorĂ©es et des lacets rose vif. Elle est ensuite habillĂ©e dâun pantalon moulant ou dâun legging lĂ©opard et dâun haut large, en un tissu souple, avec des motifs floraux de toutes les couleurs. Elle est coiffĂ©e dâun chapeau trĂšs large qui fait penser Ă une capeline rouge avec un ruban noir. Elle nâest pas grande, voutĂ©e et doit ĂȘtre assez maigre car, mĂȘme sâil est trĂšs serrĂ©, son pantalon flotte un peu. Elle marche lentement et fait le marchĂ© sĂ©rieusement, se penche, regarde tout et trĂšs souvent parle avec les marchands dont certains semblent bien la connaĂźtre. Sa tenue extravagante fait se retourner les gens mais elle nâa pas lâair du tout de sâen apercevoir. On la perd de vue. On est Ă©tonnĂ© de la retrouver presquâĂ la fin du marchĂ© qui est pourtant grand. Elle nâa rien achetĂ©. On pense quâelle aussi fragile que ce qui est exposĂ© et avec amusement, on se dit quâelle est certainement aussi vieille que certains objets. Dâailleurs, elle regarde des objets qui ne sont pas les plus beaux, les plus anciens, mais plutĂŽt des objets du quotidien, des pots, des assiettes, des tissus, des nappes, des chemises blanches brodĂ©es. On se demande si elle ne vient pas lĂ pour retrouver chaque semaine des choses de son passĂ© auquel elle rend hommage dans ses beaux habits chamarrĂ©s. 9 novembre 2020 Un homme dâune cinquantaine dâannĂ©es dans un magasin qui fabrique et vend des sandales depuis de longues annĂ©es dans le centre dâune petite ville trĂšs touristique. La boutique est jolie et Ă©lĂ©gante et met en Ă©vidence le savoir faire ancien de cette marque en ayant une baie vitrĂ©e qui donne sur les ateliers oĂč des gens travaillent le cuir. Il est habillĂ©e dâun pantalon brun Ă pinces, en coton lĂ©ger, dâune chemisette blanche repassĂ©e et est, bien entendu, chaussĂ© de sandales en cuir naturel de la marque. Il est masquĂ© mais on voit quand mĂȘme Ă ses yeux et les rides de son front, au ton de sa voix haut perchĂ©e, quâil veut montrer quâil est le chef de la boutique et que les deux jeunes femmes sont ses assistantes. Quand on arrive, habillĂ©e simplement, le vendeur nous regarde Ă peine et se consacre aux deux clientes dĂ©jĂ prĂ©sentes qui font sortir des dizaines de sandales. Une des deux jeunes femmes sâapprochent de nous. Quand il comprend que nous ne sommes pas lĂ pour visiter la boutique mais pour acheter des sandales, il se prĂ©cipite vers nous, fait un petit signe Ă la jeune femme qui sâefface. Il nous dit vous avez vos mesures pour la maison ? » avec un ton hautain. Il prend vos mesures et vous apporte des sandales comme sâil vous rendait un service. Vous vous demandez comment il fait sâil porte le mĂ©pris en bandouliĂšre au quotidien alors quâil fait juste son mĂ©tier. On se dit quâil aurait voulu autre chose, quâil a rĂȘvĂ© dâun ailleurs et quâil ne peut empĂȘcher cette amertume de teinter toutes les jolies chaussures. 8 novembre 2020 Une femme dâun certain Ăąge dans les rues dâune grande ville, elle doit avoir au moins soixante ans. Elle est assez petite et menue. Ses cheveux sont longs, trĂšs noirs avec les pointes rouges vifs. Elle porte une chemise lĂ©gĂšre dont on sâaperçoit quâelle est faite de deux grands foulards noirs avec des motifs rouges. Les deux foulards sont juste nouĂ©s sur les Ă©paules et tenus par une ceinture en cuir ou simili cuir assez Ă©paisse et noire Ă la taille. Quand elle marche, on entraperçoit son buste sous les bras et on voit quâelle est nue dessous. Un legging noir trouĂ© volontairement par des scarifications horizontales sur les cuisses et les genoux complĂšte sa tenue. Aux pieds, elle a des baskets Ă talons compensĂ©s noires. Elle marche dans la rue comme si elle dĂ©filait sous le regard des gens attablĂ©s aux terrasses des cafĂ©s. On ne sait si elle cherche Ă ĂȘtre provocante ou si elle a juste envie dâĂȘtre regardĂ©e. Elle ne semble pas du tout ressentir les moqueries de certains dites Ă mi-voix. On voit que sa dĂ©marche que lâon croyait volontairement lente, est en fait lourde et que son corps pourtant mince est comme tassĂ©. Elle traĂźne ses Ă©normes baskets et Ă chaque pas oscille dedans. On pense au culbuto ». Elle semble, en rĂ©alitĂ©, assez indiffĂ©rente aux regards sur elle comme si lâattention portĂ©e Ă sa tenue tenait plus de la survie, de la volontĂ© de ne pas dĂ©river. De lutter contre une dĂ©faite. Chaque pas comme un baroud dâhonneur. 7 novembre 2020 Un petit palmier, mais haut, tout droit. AprĂšs avoir beaucoup cherchĂ© pour essayer de savoir sâil Ă©tait un palmier de Washington, du Mexique ou un chamaerops, il semblerait que ce soit un palmier de Chine rustique et dont trĂšs courant en Occident ». Il a un trĂšs long tronc, fin et les palmes forment comme un plumeau perchĂ© au sommet. Il est en bordure dâune planche dans un jardin et il se dĂ©tache donc tout seul sur le paysage. A son pied, une plante assez basse, laissant toute sa hauteur se dĂ©ployer seule. Il contraste avec le reste du jardin plutĂŽt dense. Quand on le regarde, il fait un peu de peine, il frise le ridicule. On ne peut jamais le voir sans lâarriĂšre plan de la maison, ou de la colline et ses constructions ou devant le ville et la mer, suivant le point de vue. Evidemment, câest quand il est devant lâarc presque parfait de la baie et la mer quâil est le plus beau, quâon comprend quâil ait Ă©tĂ© plantĂ© lĂ . Mais ses proportions et son isolement en font un arbre un peu dĂ©gingandĂ©, comme un adolescent trop vite poussĂ©. Il a un camarade sur la colline dâen face qui est exactement dans la mĂȘme position mais encore plus haut et qui se dĂ©tache donc seul sur la ligne de crĂȘte. Quand il y a du vent, ses branches craquent et se frottent entre elles avec un bruit trĂšs caractĂ©ristique, comme un crissement qui Ă©voque un doux bruit de batterie ou un criquet. Câest ce son quâon attend chaque matin quand le vent souffle, ce son presque animal, entre exotisme et familiaritĂ© qui fait que cet arbre bruissant se dĂ©ploie et trouve sa place. 6 novembre 2020 Une jeune femme dans le chemin devant chez vous. Elle est habillĂ©e dâune doudoune grise, courte et lĂ©gĂšre sur un haut blanc, dâun pantalon beige serrĂ© aux chevilles et de baskets blanches Ă lacets. Elle est coiffĂ©e dâune courte queue de cheval, et porte des petites lunettes sur un visage plutĂŽt rond avec une fossette au menton. Elle ne court pas mais marche Ă vive allure dans la descente. Elle a Ă la main une laisse de cuir brun. On ne voit pas de chien aux alentours. Elle sâarrĂȘte et siffle Ă plusieurs reprises puis en soufflant, remonte la rue toujours en sifflant. Elle vous salue et continue. Elle doit remonter presque toute le chemin. Elle finit par appeler allez, Pepsi, viens, Pepsi ». Tout Ă coup, un chien blanc qui ressemble Ă un chien loup mais plus fin, surgit comme sâil sâĂ©tait cachĂ© derriĂšre un mur, il la regarde, aboie, et file en courant dans le chemin qui descend. Elle dit mais non, Pepsi », le chien sâarrĂȘte, la regarde, et repart. On dirait vraiment quâil lui fait des blagues et quâil joue Ă cache cache ou Ă trap-trap. Elle repasse en courant devant vous et en riant, elle vous redit bonjour et elle continue en criant Pepsi, si tu continues, je ne joue plus ». Cette phrase vous ramĂšne dans les cours de rĂ©crĂ©ation Ă ceux qui chaque fois quâils perdaient, quâils Ă©taient le chat » , dĂ©cidaient de ne plus jouer ou de changer les rĂšgles du jeu. Un parfum de lâenfance qui remonte dans le silence de la ville. 5 novembre 2020 Une voix amie au tĂ©lĂ©phone. Vous ne vous connaissez pas depuis longtemps, vous vous ĂȘtes rencontrĂ©es dans votre milieu professionnel commun et vous avez tout de suite sympathisĂ©. Peu Ă peu vous ĂȘtes devenues alliĂ©es, puis copines et enfin amies. Vous ne travaillez plus ensemble mais vous continuez Ă vous appeler de temps en temps. A peine les premiers mots banals Ă©changĂ©s, elle commence Ă parler Ă toute vitesse sans reprendre son souffle et vous assomme de rĂ©cits dĂ©taillĂ©s de son quotidien de travail qui a Ă©tĂ© le vĂŽtre, mais qui ne lâest plus. Vous avez du mal Ă suivre mais vous essayez vaillamment. Elle raconte les luttes autour de son poste et de ses fonctions dont elle doit bien avouer que cela ne va pas si bien. Vous vous rendez compte que toutes ses phrases commencent par comme je lâavais dit ». Elle est sans cesse en train dâessayer dâaffirmer Ă tout prix quâelle avait prĂ©vu, anticipĂ©, annoncĂ©, quâelle nâa pas Ă©tĂ© Ă©coutĂ©e, quâelle savait. Quand elle se met Ă parler de tout cela et de plus en plus vite, sans que vous ne disiez un mot, sa voix dĂ©jĂ trĂšs aigĂŒe, monte encore. Vous avez le sentiment quâelle sâĂ©nerve toute seule comme si votre prĂ©sence muette lâobligeait Ă se justifier alors que vous ne lui demandez rien sinon comment elle va. Justement. Vous vous apercevez quâelle nâa pas dit un mot dâelle en rĂ©alitĂ©. De ce que vous savez de sa solitude. Elle parle, elle meuble, elle joue la montre, pour ne pas vous rĂ©pondre, pour ne pas dire. Pour elle, ce serait comme un aveu, et elle ne veut pas. Vous ĂȘtes inquiĂšte. 4 novembre 2020 Un homme avec un tee-shirt blanc, un long tablier bleu plastifiĂ© et des haute bottes en caoutchouc se tient devant son petit Ă©tal de poisson. Il est seul sur le parking dâune jardinerie dans les collines au dessus de la ville, il est prĂšs de son petit camion frigorifique et sâabrite sous un parasol rond, assis sur une chaise. Quand vous vous approchez, il se lĂšve, vous lui demandez dâoĂč vient le poisson. Il rĂ©pond prĂ©cisĂ©ment et tous les poissons viennent de lâAtlantique alors que vous ĂȘtes au bord de la MĂ©diterranĂ©e. Vous vous Ă©tonnez et vous pensez au poissonnier dans AstĂ©rix dont le poisson ne vient que de LutĂšce en char. Il vous rĂ©pond quâil a aussi un Ă©tal dans le grand marchĂ© du centre ville que sa femme tient et que lĂ , ils ont tout le poisson de pĂȘche locale pour les connaisseurs. Il dit quâici les gens sâarrĂȘtent rapidement et prennent du poisson facile Ă cuire et Ă manger, câest pour cela quâil a beaucoup de poisson blanc en filets. Il a lâair un peu triste en regardant son Ă©tal, il prĂ©fĂ©rerait certainement ĂȘtre dans la vie bruyante du grand marchĂ©. Mais il raconte quâil a de nombreux habituĂ©s qui nâiraient jamais dans le centre ville et quâau moins ceux-lĂ ne vont pas acheter leur poisson au supermarchĂ©. Cela le rend joyeux de vous dire cela. Vous lui achetez du poisson. 3 novembre 2020 Une voix amie au tĂ©lĂ©phone. Une amitiĂ© trĂšs ancienne qui sâest peu Ă peu dĂ©faite mais qui perdure dâanniversaire en fĂȘte. La conversation dĂ©marre en se racontant oĂč on en est, ce quâon fait en reconstruisant les parcours de chacune, le travail, oĂč en sont les enfants, les choix de vie tellement diffĂ©rents de lâune et lâautre. Comme si vous Ă©tiez autour dâun cafĂ©, vous vous connaissez assez bien pour que peu Ă peu la distance disparaisse comme si vous vous Ă©tiez quittĂ© il y a peu. Pourtant Ă un moment, quand elle dit oui et comme tu lâas dit », vous vous rendez compte que non, ce nâest pas ce que vous avez dit. Alors vous la reprenez et reprĂ©cisez votre pensĂ©e et elle continue comme si vous nâaviez rien ajoutĂ©. Peu Ă peu, Ă petits coups de distorsion de ce que vous avez dit, de ce que vous avez vĂ©cu, de ce que vous auriez pu penser, vous vous rendez compte que la conversation est complĂštement chaotique. De plus en plus, elle se met Ă surinterprĂ©ter tout ce que vous avez dit et Ă partir de lĂ , Ă tenir une discours incohĂ©rent entre la divagation et des affirmations autoritaires presque dĂ©lirantes. Vous ne parlez plus. Vous essayez que votre silence empĂȘche son soliloque de se nourrir de vos mots. Vous Ă©coutez cette dĂ©rive et vous pensez Ă sa solitude. Vous ĂȘtes inquiĂšte. 2 novembre 2020 Deux femmes Ă la table dâun restaurant. La premiĂšre, blonde, ronde, avec une robe assez large et fleurie, est restĂ©e longtemps seule Ă lâattendre en tĂ©lĂ©phonant. Quand la deuxiĂšme arrive, elle-mĂȘme est au tĂ©lĂ©phone et sâaffale sur sa chaise tout en parlant. Quand elles ont fini tous les deux, la nouvelle venue, brune, en tailleur noir avec une chemise blanche au dĂ©colletĂ© vertigineux, sâexcuse et raconte par le menu Ă lâautre tout ce qui lui est arrivĂ© et qui a gĂ©nĂ©rĂ© son retard. Lâautre Ă©coute poliment. La brune parle beaucoup et prend la carte. Lâautre, qui avait dĂ©jĂ regardĂ©, dit quâelle va prendre le poulpe. La nouvelle venue sâexclame quâelle a horreur de ça, que prendre un plat, le midi, câest de la folie, en plus avec une garniture de pommes de terre et quâelle, elle va prendre un poisson. Pendant quâelles attendent leur plat, la blonde explique quâelle a du diabĂšte Ă lâautre qui, immĂ©diatement, rĂ©pond quâelle connait un mĂ©decin qui est spĂ©cialiste du diabĂšte et quâelle lâappelle tout de suite. La femme blonde lâarrĂȘte et lui dit quâelle est soignĂ©e Ă lâhĂŽpital et que tout va bien. La femme brune ne sâarrĂȘte plus de lui donner des conseils, de lui donner des noms de plantes, de lui affirmer quâelle doit absolument changer de mode de vie, et mĂȘme de vie. Lâautre Ă©coute patiemment et est trĂšs soulagĂ©e quand elle voit arriver les plats. Le plat de poisson est Ă©norme mais le femme blonde lâattaque vaillamment comme si de rien nâĂ©tait et continue sa litanie de conseils. A un moment donnĂ©, elle demande je peux ?» et commence Ă piquer des pommes de terre dans le plat de poulpe de son amie. Celle-ci Ă©clate de rire et, dans son fou rire, dit je tâen prie ». 1 novembre 2020 Une jeune femme et son compagnon sont assis Ă une petite table dâun restaurant en compagnie dâune jeune femme anglaise entourĂ©e de valises. Ce restaurant est au bord de la mer et la jeune femme est assise face Ă la vue, son compagnon et la jeune anglaise sont face Ă face et doivent donc tourner la tĂȘte pour voir la mer. La jeune femme se tourne souvent vers la jeune anglaise et lui commente la vue incroyable. On comprend que la jeune anglaise vient dâarriver de lâaĂ©roport et que câest la premiĂšre fois quâelle vient dans cette ville. La conversation se fait en anglais mais la jeune anglaise parle peu, elle a lâair fatiguĂ©e, le couple parle avec animation et lâoublie parfois. Celle-ci de temps en temps, presque subrepticement, se tourne vers la mer et la regarde une main devant les yeux. Quand elle va aux toilettes, la jeune femme dit Ă sa compagnon quâelle ne comprend pas, quâelle a lâimpression que leur amie nâa pas lâair dâĂȘtre contente dâĂȘtre lĂ . Son compagnon rit et lui rĂ©pond que leur amie sâest levĂ©e Ă quatre heures du matin et que si elle voulait que leur amie profite de la vue, elle aurait pu lui laisser la place face Ă la mer plutĂŽt que de se prĂ©cipiter dessus. Elle sait quâelle aurait dĂ» faire cela mais elle nâa pas pu sâen empĂȘcher, elle nâaime pas quâon le lui dise. Elle plonge le nez dans son assiette et nâouvre plus la bouche. Elle se dit que la prochaine fois, elle fera attention. Elle-mĂȘme nây croit certainement pas mais, du coup, elle redresse la tĂȘte et dĂ©cide de jouir de la vue quand mĂȘme, pendant que les deux autres se dĂ©vissent la tĂȘte. Tant quâĂ faire autant en profiter. 31 octobre 2020 Un couple avec une petite fille sont assis Ă la table dâune buvette dans un parc de la ville. Ils sont assez jeunes, habillĂ©s simplement. La petite fille doit avoir six ans, elle est de dos, on voit juste ses pieds qui se balancent dans ses baskets blanches et son gilet rose. Autour des enfants font du manĂšge, des gens passent en courant, des couples boivent des cafĂ©s, des amis se retrouvent, des petites filles jouent Ă la dĂźnette avec de la boue, un homme seul lit. Leur table est petite en plastique vert, et sur cette table carrĂ©e, ils jouent aux dominos. Leurs consommations sont poussĂ©es sur le cĂŽtĂ© et ils sont en plein dans leur partie. La petite fille est trĂšs concentrĂ©e et sâagace quand ses parents parlent dâautres choses ou sont distraits par ce qui se passe aux alentours. Ils sont installĂ©s lĂ , comme sâils Ă©taient chez eux mais sous les oliviers et les pieds dans lâherbe. Quand on les voit, on pense aux parcs en Chine avec les couples qui dansent, les joueurs de dominos et de mahjong et les hommes qui font chanter leur criquet. Ces gens occupant pleinement les jardins publics qui deviennent comme une grande piĂšce commune. Cette maniĂšre de sâinstaller et de se cĂŽtoyer ici et lĂ -bas, nous donne de la joie et un peu de courage. 30 octobre 2020 Un homme qui doit avoir une soixantaine dâannĂ©es. Cela fait des annĂ©es quâon le voit dans notre tĂ©lĂ©viseur. On sait quâil est trĂšs grand, plutĂŽt costaud avec parfois un embonpoint, il a un visage long, avec un grand sourire, un nez droit, des yeux trĂšs bleus et les cheveux blancs en arriĂšre sur un grand front. Il est souvent habillĂ© en casual » chic. Il montre des maisons, des meubles, des objets en un temps donnĂ© avec lâobjectif avouĂ© de valoriser le travail de ceux qui ont Ă©tĂ© choisis. Pour cela, il est terriblement maladroit. On le voit face Ă un jeune Ă©bĂ©niste qui montre avec simplicitĂ© ce quâil fait et il lui dit avec un enthousiasme surjouĂ© mais, alors vous ĂȘtes un crĂ©ateur, un artiste !» et le jeune homme lui rĂ©pond que non, pas du tout », quâil est un artisan et quâĂȘtre artiste, câest autre chose et que lui, il a justement choisi dâĂȘtre un artisan. Il reste un moment Ă©bahi. Cet homme nâait pas encore compris quâen voulant donner Ă toute force Ă tous le titre dâartiste, il dĂ©valorise les mĂ©tiers, les gestes, les savoirs et les choix de ceux quâil semble dĂ©fendre, comme si ce quâils sont nâĂ©tait pas suffisant. On se demande si en faisant cela, il ne veut pas sâinventer en dĂ©couvreur dâart et dâartistes, ne se satisfaisant pas de cette maniĂšre simple de faire des belles choses et voulant donner un autre statut Ă lâĂ©mission quâil prĂ©sente. Personne ne semble lui dire quâil se trompe. 29 octobre 2020 Un homme assis Ă son bureau. On voit quâil est jeune, trĂšs jeune mĂȘme malgrĂ© son masque et sa blouse blanche. Il est dâun blond presque blanc et a des yeux verts, câest quasiment tout ce quâon voit de lui. Il vous demande de vous assoir, de dire ce qui vous amĂšne et vous Ă©coute. TrĂšs vite, il soupire en disant que ce qui a Ă©tĂ© fait avant lui a Ă©tĂ© mal fait, quâil ne comprend pas quâon continue Ă faire comme cela, que câest dĂ©passĂ©. Il ne regarde mĂȘme pas vos anciennes analyses et images mĂ©dicales. Il vous demande de vous installer dans sa machine. Vous devez enlever votre masque. Vous le remettez vite aprĂšs pour quâĂ nouveau vous soyez tous les deux Ă Ă©galitĂ©. Il vous pose quelques questions sans mĂ©nagement. Il vous inquiĂšte. Il le sent et il sâen moque, il ne cherche absolument pas Ă vous rassurer, ce qui lui importe est de bien montrer que lui, il sait et quâil va faire mieux. Vous ne savez sâil faut mettre cela sur la compte de la jeunesse ou sur lâinĂ©vitable lutte entre mĂ©decins, radiologues, spĂ©cialistes dont vous ĂȘtes le jouet depuis des annĂ©es. Prise entre la lassitude et lâindulgence, vous repartez quand mĂȘme avec lâinquiĂ©tude quâil a instillĂ©e en vous. Il nâen a cure, les clichĂ©s sont parfaits. 28 octobre 2020 Une trĂšs jeune femme marche dans les rues dâune grande ville avec un homme jeune, aussi. Ils parlent avec animation. Elle est entiĂšrement habillĂ©e dâune robe et dâun voile vert dâun seul tenant qui lui couvrent tout le corps et les cheveux. Son visage trĂšs blanc est mis en valeur par la couleur dâun vert soutenu qui lâentoure entiĂšrement. Elle a un sac Ă dos en cuir noir sur une Ă©paule et est chaussĂ©e de baskets noires montantes en tissu Ă©lastique sur une semelle blanche. Elle pousse une trottinette Ă©lectrique noire assez haute. A un carrefour, il sâarrĂȘtent et continuent de parler. Puis elle met son sac Ă dos sur ses Ă©paules, monte sur sa trottinette et part. Elle a un grand sourire aux lĂšvres et va assez vite. La robe dĂ©ployĂ©e comme des ailes, vole de chaque cĂŽtĂ© de son corps avancĂ© et trĂšs droit. Elle semble sâouvrir majestueusement un chemin dans la ville devenu un espace de libertĂ©. Elle sâĂ©loigne ailĂ©e, avec une aisance Ă la fois citadine et sauvage. On pense Ă la Victoire de Samothrace et Ă cet Ă©lan joyeux que lâon ressent chaque fois quâon la redĂ©couvre perchĂ©e. Des figures de proue au corps dressĂ© qui fendent lâespace et dessinent des lignes de fuite fulgurantes. 27 octobre 2020 Une petite fille de cinq ans sur un manĂšge. Elle a des cheveux frisĂ©s chĂątains, un petit visage fin, un peu pointu, et est habillĂ©e simplement dâun pantalon noir et dâun tee-shirt rose. A ses pieds, des petites baskets blanches. Elle est avec une copine du mĂȘme Ăąge. Le manĂšge est ancien avec des chevaux de bois qui montent et descendent, des calĂšches, ⊠En arrivant la petite fille sâarrĂȘte, regarde et voit que sa copine va vers les chevaux, elle hĂ©site et va dans une calĂšche. Quand le manĂšge part, on voit quâelle se tient fermement alors que la calĂšche ne bouge pas. Elle se dĂ©tend peu Ă peu et finit par sortir la tĂȘte et regarde sa copine qui monte et descend sur son cheval. Quand le tour est fini, elles peuvent en faire un autre. La petite fille hĂ©site Ă nouveau. Sa copine va vers une sorte de nacelle qui tourne, la petite fille fait un pas vers la nacelle, regarde les chevaux, et puis trĂšs vite, elle crie moi, jâadore la calĂšche » et y retourne en sây jetant presque. On comprend quâelle a peur, quâelle nâaime pas quand ça bouge, quand ça tourne, quâelle a besoin pour profiter du manĂšge dâĂȘtre dans un endroit qui la rassure, le doux mouvement de celui-ci lui suffit pour rĂȘver. Comme on la comprend. 26 octobre 2020 Une femme assise sur un banc dans un jardin public dâune grande ville. Elle est Ă lâombre dâun des nombreux oliviers. Elle a de longs cheveux frisĂ©s, Ă©pais, de couleurs roux foncĂ© qui nous fait penser Ă un hennĂ© et une frange dense prĂšs des yeux. Le visage est marquĂ©, elle a les yeux fait avec du noir assez dense et une bouche large. Elle porte des baskets brunes, un jean assez serrĂ©, un chemisier avec de larges motifs rouges et une veste courte en cuir marron. De loin, on la voit bouger et faire des gestes avec une main. Dans lâautre main, elle tient un tĂ©lĂ©phone portable devant elle et on entend distinctement ce que dit son interlocutrice. Elle a mis le haut-parleur et parle elle-mĂȘme au tĂ©lĂ©phone comme si câĂ©tait quelquâun. Tous les promeneurs peuvent entendre leur conversation. Elle essaie souvent dâinterrompre lâautre qui semble parler beaucoup en disant et oui, et oui, quel malheur, et comme je te le disais, âŠÂ». Elle reprend et il faut faire avec, hein, moi, câest pareil, ce que jâen dis.. ». On a lâimpression dâentendre depuis toujours ces ritournelles des conversations autour dâun cafĂ©, dâune ricorĂ© » ou dâune verveine. Elle est seule sur son banc. Elle fait comme si. 25 octobre 2020 Un homme autour de soixante ans est assis Ă la table dâun restaurant avec quatre autres personnes, deux femmes et deux hommes. Les deux femmes sont arrivĂ©es bien avant les trois hommes et avaient dĂ©jĂ commencĂ© leur repas. Lâhomme semble assez grand, a un visage fin avec un nez assez fort, les cheveux blancs, ondulĂ©s et en arriĂšre, il parle avec un accent prononcĂ© de la ville oĂč nous sommes. Il est habillĂ© dâune chemise grise et dâune doudoune » sans manches, gris foncĂ©. A voir la familiaritĂ© quâil a avec sa voisine, on comprend que câest sa femme mais les deux femmes continuent leur repas en parlant entre elles, pendant que les trois hommes commandent, tous les trois la mĂȘme chose. Quand arrive son filet avec un beurre aux herbes, de la purĂ©e et un peu de mesclun », il regarde son plat dâun air dubitatif. Puis il prend la salade avec sa fourchette et la met dâautoritĂ© dans lâassiette vide de sa femme qui avait fini de manger. Elle lui dit, sans le regarder, tu es vraiment impossible », mange la salade et poursuit sa conversation. Elle nâa pas tournĂ© la tĂȘte un instant vers lui. Il mange avec dĂ©lectation sa purĂ©e comme un gamin. 24 octobre 2020 Un couple avec une petite fille dans une salle dâattente. Les parents semblent trĂšs jeunes et le petite fille doit avec cinq ans. La mĂšre et la petite fille sont quasiment habillĂ©es de maniĂšre identique La mĂšre a une longue robe noire qui descend jusquâĂ ses chevilles et un manteau marron clair dâune forme trĂšs classique. La petite fille Ă un collant en laine, une jupe Ă volants et un pull, tous noirs, et un petit manteau brun exactement de la mĂȘme tonalitĂ© que sa mĂšre. Un vrai manteau dâadulte miniature avec le mĂȘme boutonnage et les mĂȘmes poches. Mais aux pieds, la mĂšre a des baskets blanches alors que la petite fille a des petites chaussures noires. La mĂšre porte un hidjab brun clair, on dirait couleur marron glacĂ© », qui va trĂšs bien avec le reste de sa tenue. La petite fille est chĂątain clair avec les cheveux mi-longs qui sont retenus en une queue de cheval par un chouchou » noir avec des petites perles blanches. La petite fille se recoiffe sans cesse et finit par se dĂ©coiffer. Sa mĂšre la prend entre ses genoux et la recoiffe. A ce moment-lĂ , le mĂ©decin apparait et les appelle, elles lĂšvent toutes les deux la tĂȘte et le mĂ©decin reste bouche bĂ©e devant cet effet de poupĂ©e russe » quâelles ont si bien rĂ©ussi. Il demande si mademoiselle » veut bien le suivre, la petite fille remet une mĂšche de ses cheveux, boutonne son manteau et sâavance fiĂšrement, seule. Il faudra que le mĂ©decin insiste pour quâelle accepte que ses parents viennent avec elle. Elle grandit. 23 octobre 2020 Un homme qui a cinquante-cinq ans, il est assis Ă un grand bureau sur une estrade devant un Ă©cran blanc. Sur la table, il y a toujours des lunettes, un tĂ©lĂ©phone portable, un verre en plastique plein dâeau, des feuilles blanches Ă©crites, un plateau et une petite bouteille dâeau. Il porte un costume gris foncĂ© et une chemise grise sur laquelle on voit un petit micro accrochĂ©. Il a un visage qui paraĂźt rond car il est presque chauve avec une couronne de cheveux et quelques cheveux dressĂ©s sur le sommet de la tĂȘte. Le visage est assez rouge, et on regarde sa bouche car il ne cesse de parler Ă son auditoire, sans jamais faire de pause, et il articule trĂšs fortement, chaque mot. Il veut ĂȘtre bien entendu et donc compris. Ce qui est le plus marquant est comment il bouge malgrĂ© sa position assise. Il tourne sur le fauteuil et il se sert sans cesse de ses mains et de ses doigts pour ponctuer son discours. Dans la complexitĂ© de ce quâil dit, ses mains nous guident et donnent corps Ă sa pensĂ©e. Les moments oĂč il reste quasi immobile sont ceux, paradoxalement, oĂč il dit des choses qui ont une portĂ©e forte, politique, perturbante. Lâamphithéùtre bruisse mais il veille bien Ă nâen rien remarquer et poursuit. On le voit penser et penser par nous et pour nous. Câest captivant et Ă©mouvant. On apprend. 22 octobre 2020 Un jeune homme dans un marchĂ© couvert. Il tient un Ă©tal juste Ă lâentrĂ©e de la partie complĂštement fermĂ©e. Son Ă©tal est trĂšs particulier car il nây vend que quelques lĂ©gumes lâĂ©tĂ©, des tomates, et le reste du temps, des champignons et quelques fruits des bois, toujours dans des petits cartons. En plein milieu de lâhiver, des pommes de terre. Il vend aussi de lâhuile dâolive quâil dit du pays » mais dont on sait quâelle vient de lâItalie proche. Il a fait des panneaux pour annoncer quâil peut avoir des truffes sur commande. Il est trĂšs brun, le visage fin, souvent habillĂ© de noir avec des couches de vĂȘtements quâil enlĂšve au fur et Ă mesure de la matinĂ©e. Il est mince, pas trĂšs grand. Il parle sans arrĂȘt. MĂȘme quand il nây a personne, il harangue, et quand il y a des clients, il commente tout ce quâil fait, propose des autres produits, plaisante pour faire patienter. On se demande sâil est si joyeux que ça. Un sacrĂ© commerçant, un peu agaçant, parfois. Ses panneaux de prix sont faits sur des bouts de cartons arrachĂ©s Ă©crits au feutre, posĂ©s maladroitement. On voit quâil nây a rien de moderne chez lui, ni carte bleue, ni caisse automatique. On ne sait si câest pour se dĂ©marquer et se donner un cĂŽtĂ© plus authentique, lui qui force sur son accent. On apprend que sa mĂšre tient la charcuterie Ă dix mĂštres et son oncle et sa cousine tiennent lâĂ©tal de fruits et lĂ©gumes en face. On se dit quâil est nĂ© lĂ , que sa vie est lĂ , quâil aime faire ça comme ça et câest tout. 21 octobre 2020 Une rue dans une petite ville dâItalie. Une double porte en mĂ©tal noir est surmontĂ©e dâun petit auvent en Ă©ternit ». Sur le mĂ©tal, un panneau avec le logo sens interdit » et une petite enseigne collĂ©e. Dessus, le nom et le mĂ©tier du propriĂ©taire, un plombier, cela doit ĂȘtre le local pour son matĂ©riel. Devant la double porte, une chaise de bois de type bistrot ». Autour, des Ă©tagĂšres qui donnent sur le trottoir, avec de multiples fleurs et plantes dans des pots. De prĂšs, on se rend compte quâil y a un drĂŽle de mĂ©lange de fausses fleurs aux couleurs assez criardes, rouges, roses, jaunes et oranges, et des vraies plantes mises en terre dont certains sont fleuries comme des gĂ©raniums et des impatients ». Lâensemble est Ă©tonnant, car si on a pris lâhabitude de voir des plantes sur les trottoirs et les façades autour des portes et fenĂȘtres dans les villes, celles-ci apparaissent sur un mur vide et autour dâune grand rectangle noir opaque. On se dit que la chaise doit ĂȘtre rĂ©guliĂšrement occupĂ©e par ce plombier qui plante des fleurs et tente ainsi de contrer la rudesse de la façade. Une attention jardinĂ©e pour pouvoir sâasseoir dans la rue, entourĂ© de ce halo de couleurs et de nature rassemblĂ©es comme une petite installation paysagĂ©e. 20 octobre 2020 Un homme entre cinquante et soixante ans Ă la terrasse de restaurant du bord de mer dans une petite ville dâItalie. Il est avec sa femme. Il est assez grand, les cheveux gris en arriĂšre, les yeux bleus clairs et perçants, une chemise et un pull bleu jetĂ© sur les Ă©paules, un jean et des chaussures marrons en cuir retournĂ© qui nous ont dâabord fait penser quâil Ă©tait italien. DĂšs son arrivĂ©e, alors quâil nâest pas encore assis, il dit Ă trĂšs haute voix, vouloir tout de suite un apĂ©ritif et comme sa femme dit ne pas encore avoir fait son choix, il dĂ©cide quâelle allait prendre un verre de Prosecco. Ensuite, pendant tout le temps du repas, il ne cesse de parler comme sâil disait Ă voix haute tout ce qui lui passe par la tĂȘte mais de maniĂšre un peu grandiloquente. Dans ce restaurant dont un des atouts est la vue, tous les deux se sont mis le dos Ă la mer, regardant la salle alors que tous les autres clients sont tournĂ©s vers la mer et la plage. Du coup, ils nous regardent ou plutĂŽt, nous sommes obligĂ©s de les regarder et ils font partie du spectacle. Cela lui plaĂźt bien, il se gonfle dâimportance et Ă un moment donnĂ© il parle tellement fort quâon tourne la tĂȘte, il nous prend Ă tĂ©moin de ce quâil regarde sur un tĂ©lĂ©phone. Il est aux anges. Au centre. 19 octobre 2020 Un homme traverse la rue devant nous en dehors des passages protĂ©gĂ©s. Il fait attention aux voitures mais semble pressĂ©. Il est assez ĂągĂ©, avec des cheveux blancs et des traits fins et marquĂ©s. Il porte des lunettes noires au dessin trĂšs fort avec deux branches Ă©paisses et deux petits cercles autour des yeux, on ne voit presque que cela et elles lui donnent un air moderne et branchĂ© ». Il est habillĂ© dâun grand tee-shirt et dâun pantalon baggy » bleus et porte des baskets quâon distingue mal mais qui semblent ĂȘtre des Converse ». On remarque quâil porte un grand sac de courses en plastique avec des anses noires comme on peut en acheter dans les grandes surfaces. Ce sac semble plutĂŽt sale et plein. Une fois de lâautre cĂŽtĂ© de la rue, il court jusquâĂ un banc et monte dessus. Il pose son sac et il monte sur lâaccoudoir et met une main en visiĂšre. Il regarde en haut de la rue, puis en bas, plusieurs fois de suite. On dirait une vigie tournoyante. On se demande sâil cherche quelquâun. Au bout dâun moment, il se met Ă sourire puis Ă rire. On pense quâil a trouvĂ© mais son rire ne sâarrĂȘte jamais tandis quâil continue de scruter au loin. Un homme qui guette le vide en riant. Un homme perdu, certainement. Encore un. 18 octobre 2020 Une dame ĂągĂ©e, seule, Ă la table du restaurant dâun modeste hĂŽtel prĂšs de lâocĂ©an. Elle a un chignon gris joliment tournĂ©, un gilet rose, un pantalon noir, brillant, avec des lacets qui le ferme Ă chaque cheville et des baskets dorĂ©es. On comprend que câest une cliente de lâhĂŽtel, quâelle est en demi-pension et quâelle prend lĂ son repas tous les soirs car elle demande alors, quâest-ce quâil y a ce soir ? » dâun ton enjouĂ©. Les deux patrons sont trĂšs attentionnĂ©s avec elle et lâappelle princesse». On voit quâelle fait trĂšs attention de se tenir droite mais, quand elle doit dĂ©couper son poisson, ses mains tremblent beaucoup, ça lâagace mais elle ne demande pas dâaide. Le lendemain, on la croise au petit dĂ©jeuner et le patron lui demande si princesse» veut bien accepter son aide pour porter sa valise. Elle accepte car elle descend les escaliers difficilement. Elle va prendre un taxi pour aller jusquâĂ la gare et rentrer chez elle aprĂšs sa semaine de vacances. On pressent quâelle vient tous les ans depuis trĂšs longtemps, quâelle nây est peut-ĂȘtre pas toujours venue seule. Elle part avec ses baskets dorĂ©es qui brillent dans le petit soleil de septembre et sa vaillante silhouette semble dâun coup minuscule. 17 octobre 2020 Une femme qui doit avoir une soixantaine dâannĂ©es. Elle est petite et menue, casquĂ©e dâun carrĂ© de cheveux teints en noirs et lissĂ©s. Elle est vĂȘtue dâun pantalon moulant et dâun haut un peu court, rouges. Elle porte des sandales noires avec des petits talons. Sa tenue criarde nous surprend, comme en dĂ©saccord avec sa maison ancienne quâelle fait visiter pour la vendre. Elle ne veut pas laisser les professionnels faire la visite, elle veut absolument prendre les choses en main. Elle essaie de faire au mieux mais elle ne prend pas le temps dâessayer de comprendre ce qui touche les visiteurs et montre toujours ce quâelle aime, elle, les transformations quâelle a faites, son jardin et ce quâelle y a plantĂ©. Elle ne laisse pas les visiteurs respirer, regarder, on se dit quâelle cherche Ă les asphyxier, quâelle volette autour dâeux comme un insecte rouge et noir. Elle est presque ridicule. On ne sait si elle cherche par cette dĂ©bauche de gestes et de paroles Ă masquer la tristesse de vendre sa maison ou, au contraire, si elle ne peut cacher son impatience Ă sâen dĂ©barrasser. On sent que montrer Ă des inconnus ses sentiments seraient une dĂ©faite pour elle et quâelle ne veut rien laisser paraĂźtre. Jamais. 16 octobre 2020 Deux jeunes gens qui prennent un goĂ»ter dans une salon de thĂ© parisien trĂšs chic et trĂšs ancien. Ils sont face Ă face et se ressemblent. AgĂ©s dâune vingtaine dâannĂ©es, ils ont des cheveux courts, lâun a une casquette posĂ©e Ă cĂŽtĂ© de lui, ils sont en pantalon de jogging » noir, de marque, ils portent lâun, un tee-shirt avec un motif, lâautre, une chemise blanche assez serrĂ©e. A leurs pieds, des sneakers » dâune grande marque et Ă cotĂ© dâeux, pour lâun, une pochette âLacosteâ et pour lâautre, une pochette âVuittonâ. Au milieu dâune clientĂšle de personnes ĂągĂ©es, de famille de la bourgeoisie parisienne avec enfants et de quelques touristes Ă©trangers, ils sont complĂštement dĂ©calĂ©s. Ils commandent avec assurance Ă un serveur pincĂ© et regardent quelque chose sur lâiphone dâun des deux et rient ensemble. Quand arrivent leurs deux chocolats et leurs pĂątisseries, des Mont Blanc », les spĂ©cialitĂ©s de la maison, ils dĂ©gustent lentement en Ă©changeant de temps en temps sur ce quâils mangent. Leur gourmandise et le plaisir visible quâils prennent Ă ĂȘtre lĂ , illuminent joyeusement les boiseries surannĂ©es de ce temple pĂątissier . 15 octobre 2020 Deux dames assises cĂŽte Ă cĂŽte Ă la table dâun restaurant, en face, leurs maris. Le restaurant est celui dâun hĂŽtel dans le sud-ouest de la France, lâambiance y est surannĂ©e avec une dĂ©bauche dâĂ©lĂ©ments rustiques et quelques objets incongrus comme une immense vitrine rĂ©frigĂ©rĂ©e. On comprend que les deux couples ne sont pas des clients de lâhĂŽtel mais plutĂŽt des gens du coin car ils tutoient les serveurs. Une des dames a les cheveux orange foncĂ© et est habillĂ©e dans les mĂȘmes couleurs, lâautre dame a les cheveux longs, teints en blond, rĂ©unis en une haute et grande queue de cheval sur le cĂŽtĂ© de la tĂȘte et a un chemisier blanc lĂ©gĂšrement brillant. Quand, elles tournent la tĂȘte, on voit quâelle sont maquillĂ©es, ont des boucles dâoreilles, des bagues, on pense quâelles se sont apprĂȘtĂ©es pour cette soirĂ©e. Ils commentent les menus et on entend que les deux messieurs dĂ©cident tout de suite de choisir les plats les plus copieux. Elles hĂ©sitent, disent que non, elles ne peuvent pas prendre ça, elles minaudent, demandent leur avis Ă chacun de ces messieurs, disent que mon dieu, quand mĂȘme câest trĂšs lourd », et, Ă©videmment, finissent par et ça va faire grossir ». Elles dĂ©cident de prendre du poisson mais elles continuent de regarder la carte, pas satisfaites. Quand le serveur vient, elles prennent la mĂȘme chose que les hommes, du foie gras, du cassoulet et un dessert. Cela nous ravit. 14 octobre 2020 Une poste oĂč chacun, masquĂ©, a fait la queue pour pouvoir entrer, sâest lavĂ© les mains avec du gel et se tient sagement Ă distance des autres personnes. Une femme trĂšs ĂągĂ©e est assise sur une chaise. Elle a une canne posĂ©e Ă cĂŽtĂ© dâelle. Elle tient devant elle un grand sac en cuir noir et farfouille dedans depuis un bon moment. Elle arrĂȘte, regarde son sac et se remet Ă fouiller avec encore plus de vigueur et commence Ă dire mais ce nâest pas vrai, mais ce nâest pas vrai⊠». On voit quâelle sâaffole. Le vigile sâapproche et lui dit quâelle doit mettre un masque. Elle lui rĂ©pond que justement, elle le cherche partout, quâelle ne comprend pas, quâelle est sĂ»re de lâavoir pris, quâelle nâa pas fait toute cette queue pour rien, quâelle est tellement fatiguĂ©e dĂ©jĂ , quâil faut quâelle prenne cet argent, que ce nâest pas possible. Elle est au bord des larmes et regarde le vigile complĂštement perdue. Il la regarde et lui dit madame, il est lĂ votre masque » en lui montrant le masque quâelle avait mis Ă son bras Ă la hauteur du coude. Elle est tout ensemble surprise, soulagĂ©e et prise de honte. Elle se lĂšve et met son masque Ă lâenvers. Personne ne dit rien, tous un peu Ă©branlĂ© par la peur de cette femme qui a rĂ©sonnĂ© en nous, comme si nous Ă©tions tous des enfants pouvant Ă tous moments ĂȘtre pris en faute. 13 octobre 2020 Une femme dĂ©jĂ ĂągĂ©e autour de soixante-dix ans. Elle nâest pas grande, les cheveux courts teints en noir, jamais maquillĂ©e, elle sâhabille tous les jours avec un pantalon souvent rentrĂ© dans des bottes, des pulls ajustĂ©s et par dessus un sorte de Barbour » ou une doudoune sans manche. LâĂ©tĂ©, elle met une grande capeline de paille. Elle essaie de ressembler Ă lâimage dâune gentlewoman farmer ». Elle arpente dâune dĂ©marche autoritaire les terrasses et les jardins de son petit chĂąteau en dĂ©ployant sans cesse une activitĂ© dĂ©bordante surjouĂ©e mais on ne sait pour qui. Quand elle appelle son mari, sa voix monte dans les aigus et elle sâadresse Ă lui pour ĂȘtre entendue de loin. Lui marmonne avec calme. On est au premiĂšre loge de cette comĂ©die mais nous ne pouvons imaginer quâelle se joue pour nous mais quâelle se joue pour elle-mĂȘme dans une volontĂ© tenace de souligner les signes dâune distinction qui rĂ©vĂšlent plus dâaigreur que de joie aristocratique. 12 octobre 2020 Une petite fille de six ans environ. Elle attend Ă la poste avec sa maman. Elle est blonde avec deux couettes, un visage encore trĂšs rond et deux yeux bleus perçants. Elle est vĂȘtue dâun pantalon de type legging » vert clair, dâun tee-shirt long et de baskets roses. On entend quâelle parle en baissant la tĂȘte mais on ne comprend pas Ă qui car sa mĂšre est plus loin. On voit alors quâelle a accrochĂ© au col de son tee-shirt, une poupĂ©e Barbie noire. Celle-ci est sous le tee-shirt et seuls sortent les bras qui servent Ă ce quâelle tienne et sa tĂȘte. Câest Ă elle que parle sans arrĂȘt la petite fille. Dâabord, elle mime sa mĂšre en lui expliquant oĂč elles sont et pourquoi il faut attendre. Puis elle sâĂ©nerve et menace sa poupĂ©e dâune fessĂ©e si elle continue Ă faire ce bazar ». Elle la secoue Ă travers le tee-shirt et continue Ă la tenir, moulant ainsi les formes fĂ©minines de la Barbie avec le tissu. Lâimage est obscĂšne des formes outrĂ©es de la Barbie sur le torse de cette enfant. Comme si une vulgaritĂ© usĂ©e venait percuter une fraĂźcheur dĂ©jĂ fragile. 11 octobre 2020 Une dame dont on nâarrive pas Ă dĂ©terminer lâĂąge. On la voit dans les rues de cette ville du Sud depuis trente ans. Ou plutĂŽt Ă la terrasse des deux grands cafĂ©s du centre ville. On se dit quâelle nâa pas changĂ©. Elle est grande et perchĂ©e sur des hauts escarpins ou des boots. Elle a des pantalons trĂšs moulants, aujourdâhui, il est beige avec une surpiqĂ»re noire tout le long des jambes qui imite un pantalon de gardian ». Elle a un haut carmin et par dessus une veste courte, ajustĂ©e, en cuir bleu. Elle a des longs cheveux raides, noirs, lissĂ©s et une frange. Sa peau est recouverte dâun fond de teint Ă©pais, ses yeux sont cachĂ©s par des lunettes de soleil Ray-ban » et sa bouche est entourĂ©e dâun trait de crayon colorĂ© plus foncĂ© que le rouge Ă lĂšvres, rosĂ©. On voit que le bas du visage sâest affaissĂ© surtout de chaque cĂŽtĂ© de la bouche. Elle le sait et se tient avec le menton toujours lĂ©gĂšrement relevĂ©. On se rappelle quâelle ne souriait jamais. Câest toujours le cas. Elle est comme dâhabitude assise Ă la terrasse dâun bar, elle boit comme toujours un cafĂ© avec des amis, elle parle beaucoup mais ne sourit pas. Comme si câĂ©tait pour elle une question de savoir vivre, une maniĂšre de se tenir face aux autres, de donner du poids Ă ses paroles et une gravitĂ© Ă sa prĂ©sence. 10 octobre 2020 Une salle trĂšs austĂšre et vaste de restaurant dans laquelle est servi le petit dĂ©jeuner. Un couple dâanglais arrive. On ne sait pas comment on sait quâils sont anglais mais on le perçoit tout de suite. Ils regardent la salle et sâinstallent mais ils nâont pas compris que chaque table dressĂ©e porte le nom dâune chambre et ce qui a Ă©tĂ© commandĂ© la veille. Ils attendent un moment. Lui se lĂšve et va voir les tables dressĂ©es et lâappelle. Ils se rasseyent Ă leur table et commencent leur petit dĂ©jeuner. On les voit prendre chacun des flocons dâavoine, les mettre dans un grand bol, y rajouter du lait. Ils goĂ»tent. Elle dit que le porridge est meilleur chaud. Ils demandent du lait chaud et quand elle revient, la serveuse fait une moue de dĂ©goĂ»t en voyant leur bol. Ils rajoutent du lait chaud et mangent puis avant dâavoir fini, rajoutent leur yaourt et leurs fruits et mĂ©langent lâensemble. Ils semblent trĂšs contents. Autour, les autres convives, plutĂŽt ĂągĂ©s, se regardent complices et sâaccrochent Ă leur tartines de beurre et de confiture comme si câĂ©tait un enjeu national vital. Un petit âBrexitâ matinal. 9 octobre 2020 Deux hommes assis au bord de la mer au plus prĂšs des vagues. Ils discutent face Ă face, lâun fume et lâautre non. On voit quâils ont chacun une canette de biĂšre. Ils semblent en grande conversation et se regardent, ne jetant quâun coup dâĆil de temps en temps aux vagues qui ne sont pas aussi grosses que ces derniers jours mais qui font quand mĂȘme un roulement sourd assez fort. Ils sont assis chacun sur un tronc. Ils sont mĂȘme au milieu de cinq grands troncs dâarbres couchĂ©s sur la plage amenĂ©s par le courant et le ressac. Ces troncs ont Ă©tĂ© arrachĂ©s par les flots Ă des kilomĂštres de lĂ dans les vallĂ©es et ont dĂ©valĂ© jusque dans la mer en brisant tout sur leur passage. On en voit dâautres flottant encore ou Ă©chouĂ©s Ă©pars sur la plage. Les deux hommes sont assis tranquillement comme si ces troncs avaient toujours Ă©tĂ© lĂ , comme sâils nâĂ©taient le signe de rien. Ces restes dâarbres trouvent lĂ , dans cette tranquille indiffĂ©rence, une forme de domestication qui Ă©teint leur sauvagerie Ă©chouĂ©e. 8 octobre 2020 Une dame ĂągĂ©e dans un hĂŽtel modeste. Il est lâheure du petit-dĂ©jeuner et elle vient pour se servir au buffet. Elle prend beaucoup de choses, elle a faim. Elle est petite, elle a un visage fin, plutĂŽt triangulaire dont on ne distingue que les deux yeux bruns au-dessus de son masque en tissu bleu Ă petites fleurs roses. Elle a des cheveux au carrĂ©, lĂ©gĂšrement ondulĂ©s, ils sont trĂšs blancs. Elle est habillĂ©e dâune robe ample dâun rose trĂšs foncĂ© presque rouge avec des motifs pourpres que lâon aperçoit Ă peine, dâun gilet de laine dâun rose pĂąle et dâun grand foulard mauve avec des franges. A ses pieds, des tongs en cuir. On est Ă©tonnĂ© car il fait plutĂŽt froid pour porter des chaussures dâĂ©tĂ©. On voit alors quâelle a les pieds plein de sable. On comprend alors que tĂŽt ce matin, avant le petit dĂ©jeuner, elle est allĂ©e marcher ou mieux se baigner. On se dit quâelle fait cela tous les matins quand elle vient lĂ en vacances, quâelle vient pour ça, aller nager tous les matins. Que cette discipline la rend joyeuse et gourmande. La regarder sourire en frottant les pieds sous la table pour enlever le sable, nous fait du bien. 7 octobre 2020 Une silhouette petite avec toujours un sac Ă dos sur le dos ou, le plus souvent, sur lâĂ©paule. HabillĂ© avec des pulls trop grands, des parkas un peu usĂ©es en hiver, des pantalons avec des multiples poches et des chaussures de marche, il donnait lâimpression dâĂȘtre en partance. Le visage Ă©tait plutĂŽt rond, avec des petits yeux bruns, et un air farouche, parfois bravache, qui tenait Ă sa posture avec le menton relevĂ© et une maniĂšre particuliĂšre de regarder dans les yeux. Il arpentait plus quâil ne marchait ayant toujours quelque chose Ă faire, dans une urgence de celui qui pense quâil nâa pas le temps de faire tout ce quâil a prĂ©vu. Et puis, souvent, comme une pause, on le trouvait en grande conversation, attentif, tendu vers lâautre dont il savait lire la souffrance. On ne sait comment il entretenait cet Ă©cart entre la douceur de lâattention et lâĂ©nergie mise Ă faire. On voyait que cet homme fragile devait faire des projets pour se tenir debout et que peu importe quâils aboutissent ou non. LâĂ©nergie Ă penser et Ă faire Ă©tait son travail plus que la finalitĂ©. Mais un jour, il a eu un dernier projet et celui-lĂ , il a, hĂ©las, rĂ©ussi. 6 octobre 2020 Un restaurant, une terrasse qui donne sur la mer ou plutĂŽt sur un bassin, la marĂ©e monte. Les gens mangent des huitres, il fait soleil mais un peu frais. Quatre femmes arrivent en parlant et en riant, elles avaient rĂ©servĂ© et sâinstallent. Elles discutent vivement de ce quâelles vont prendre pour lâapĂ©ritif et lâune dâentre elles parle de le leur offrir pour ces quatre-vingt deux ans puis se ravise en disant quâelle prĂ©fĂšre leur offrir cet apĂ©ro » dans un endroit plus chic ou chez elle. On est surprise car Ă les entendre, on ne pensait pas quâelles avaient cet Ăąge. Quand on les regarde, elles ne sont pas toutes du mĂȘme Ăąge, elles ont entre soixante et quatre-vingt ans et sont trĂšs diffĂ©rentes les unes des autres. Pourtant, elles ont toutes fait le mĂȘme geste elles ont pris chacune leur foulard ou leur Ă©charpe et en ont fait un turban colorĂ© sur leur tĂȘte. On pense tout de suite aux peintures de Carpaccio et aux turbans orientaux. Ceux-lĂ sont un peu faits Ă la va vite, tombent lĂ©gĂšrement mais ils leur donnent un air altier et complice comme si elles avaient ainsi créé une confrĂ©rie ou une fratrie qui se joue du regard des autres. Une souriante libertĂ© partagĂ©e. 5 octobre 2020 Une scĂšne Ă Paris sur un grand boulevard. On est assis Ă un cafĂ©. On voit un homme ĂągĂ©, une soixantaine dâannĂ©e peut-ĂȘtre, de dos, il est assez massif, il est sale, barbu mais on nâa pas lâimpression que ce soit un clochard. Il nâest habillĂ© que dâun slip gris et dâun short noir mais il porte son short sur les cuisses laissant ainsi son slip apparent. On croit dâabord quâil est en train de pisser dans une poubelle mais non, il fouille dans cette poubelle puis lit le journal quâil a trouvĂ©, debout, impassible. Il est 18 heures, câest lâheure de pointe, il y a plein de gens autour de lui. Certains sâarrĂȘtent incrĂ©dules, dâautres disent quelque chose, quelquâun lui demande ça va ? », il ne semble rien entendre. Il part en marchant difficilement sur le trottoir puisque son short sur les cuisses lâentrave. On fait une photographie parce que on a lâimpression que demain on pensera quâon sâest trompĂ©, que cette scĂšne nâa pas eu lieu. On ne sait quoi en penser. Un clochard, un homme qui a trop bu, un homme seul, en tout cas un homme perdu. Encore un. 4 octobre 2020 Sur une plage pendant la marĂ©e basse. Un petit garçon blond joue avec le sable entre ses parents. Ils restent longuement assis Ă faire des pĂątĂ©s et des chĂąteaux que rĂ©guliĂšrement le petit garçon piĂ©tine avec allĂ©gresse. Quand ils se lĂšvent tous les trois, on voit que le petit garçon est petit, quâil marche mais quâil est encore maladroit. Sa mĂšre part en avant, ramassant des coquillages. Le pĂšre essaie dâĂŽter le sable des vĂȘtements du petit, puis prend son tĂ©lĂ©phone et le filme. Il lui demande mais oĂč est maman ? ». Le petit garçon lĂšve les yeux, nous voit et reste saisi dâeffroi, au bord des larmes. Puis sa mĂšre lui fait signe plus loin, il sourit et part en courant suivi par son pĂšre toujours en train de filmer. Il se jette dans les bras de sa mĂšre en criant Ă la fois Ă©puisĂ© par sa premiĂšre grande course et parce quâil la retrouve. On trouve presque cruel le jeu des parents pour le faire courir et pouvoir immortaliser la scĂšne. Le petit garçon a vraiment eu peur. Il rit maintenant. Il grandit. 3 octobre 2020 Une femme qui paraĂźt avoir une soixantaine dâannĂ©es Ă la terrasse dâun cafĂ©. Elle est debout en grande discussion avec deux hommes assez ĂągĂ©s assis qui boivent un verre de vin. On ne la voit que de trois-quart. Elle a un tailleur pantalon en jersey blanc, le pantalon est patte dâĂ©lĂ©phant, traĂźne par terre et est trĂšs serrĂ© au dessus du genou, la veste est courte, gansĂ©e de noir et ne semble pas fermĂ©e. Elle est coiffĂ©e en arriĂšre et un peu en hauteur par des boucles de cheveux mi-longs teints en blond, qui semblent engluĂ©s dans de la laque au point quâon pense quâelle a peut-ĂȘtre une perruque. Au milieu des cheveux une longue sĂ©rie de rubans en tulle noir. Quand elle bouge, les cheveux nâont aucune souplesse et forment une masse compacte. Elle semble trĂšs maquillĂ©e car on voit sur le cĂŽtĂ© de son visage des traits noirs et Ă©pais dâ eye-liner ». Son visage est complĂštement mangĂ© par de trĂšs grandes lunettes de soleil carrĂ©es et son masque. A ses doigts des bagues. Elle a deux bagues Ă chaque doigt, un anneau dĂ©corĂ© et une grosse bague Ă cabochon. Quand on regarde ses mains, on sâaperçoit quâelle a des mains de trĂšs vieille femme, ridĂ©es et tavelĂ©es. Elle parle haut et fort et joue les sĂ©ductrices devant ces messieurs puis part en marchant trĂšs droite sur les trĂšs hauts talons que cache son pantalon. Elle a fiĂšre allure. 2 octobre 2020 Un couple dans un petit hĂŽtel. Ils ont une soixantaine dâannĂ©es. Câest le moment du petit dĂ©jeuner sous une belle verriĂšre ancienne. Ils prennent place Ă une table et commandent chacun un cafĂ© au lait. Ils se lĂšvent et vont masquĂ©s au buffet en se tenant la main. Ils regardent tout avec une grande attention et en discutent. Ils commentent la belle allure des gĂąteaux, sâexclament devant la salade de fruits et la pyramide de kiwis, regardent toutes les confitures et sont Ă©tonnĂ©s quâexiste une confiture melon et citron, comparent les diffĂ©rentes cĂ©rĂ©ales, vĂ©rifient Ă quoi sont les yaourts et les dates de pĂ©remption, se demandent pourquoi les fromages sont en portions enveloppĂ©es et comprennent que câest une question dâhygiĂšne et ils se disent que vraiment non, ils ne mangeraient pas de charcuterie le matin devant le jambon. Puis chacun prend une assiette et on pense quâils vont faire un choix trĂšs divers et goĂ»ter Ă plein de choses. On les voit repasser avec dans chaque assiette la mĂȘme chose deux biscottes et un carrĂ© de beurre. Ils savourent longuement leurs biscottes beurrĂ©es trempĂ©es dans leur cafĂ© au lait. Comme chaque matin. 24 septembre 2020 Elle Ă©crit tous les jours. Elle va partir quelques jours. Parfois, il faut prendre de regarder sans Ă©crire. Et puis lâhomme au regard vert, lâami, est parti pour toujours. Il faut prendre le temps de se souvenir. Oser regarder la boite de bois mort et le bouquet orange. Dire adieu. Consoler, aussi. Prendre dans les bras ceux qui sont maintenant irrĂ©mĂ©diablement seuls. On va aller voir dâautres mers et on revient. 23 septembre 2020 Un homme Ă lâentrĂ©e dâun restaurant, il est le placeur, celui qui fait patienter les gens et les amĂšne Ă leur table quand elle se libĂšre. Il est trĂšs Ă©tonnant il a une cinquantaine dâannĂ©es, il est chaussĂ© de baskets blanches avec quelques motifs triangulaires bleus, puis portent des bas beiges de contention qui lui arrivent sous le genou, un short assez long blanc avec des motifs de papillon, dont on a lâimpression que câest un caleçon long, un tee-shirt orange et par-dessus, une chemise bleue qui reste ouverte. Il a un accoutrement vraiment particulier alors que lâon sâattend plutĂŽt Ă voir quelquâun de plus jeune, habillĂ© en noir, suivant les codes dâun bar branchĂ© mĂȘme si les tenues sont plutĂŽt dĂ©contractĂ©es. Il est presque sympathique et joue de cette accoutrement et de son bagout pour rendre lâattente des uns et des autres moins ennuyeuse. Ă un moment donnĂ©, on lâentend parler Ă un des garçons qui servent Ă table, il est autoritaire et trĂšs dĂ©sagrĂ©able et dâun coup cet accoutrement nous semble celui dâun patron dĂ©guisĂ© en clown cruel. 22 septembre 2020 Une femme qui pose devant la mer. Elle Ă©bouriffe ses cheveux, elle tourne la tĂȘte et les Ă©paules mais surtout elle se tient sur une jambe et laisse lâautre jambe sur la pointe dâun pied en se tournant lĂ©gĂšrement. On retrouve cette scĂšne avec des femmes jeunes, plus ĂągĂ©es, blondes, brunes, Ă chapeau, casquette, chignon, cheveux au vent, minces, rondes, grandes, petites, bien habillĂ©es, habillĂ©es simplement, en maillot, en talons aiguilles ou en tongs, partout, toutes posent comme cela, le pied cambrĂ©, la jambe lĂ©gĂšrement pliĂ©e. On se demande pourquoi. On cherche. On voit que câest une pose que prennent toutes les femmes qui apparaissent sur Instagram. Certainement quâelles pensent ĂȘtre plus jolies, plus sexy », avec une plus jolie jambe en prenant toute la mĂȘme attitude artificielle. Des mauvaises photos de starlette de tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ© partout dans le monde. Comme si, ce qui Ă©tait une photo de vacances, un souvenir, devait en passer par une standardisation du corps qui la vide de toute personnalitĂ© et de toute intimitĂ©. Une vision cauchemardesque sans cesse rĂ©pĂ©tĂ©e. 21 septembre 2020 Un homme avec un regard vert. Ses yeux sont extraordinaires, verts avec quelques touches de jaune et de bruns presque dorĂ©s, pas grands mais en amande parfaite. Le regard les accompagne en Ă©tant perçant, vif et toujours dâune concentration extrĂȘme. Cette intensitĂ© est avivĂ©e par son nez aquilin, sa bouche petite mais dessinĂ©e et son visage aigu. Les cheveux sont courts, raides, plantĂ©s droits sur la tĂȘte, lui donnant tout le temps un air dĂ©coiffĂ© et en mĂȘme temps affairĂ©, comme sâil passait sans cesse sa main dedans. HabillĂ© dâune chemise souvent colorĂ©e ou avec des motifs et un pantalon large, baggy » avec parfois des poches remplies. Il regarde des travaux dâĂ©tudiants dans une toute petite Ă©cole dâart. On le voit dĂ©cortiquer les formes, les analyser, poser une ou deux questions prĂ©cises, parfois dire une phrase dĂ©routante de son ironie mordante puis se reprendre et expliquer. On sait que tout ce quâil dit est important. Il apprend Ă des jeunes gens les gestes, lâexigence et la libertĂ© comme personne dâautres. Cela les sauve, le sauve et nous sauve tous. 20 septembre 2020 Un homme Ă la terrasse de restaurant dans une ville dâItalie. Il est assis en face dâune femme, peut-ĂȘtre sa femme, on ne sait pas. Il est entiĂšrement chauve et on pense que, comme beaucoup, il se rase la tĂȘte pour masquer sa calvitie. Il a un teint un peu rosĂ©, des yeux clairs, dont on ne voit pas les cils et les sourcils, il devait ĂȘtre blond ou roux. Le nez est assez fort et droit, la bouche fine presque sans lĂšvres et le menton carrĂ©. On voit quâil est habillĂ© dâune chemise en lin blanche sans col. Il se tient Ă©loignĂ© de la table, confortablement installĂ© dans sa chaise avec souvent les jambes croisĂ©es. Durant tout le repas, il a un mince sourire aux lĂšvres que lâon trouve Ă©trange. Il est comme un sourire de connivence esquissĂ©, qui peut paraĂźtre arrogant et qui pourtant reste assez charmant. On pense Ă des tableaux. On sâaperçoit aussi que pendant tout le repas, il nâa pas dit un mot ou presque laissant sa compagne parler laissant juste flotter son sourire. A un moment, buvant son cafĂ©, il parle avec animation et mĂȘme en parlant on lui retrouve son air amusĂ© et Ă peine suffisant alors mĂȘme que ses gestes montrent son engagement dans la conversation. On ne sait si ce dĂ©tachement et cette ironie sont volontaires ou bien sâil ne peut pas faire autrement que de ne pas vouloir ĂȘtre complĂštement lĂ . 19 septembre 2020 Un petit garçon de dix ans assis Ă une grande tablĂ©e dans un restaurant. Il est au milieu de la table, Ă cĂŽtĂ© dâun adulte et ensuite il y a au moins six enfants de tous les Ăąges. Il est fin avec un visage assez aigu, un nez pointu, des yeux noirs en amande et une coupe de cheveux un peu longue, trĂšs moderne. Il est habillĂ© dâune chemisette blanche et dâun jean et a un pull lĂ©ger sur les Ă©paules comme tous les hommes de cette famille. Il sâadresse essentiellement aux deux adultes prĂšs de lui et commente avec conviction la carte et on comprend quâil veut choisir lui-mĂȘme ce quâil mange. Les autres enfants Ă©coutent attentivement les nĂ©gociations et le boivent du regard. A un moment donnĂ©, la tablĂ©e des enfants exulte car, Ă part les deux plus petits, ils vont commander ce quâils veulent. Ils sâadressent tous Ă lui pour avoir des conseils. Il leur rĂ©pond avec bienveillance mais avec dĂ©tachement alors que certains ont lâair plus vieux que lui. Il Ă©nonce fiĂšrement quâil choisit pour lui des spaghetti » aux truffes. Sa bataille gagnĂ©e vaut bien ça. 18 septembre 2020 Une grande place dans une grande ville. Une sono est posĂ©e au sol et quelquâun est assis Ă cĂŽtĂ© sur un pliant. Devant, trois couples dansent. Visiblement, câest une danse de salon compliquĂ©e, peut-ĂȘtre plus simple que le tango, mais qui demande de connaĂźtre des pas prĂ©cis, de tourner, de se rattraper avec des jeux de bras. Les trois couples sont jeunes, ne se regardent pas entre eux et dansent trĂšs diffĂ©remment les uns des autres. Certains sont plus techniques, dâautres plus doux et chaloupĂ©s, des couples ont lâair de mieux se connaĂźtre que dâautres. A un moment, deux autres couples entrent dans la danse. On remarque un trĂšs jeune couple. Lui danse remarquablement bien en bougeant Ă peine et elle est obligĂ©e dâen faire un peu plus, dâĂȘtre un peu plus dans la technique. Ils ont une facilitĂ© Ă ĂȘtre ensemble, Ă se rĂ©pondre, sans en faire trop, qui rend tous les autres un peu trop dĂ©monstratifs. Peu Ă peu, dâautres couples se mettent Ă danser qui visiblement ne savent pas du tout danser cette danse-lĂ mais juste ont envie de danser. Cela nous rend joyeux de les voir et cela suffit. 17 septembre 2020 Une femme Ă la terrasse dâun grand cafĂ© parisien. Elle est grande, brune, coiffĂ©e dâun chignon banane et a dâassez grandes lunettes de soleil en forme de papillon qui lui recouvrent le visage. Elle est habillĂ©e dâune robe de cocktail noire moulante, qui descend au genou et qui est Ă©chancrĂ©e dans le dos et sur les hanches. De chaque cĂŽtĂ© de la taille, une petite chaine argentĂ©e. Au pied, elle est chaussĂ©e de sandales fines, Ă trĂšs haut talon presque aiguille. Les sandales sont nacrĂ©es et sur le dessus des laniĂšres, il y a quelques fausses pierres qui brillent Ă la lumiĂšre. Etrangement, elle nâa pas de bijoux, uniquement une montre qui a lâair de mĂ©tal dorĂ©. Elle arrive, sâassied et enlĂšve son masque et ses lunettes, commande son repas avec son compagnon qui Ă©tait lĂ avant elle. Elle est trĂšs bien habillĂ©e, trop. Câest Ă©trange. On se dit que peut-ĂȘtre elle a un cocktail mondain plus tard. Elle rĂ©pond au tĂ©lĂ©phone et met le haut-parleur pour que son compagnon entende. Dâune main, elle tient son tĂ©lĂ©phone, et de lâautre, elle mange. Elle mange de la purĂ©e. Elle la savoure comme une enfant en prenant des grosses bouchĂ©es qui lui emplissent la bouche. Ce geste rĂ©gressif lui donne un sourire qui dĂ©joue tout ce dont elle sâest parĂ© avec tant de soin. 16 septembre 2020 Un homme et une femme qui marchent dans la rue. Ils sont cĂŽte Ă cĂŽte, ils avancent dâun mĂȘme pas assez vif. Lui est habillĂ©e plutĂŽt sportivement dâun jean et dâun tee-shirt et de chaussures de marche, il a une soixantaine dâannĂ©e, les cheveux gris et courts. Son visage est marquĂ© par des rides profondes. Elle est plus jeune, les cheveux bruns frisĂ©s et porte un chemisier gris, simple, rentrĂ© dans une jupe claire et des petits talons compensĂ©s. On les trouve plutĂŽt mal assortis mais leur pas sâaccordent parfaitement. Ils ne se touchent pas et sont assez prĂšs lâun de lâautre. A un moment donnĂ©, ils regardent en mĂȘme temps, sur la droite, la mĂȘme chose dâun mĂȘme mouvement brusque de la tĂȘte. On trouve quand mĂȘme Ă©trange quâils ne se soient pas dits un mot alors on les suit du regard. Ils sâarrĂȘtent Ă un feu attendant pour traverser toujours dans un mouvement identique. Ils traversent. Et puis, lâun part Ă droite et lâautre Ă gauche. Ce nâĂ©tait pas un couple ou des amis, ils ne se connaissent certainement mĂȘme pas. Leur marche ensemble Ă©tait si harmonieuse, on est presque triste de les voir se sĂ©parer comme quand un duo de danseurs se dĂ©fait. 15 septembre 2020 Deux enfants descendent un long boulevard. Ils doivent voir une dizaines dâannĂ©es. Câest la fin de lâaprĂšs-midi, ils sont en short, sandales et tee-shirt. Lâun est brun alors que lâautre est plus clair. Ils marchent vivement, courent un peu, sautillent, se parlent, rient. Ils ont lâair de savoir parfaitement oĂč ils sont, oĂč ils vont et de connaĂźtre lâendroit. Un peu avant un grand carrefour, il y a un panneau de signalisation mĂ©tallique assez haut. Le plus brun prend son Ă©lan, saute et touche le panneau mais sans en avoir lâair, sans que cela perturbe la marche de lâautre ou mĂȘme leur conversation. Il le fait dans le flux de leurs gestes comme si câĂ©tait naturel. Quelques jours plus tard, on revoit les mĂȘmes garçons quasiment Ă la mĂȘme heure, au mĂȘme endroit. Comme la premiĂšre fois, le mĂȘme garçon court, saute, touche le panneau et continue. Cette fois-ci, lâautre garçon a regardĂ© le panneau et a juste ralenti. On se dit quâils passent lĂ tous les deux trĂšs souvent, peut-ĂȘtre tous les jours et quâil est Ă©tabli entre eux, comme une rĂšgle tacite, que câest le plus brun qui saute et touche le panneau. On ne sait si lâautre garçon a comme cela des droits sur dâautres gestes dans leur promenade. On en doute. 14 septembre 2020 Deux jeunes filles ou jeunes femmes sur une plage privĂ©e. Elles sont assises sur leur matelas et ont des maillots trĂšs travaillĂ©s, des capelines, des lunettes de soleil de marques et des gros sacs dans lesquels elles vont fouiller rĂ©guliĂšrement. A la main, chacune a son iphone » quâelles consultent en permanence. Elles parlent de la journĂ©e Ă venir et on comprend que leurs questions tournent essentiellement sur quoi mettre et quand sur leur compte instagram ». Elles attendent quâil y ait un soleil plus vif pour faire les premiĂšres photos et ensuite, envisagent de se changer et de mettre dâautres maillots de bains pour faire une autre sĂ©rie de photos. Quand elles commencent Ă se photographier, lâune photographiant lâautre, celle qui pose se met Ă genou sur le matelas, trĂšs cambrĂ©e, sa capeline dans une main, Ă©paules lĂ©gĂšrement tournĂ©es dans un sens, tĂȘte dans lâautre, les cheveux disposĂ©s autour du visage et sur les Ă©paules, menton relevĂ©. Des caricatures de mauvaises photos vaguement Ă©rotiques. On nâen revient pas de cette fabrication si laborieuse dâimages datĂ©es avec ces outils tellement contemporains. Elles semblent pourtant ravies du rĂ©sultat. Dans leur joie Ă se regarder, elles sont presque touchantes. 13 septembre 2020 Un maĂźtre dâhĂŽtel dans un Ă©tablissement plutĂŽt chic en Italie. Quand on le voit la premiĂšre fois, il sert le dĂźner. Il est habillĂ© dâun costume noir, dâune chemise blanche, dâune cravate noire et il porte des mocassins noirs cirĂ©s mais usĂ©s. Il est trĂšs obsĂ©quieux et comprend immĂ©diatement que vous ĂȘtes français. Il vous parle donc dans un français hĂ©sitant en sâaidant dâun peu dâanglais et dâitalien. Le lendemain, au petit dĂ©jeuner, il vous dit bonjour mais il envoie une serveuse sâoccuper de vous comme si le petit dĂ©jeuner nâĂ©tait pas dans ses attributions. Il se contente de tout superviser. On pense quâil tient absolument Ă cette hiĂ©rarchie dans les repas. Pourtant, durant lâaprĂšs-midi, on a la surprise de le revoir, sans veste, en bras de chemise, au milieu du jardin en train de sâoccuper de lâarrosage, de remuer tuyaux et outils. Il a lâair dĂ©sagrĂ©ablement surpris de nous croiser dans cette activitĂ© et dans cette tenue et il nous salue trĂšs vaguement. Quand on le revoit deux heures plus tard, Ă nouveau dans ses habits, il nous salue avec toujours autant dâobsĂ©quiositĂ© comme si nous ne nous Ă©tions pas croisĂ©s auparavant. On ne sait sâil fait semblant de ne pas se souvenir ou bien si, vraiment, il a oubliĂ© notre premiĂšre rencontre, en remettant son costume, comme un acteur. 12 septembre 2020 Deux petits garçons avec leur pĂšre Ă la plage. LâainĂ© doit avoir sept ans environ. Câest un casse-cou qui fonce dans lâeau alors quâil nâa pas de bouĂ©e et ne sait pas bien nager du tout, mais il barbote, coule Ă moitiĂ©, se relĂšve, y retourne sans peur aucune. Il appelle rĂ©guliĂšrement son pĂšre qui est assis sur la plage les pieds dans lâeau avec son plus jeune frĂšre de trois ou quatre ans. Celui-ci Ă lâair dâavoir trĂšs peur de lâeau, il court autour de son pĂšre qui essaie de lâentrainer mais chaque fois il se dĂ©robe, il ne fuit pas vraiment, il ne pleure pas mais il fait semblant dâĂȘtre trĂšs occupĂ© Ă autre chose. Son pĂšre un peu Ă©nervĂ©, et qui ne peut aller rejoindre son autre fils dans lâeau, lui dit quâil est grand et quâil devrait aller Ă lâeau comme son frĂšre. Lâenfant ne dit rien, ne bouge plus et regarde les vagues. Il rĂ©flĂ©chit. Il regarde les galets et se met Ă les remuer et finit par en choisir un et le tend Ă son pĂšre en lui disant que câest un cadeau pour lui. Son pĂšre sourit avec indulgence, le remercie et lui dit quâil va aller Ă lâeau rejoindre son frĂšre ainĂ© et que lui, il va rester lĂ assis Ă choisir des beaux galets. Ils ont trouvĂ© un compromis qui leur va Ă tous les trois mais qui nâenlĂšve pas la petite lueur dâinquiĂ©tude dans le regard du fils qui a peur que son pĂšre lâattrape et le mette Ă lâeau et la lueur de tendresse inquiĂšte dans le regard du pĂšre qui ne comprend pas pourquoi son jeune fils est si craintif. 11 septembre 2020 On remarque cette jeune femme anglaise avec sa famille au repas du soir dans un bel hĂŽtel. Elle est trĂšs ronde, habillĂ©e dâune robe courte ample jaune et elle a les Ă©paules recouvertes dâun chĂąle transparent rouge orangĂ©. Elle est extrĂȘmement maquillĂ©e ce qui est Ă©tonnant en plein Ă©tĂ©. Son maquillage luit, notamment sur les pommettes et sur le front, et on ne peut que remarquer ses grands faux-cils enduits de mascara noir Ă©pais. Elle a lâair de se tenir assez Ă part de la conversation et une moue boudeuse ne la quitte pendant tout le repas. Le lendemain, on la croise Ă la piscine. Elle porte un maillot deux piĂšces Ă damier noir et blanc et lit sur un matelas. Tout Ă coup, quand le soleil est presque couchĂ©, elle se lĂšve et va se baigner. Elle nage alors un crawl magnifique. Fluide, rapide mais sans Ă -coups, on a le sentiment quâelle bouge Ă peine les jambes et que sa reprise de respiration se fait naturellement. Elle fait au moins trente longueurs. Quand elle sort, souriante, elle semble toute neuve. RĂ©parĂ©e. 10 septembre 2020 Un homme accoudĂ© Ă un comptoir. Il est jeune avec un visage long, une barbe naissante et des yeux en amande brun. Ses cheveux courts commencent Ă se clairsemer. Maigre, il porte un pantalon large comme un sarouel, des sandales birkenstock » noires et un tee-shirt gris sans manches. Il boit un cafĂ© et parle au serveur. Il tourne de temps en temps des yeux inquiets vers vous qui attendez votre cappuccino. Il dit du mal des françaises de maniĂšre trĂšs grossiĂšre et il doit se demander si vous nâĂȘtes pas française et si vous le comprenez. Il a raison car vous le comprenez Ă peu prĂšs mais vous ne rĂ©agissez pas essayant de percevoir ce qui suscite une telle colĂšre chez lui. Il parle des femmes françaises et les traite de putes ». On comprend quâil sâest fait plusieurs fois rembarrer sĂšchement par des jeunes françaises quâil dĂ©crit comme Ă©tant aguicheuses. Il prend le serveur Ă tĂ©moin qui ne dit rien, gĂȘnĂ©. Il dit quâ elles nâont pas Ă se promener comme cela si elles ne veulent pas dâhomme et que lui il est un homme, hein ! ». On est choquĂ© de sa violence verbale et de lâagressivitĂ© qui Ă©mane de son attitude corporelle. Il le voit. Il comprend que lâon a compris. Il nous suit du regard en ricanant et en continuant de vitupĂ©rer. Seul. 9 septembre 2020 Une petite fille sur une place dans une petite ville dâItalie. Elle porte des sandales dorĂ©es, une robe marron en coton lĂ©ger, un peu bouffante avec un empiĂšcement brodĂ© de fleurs. Elle est coiffĂ©e dâun chignon qui est devenu un peu lĂąche. Elle a un visage fin, et de grands yeux bruns aux reflets dorĂ©s. Elle sâĂ©loigne de la table oĂč parlent sa mĂšre et une amie. Elle voit quâelle se reflĂšte dans la vitrine devant elle. Elle commence Ă danser en imitant des chorĂ©graphies trĂšs sexuĂ©es qui la font remuer les hanches et le bassin et se caresser un bras par un autre en alternant. Elle regarde si on la regarde. Brutalement, elle sâarrĂȘte et se met Ă mimer silencieusement quelquâun qui est en colĂšre et qui crie, qui menace des mains. On se dit quâelle doit imiter sa mĂšre ou un adulte qui la gronde. Elle se recoiffe et recommence Ă mimer des starlettes de tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ© en se tortillant et en jouant avec les mĂšches qui sortent de son chignon. Elle joue Ă minauder. Ce dĂ©filĂ© de modĂšles quâelle rejoue nous fait peur. Elle nâa que cinq ans. 8 septembre 2020 Un homme attend dans la queue dâun laboratoire dâanalyses mĂ©dicales. Il est grand, presque obĂšse, il porte des sandales, un short et un long tee-shirt brun. Il se tient debout, les jambes Ă©cartĂ©es, certainement Ă cause de son poids. Il passe son temps au tĂ©lĂ©phone et appelle rĂ©guliĂšrement quelquâun en lui disant chaque fois, trĂšs doucement câest moi, ça va ? ». On sent quâil est trĂšs inquiet et il appelle toutes les deux minutes. Il est soulagĂ© quand la queue avance enfin et que câest bientĂŽt son tour. Il rappelle et dit ne tâinquiĂštes pas, je vais bientĂŽt revenir, surtout, tu ne bouges pas et tu ne fais pas de bĂȘtises ». On comprend quâil parle Ă un enfant quâil a dĂ» laisser seul pour venir au laboratoire. On est Ă©mu par la douceur de sa voix et la gentillesse de son ton qui jamais nâa Ă©tĂ© menaçant ou inquiĂ©tant. Quand il ressort, il se hĂąte et il appelle Ă nouveau et dit jâarrive» comme sâil Ă©tait parti depuis trĂšs longtemps. Il est Ă la fois soulagĂ© et heureux. Son sourire devient enfantin dans la joie quâil Ă©prouve. On pense quâil doit peut-ĂȘtre ressembler, dans ce moment-lĂ , Ă lâenfant quâil va enfin retrouver. 7 septembre 2020 Une femme dâune cinquantaine dâannĂ©es habillĂ©e dâune robe noire assez courte et dĂ©colletĂ©e. Elle est dans son bureau qui a une large fenĂȘtre et on remarque quâelle parle seule, regarde ses notes, recommence Ă parler, sans arrĂȘt. De temps en temps, elle sort de son bureau et va fumer une cigarette, ses papiers toujours Ă la main. Elle apprend, elle rĂ©pĂšte, mais semble tĂ©tanisĂ©e par ce qui lâattend, une rĂ©union, un conseil dâadministration, un temps public, ⊠un moment oĂč elle doit prendre la parole, prĂ©senter quelque chose et rĂ©pondre Ă des questions. Pourtant elle travaille lĂ depuis longtemps et doit avoir lâhabitude mais elle a toujours peur comme au premier jour. Au plus le temps avance, au plus on sent son affolement quâelle tente de masquer. Elle se maquille, chausse ses escarpins, se recoiffe. Elle se rĂ©pĂšte la liste des questions quâon va lui poser et les rĂ©ponses quâelle doit faire mais elle est terrifiĂ©e par la question inattendue Ă laquelle elle ne saura pas rĂ©pondre. Elle a beau savoir quâil y en aura forcĂ©ment une, que ce nâest pas grave, que quelquâun dâautre sera lĂ pour rĂ©pondre Ă sa place, ĂȘtre prise en dĂ©faut, encore une fois, lui est insupportable. 6 septembre 2020 Un enfant, un petit garçon de quatre ou cinq ans. Il est au bord dâune piscine avec son pĂšre. Il ne veut pas venir dans lâeau, il dit sĂ©vĂšrement quâil nâa pas ses brassards. Son pĂšre a beau lui montrer quâil a pied, le rassurer, il trempe Ă peine ses jambes et remonte vite. Quand ses deux grandes sĆurs arrivent, il est trĂšs content et se dit Ă voix haute, elles sont lĂ , je vais nager » et effectivement elles arrivent Ă le faire entrer dans lâeau, Ă barboter, il ressort, y retourne, jusquâĂ ce que son pĂšre lâemmĂšne. Il revient avec sa mĂšre et ses brassards. Il fonce seul vers la piscine et met franchement les deux jambes dans lâeau. Il commence alors un monologue Ă haute voix il fait froid, jâai froid, je vais nager, je nage, jâai trĂšs froid ». Pendant tout ce temps, il se met Ă lâeau, nage, sort, court au bord de la piscine, se remet Ă lâeau comme sâil cherchait un endroit plus clĂ©ment. Il est trĂšs concentrĂ© et se motive en se parlant. Son pĂšre arrive et lâenroule grelottant dans une serviette. Le petit garçon ne crie pas mais lui dit en le regardant, outrĂ© mais je nageais quand mĂȘme ! ». Il sâappelle CĂ©sar. Il grandit. 5 septembre 2020 Une Ă©glise et, Ă cĂŽtĂ©, un cloitre. On y rentre directement par un des bas-cĂŽtĂ© de lâĂ©glise. Quand on y arrive, comme souvent, on a une sensation dâespace, comme une respiration grĂące Ă la lumiĂšre qui surgit presque brutalement. On fait le tour sous les galeries bordĂ©e de colonnes simples, grises, avec chacune le mĂȘme chapiteau plat inspirĂ© dâun chapiteau ionique. Les arches sont simples, en arrondi. On remarque quâau dessus de ces galeries, il y a un autre Ă©tage directement sous le toit avec une colonnade blanche sans arches. A cet Ă©tage supĂ©rieur, qui nous est interdit, on remarque des petites portes dont certaines sont ouvertes. Au centre du cloitre, un puit et autour de lui quatre carrĂ©s entourĂ©s de buis taillĂ© et des arbres disposĂ©s sans symĂ©trie particuliĂšre deux cyprĂšs, un palmier, deux rosiers, un grenadier. Au centre de chaque carrĂ© de buis, lâherbe est plutĂŽt sĂšche. Quelques plantes sont dans des pots, quelques autres ont Ă©tĂ© plantĂ©es rĂ©cemment. Entre deux haies de buis, une bĂȘche. Elle est plantĂ©e bien droite dans la terre. Lâoutil sert Ă cultiver ce jardin. Au-delĂ de la cohorte de visiteurs, il reste des gens, des moines, qui vivent, travaillent, cultivent, prient, lĂ . Lâapaisement du lieu est comme rĂ©chauffĂ© de la prĂ©sence de cet objet familier. 4 septembre 2020 Un homme de quarante-cinq ans qui est dans un supermarchĂ©. Il est habillĂ© dâun jean noir, dâun tee-shirt gris, de chaussures pointues qui brillent et on voit Ă ses doigts des grosses bagues comme en auraient des bikers. Il a pourtant plutĂŽt une tĂȘte de premier de la classe » avec juste une mĂšche rebelle quâil relĂšve sans cesse dâune main. Il marche dâune drĂŽle de façon, avec lourdeur, il est pataud. Il est dans le rayon des vins et il fait de long en large le rayon, sâarrĂȘte, regarde des bouteilles, se recule, cherche des prix, prend et repose une bouteille, semble avoir une idĂ©e, va voir les cubis », revient, regarde dans les allĂ©es Ă cĂŽtĂ©. Il attend quelquâun. Il prend son tĂ©lĂ©phone, appelle et parle Ă quelquâun. Il attend reprenant son manĂšge. Un homme arrive, grand, lui dit mais enfin, tu peux quand mĂȘme choisir tout seul, non ? » et pendant que lâautre lui explique longuement pourquoi il hĂ©site, le nouveau venu remplit le caddie et va vers la caisse. Quand on les retrouve Ă leur voiture, il explique toujours ses atermoiements et le grand a lâair exaspĂ©rĂ© par cette logorrhĂ©e. Il nâa pas lâair de sâen apercevoir. LâindĂ©cision est sa maniĂšre Ă lui dâavancer. En crabe ou Ă reculons. 3 septembre 2020 Un couple qui cherche une maison. Ils ont environ une cinquantaine dâannĂ©es et se connaissent depuis cinq ans. Câest donc un jeune couple et ils veulent faire ce premier achat commun. Ils nâont jamais vĂ©cu ensemble. Quand ils en parlent, on sent une Ă©motion dans leurs voix. On ne comprend pas comment ils ont pu accepter dâĂȘtre filmĂ©s et de participer Ă une Ă©mission qui les aide dans leur recherche, certainement que leur recherche Ă©tait infructueuse. Quand ils Ă©noncent la liste de leurs demandes, le lieu oĂč ils voudraient habiter et leur budget, on comprend mieux en voyant la tĂȘte effarĂ©e, surjouĂ©e, mais quand mĂȘme effarĂ©e, de lâagent immobilier qui les accompagne. On voit bien que cette liste de demandes est la somme de leurs deux maniĂšres de vivre et que dĂ©jĂ se dessinent toutes les failles Ă venir. Chaque fois quâils visitent quelque chose, elle est trĂšs volubile et lui, souriant et mutique. Il ne sait pas comment dire que la maison, la cuisine, la dĂ©coration, le jardin, le confort, la vue, il sâen moque, et que lui, tout ce qui lui importe est dâavoir son grand garage pour bricoler. Seul. 2 septembre 2020 Un homme dâenviron trente cinq ans, trĂšs grand, large, trĂšs musclĂ© et dont la seule prĂ©sence physique dĂ©gage une force impressionnante. Il est blond, bien coiffĂ© avec les cheveux un peu longs mis en arriĂšre et encore humides comme sortant de la douche. Il a un visage fin avec un menton carrĂ© et assez long. De prĂšs, on voit quâil a de nombreuses cicatrices mais que son nez contrairement Ă certains de ses camarades est intact. Il est habillĂ© dâun costume gris et dâune chemise blanche, on a le sentiment que les habits, pourtant Ă sa taille, vont Ă©clater sous la pression dâune force contenue. Il parle tout doucement et face aux nombreuses sollicitations, rĂ©pond simplement. Son regard est bienveillant et on a du mal Ă se le rappeler Ă©cumant de rage une heure auparavant, distribuant des coups aux joueurs de lâĂ©quipe adverse qui avaient fait mal Ă lâun des siens. La force domptĂ©e et la maĂźtrise que lâon sent en lui tiennent aussi Ă la fatigue aprĂšs avoir passĂ© tout ce temps sur le terrain Ă courir, lutter, pousser, plaquer. Câest toute sa vie quâil abandonne pour le temps propret et engoncĂ© du capitaine courage interviewĂ©. Parfois, quand il se redresse ou quâil rejette ses cheveux en arriĂšre, se superposent Ă cette figure posĂ©e et souriante, les images intenses de lui dans le match . 1 septembre 2020 Une jeune homme qui en fait doit bien avoir une trentaine dâannĂ©es. On dirait quâil en a dix de moins car son visage est trĂšs juvĂ©nile, il est habillĂ© comme un Ă©tudiant et tout en lui, sa timiditĂ©, sa maladresse, la maniĂšre quâil a de vous aborder, fait penser Ă un trĂšs jeune homme alors quâil a dĂ©jĂ de lourdes responsabilitĂ©s dans son activitĂ© professionnelle. Quand vous le revoyez plusieurs mois plus tard, il est toujours habillĂ© de la mĂȘme façon avec un jean, une chemise froissĂ©e et des baskets dans des rĂ©unions avec des Ă©lus et des grands patrons mais vous voyez que quelque chose a changĂ©. Il ne bouge plus de la mĂȘme façon, il se tient plus droit, il sâadresse Ă vous diffĂ©remment, avec plus de distance et dâassurance en mĂȘme temps. Quand vous regardez dans le dĂ©tail, vous voyez quâil a quand mĂȘme une veste, quâun sac en cuir a remplacĂ© le sac Ă dos. Il prend Ă plusieurs reprises la parole et sa voix fluette sâest posĂ©e. Vous lui demandez comment il va et il vous dit quâil est fatiguĂ© mais tellement heureux, il est papa depuis un mois. Il a enfin son Ăąge. 31 aoĂ»t 2020 Une femme dâune cinquantaine dâannĂ©es grande, athlĂ©tique. Son visage est assez Ă©trange car elle a une petite bouche, un nez long, des petits yeux bleus mais lâensemble est assez harmonieux. Sa blondeur naturelle est ravivĂ©e par une teinture. Elle a peu de cheveux et trĂšs plats et on voit que sa coupe dissymĂ©trique tente de leur donner un peu de volume. On remarque quâelle a tout le temps un mouchoir Ă la main. Elle est assise Ă une table et boit du cafĂ© dans un mug. Son tĂ©lĂ©phone est posĂ© sur la table, elle le regarde rĂ©guliĂšrement. Elle attend. Quand il sonne, elle rĂ©pond vite, Ă©coute, rĂ©pond briĂšvement. Elle dit que quelque chose ne va pas, que câest confirmĂ©. Elle tourne autour du pot. Quand on prononce le mot de dyslexie Ă propos de son enfant dĂ©jĂ adolescent qui passait des tests, elle a les larmes aux yeux et pleure. Elle nâarrive pas Ă prononcer le mot, elle dit juste trĂšs, trĂšs ». On comprend quâelle est Ă la fois soulagĂ©e de savoir, effrayĂ©e de la tĂąche Ă venir et triste pour son enfant qui souffre depuis tellement dâannĂ©es. Et dĂ©jĂ , on voit dans son regard et sa bouche tordue, quâelle sâen veut de ne pas avoir vu, de ne pas avoir voulu voir et revient le motif lancinant de ne pas ĂȘtre Ă la hauteur. DâĂȘtre une mauvaise mĂšre. 17 aoĂ»t 2020 Elle Ă©crit Ă son bureau, sĂ©rieuse, appliquĂ©e mais elle doit se dĂ©pĂȘcher. Elle part pour deux semaines. LĂ oĂč elle va, elle aura besoin dâavoir tout le temps pour regarder. Câest important pour elle de pouvoir ressourcer son regard dans ce quâelle aime. Quelque chose est en train de sâessouffler, elle le sent. Elle retourne Ă la source, lĂ oĂč son regard est nĂ©. Elle va travailler et revenir. 16 aoĂ»t 2020 Une jeune femme dâune trentaine dâannĂ©es Ă la table dâun restaurant dĂ©jeune avec son mari. Elle est habillĂ©e dâune jupe noire assez longue quâelle remonte une fois assise parce quâil fait chaud, laissant voir ses jambes fines. Elle a des sandales en cuir avec des laniĂšres croisĂ©es et elle bouge sans arrĂȘt un de ses pieds. Elle porte un tee-shirt blanc et a trĂšs peu de bijou Ă lâexception dâune alliance et dâune bague de fiançailles. Ses cheveux sont longs, raides et chĂątains et son visage est plutĂŽt allongĂ© avec un beau nez fin et trĂšs droit. On ne voit pas ses yeux car elle porte des lunettes de soleil rondes fortement teintĂ©es. Elle a une jolie bouche assez petite, ourlĂ©e et dĂ©licatement dessinĂ©e. Pourtant son visage est complĂštement transformĂ© par une moue de dĂ©goĂ»t. Les coins affaissĂ©s de sa bouche, ses lĂšvres retroussĂ©es, donnent une sensation dâune forte rĂ©pugnance. Elle parle beaucoup et avec vĂ©hĂ©mence et on se demande si câest ce quelle raconte qui lui donne cette expression de rĂ©pulsion. Puis, Ă un moment donnĂ©, elle commente leur repas, quâelle trouve excellent, avec la mĂȘme moue. On se dit que jamais elle nâa souri, que jamais les coins de sa bouche ne se sont relevĂ©s, que jamais son visage ne sâest Ă©clairĂ©. On se demande quel Ă©cĆurement a pu altĂ©rer si dĂ©finitivement un sourire disparu. 15 aoĂ»t 2020 Une femme de soixante-dix ans environ, qui semble encore alerte, est assise en attendant le dĂ©but dâun concert de musique classique. Elle a un visage rond, une coiffure avec un carrĂ© visiblement mis en place par un brushing et beaucoup de laque et sa blondeur nâest pas naturelle. Sa coiffure ressemble un peu Ă un casque et sa frange, soigneusement arrondie au fer, semble flotter au dessus de son front. Elle est habillĂ©e dâune combinaison-pantalon serrĂ©e Ă manches courtes faite dâun tissu bleu clair et des grands motifs bruns. A ses pieds, des chaussures blanches trĂšs pointues Ă talons hauts mais dĂ©couvertes Ă lâarriĂšre, comme une haute sandale fermĂ©e. Le blanc est nacrĂ©. Quand elle se lĂšve et sâaffaire auprĂšs des organisateurs du concert, elle dĂ©tonne. Jeunes et beaucoup moins jeunes, musiciens et public, tous sont habillĂ©s de vĂȘtements en lin, amples, de sandales, qui Ă©voquent un univers de bohĂšme chic au cĆur de la chaleur de lâĂ©tĂ©. Tous sont gentils avec elle mais on sent quand mĂȘme un peu de condescendance dans leur regard. Elle sâen moque et trottine des uns aux autres sentant confusĂ©ment que câest en nâessayant pas de leur ressembler quâelle gagne sa place parmi eux. 14 aoĂ»t 2020 Un garçon de douze ans environ dans les rues dâune ville touristique, lâĂ©tĂ©. Il est chaussĂ© de claquettes noires en plastique, dâun short flottant court, bleu et dâun tee-shirt orange. Il est avec ses parents et un autre enfant dans une poussette. Il a une coupe de cheveux Ă©trange. Tout le bas de sa tĂȘte est rasĂ© et il lui reste des cheveux bruns et trĂšs raides sur le haut de la tĂȘte comme coupĂ©s au bol mais trĂšs haut. On ne sait si cette coupe est maladroite ou bien si elle cherche Ă imiter un footballeur ou un chanteur. Sa mĂšre cherche dans un grand sac et sort une casquette quâelle lui met un peu de travers sur la tĂȘte. Il recule et fait un geste pour lâenlever et son pĂšre lui fait signe quâil doit la garder. Il sâĂ©loigne, le visage fermĂ©. On les retrouve quelques rues plus tard. Le petit garçon est restĂ© en arriĂšre. On le surprend en train dâenlever sa casquette, de la caler dans la poche de son short et de se recoiffer soigneusement dans le reflet dâune vitrine. Il fait en sorte que tous ses cheveux soient bien alignĂ©s et quâaucun ne dĂ©passe de la ligne trĂšs droite de sa coupe. Il le fait prĂ©cautionneusement, il se regarde, sourit et repart en courant. Dans ce moment de coquetterie, il grandit. 13 aoĂ»t 2020 Une brocante dans le centre historique dâune grande ville du Sud de la France. LâĂ©tĂ©, la clientĂšle est essentiellement touristique et plutĂŽt aisĂ©e. Les objets prĂ©sentĂ©s sont dans lâensemble plutĂŽt chers et de qualitĂ©s trĂšs diverses mĂȘme si quelques stands proposent de belles choses. Une femme se tient devant un stand montrant essentiellement des objets asiatiques Ă des prix exorbitants. Elle a lâair intĂ©ressĂ©e par un petit vase chinois trĂšs ancien qui coĂ»te plusieurs centaines dâeuros. Elle est habillĂ©e dâune longue robe blanche en lin assez ample et de sandales Birkenstock ». Au bras gauche, elle tient un grand sac en osier assez souple et de lâautre une grande frite » de bain en plastique violet dont on se sert pour nager ou pour faire de lâaquagym. Elle tient, du cĂŽtĂ© du panier, le petit vase chinois et de lâautre, la grande tige violette un peu cintrĂ©e qui lui arrive au dessus de la tĂȘte. Lâantiquaire regarde son vase avec inquiĂ©tude et lui fait signe quâil peut prendre la frite ». Il la prend et la pose au milieu des objets de son stand. Entre deux vases anciens, Ă cĂŽtĂ© dâune soierie et dâun petit meuble, elle dĂ©note complĂštement. Le violet en mousse crissante au milieu de la subtilitĂ© des bruns patinĂ©s créé un choc visuel. Comme si brutalement, deux mondes venaient se heurter. Câest presque drĂŽle. 12 aoĂ»t 2020 Deux frĂšres assez jeunes tiennent deux Ă©tals cĂŽte Ă cĂŽte dans un grand marchĂ©, un Ă©tal de poissonnerie et un Ă©tal de coquillages et de fruits de mer. LâaĂźnĂ© a un visage trĂšs fin, les cheveux courts, il nâest pas grand. Au contraire, le cadet est grand, le visage large, les cheveux frisĂ©s et il joue de son cĂŽtĂ© beau gosse ». LâaĂźnĂ© a un Ćil sur tout, il vĂ©rifie lâapprovisionnement des deux Ă©tals, que tous les employĂ©s travaillent bien, que la file des poissons Ă nettoyer ne soit pas trop longue, il intervient quand il le faut, il tient les caisses et la carte bleu. Le cadet, mĂȘme quand il y a beaucoup de clients, se tient au milieu de lâĂ©tal, parle et plaisante. LâaĂźnĂ© sâaffaire et dâun Ćil acĂ©rĂ© voit tout, et donne des ordres brefs. On regarde son visage sensible fermĂ© et on se demande quelle blessure secrĂšte fait que, tous les jours, vous ne le voyez sourire que de maniĂšre automatique et commerciale. Dans son duo avec son cadet, ce dernier aide Ă retrouver une jovialitĂ© un peu fanfaronne qui dĂ©noue lâinquiĂ©tude viscĂ©rale qui tend ses regards et ses gestes. A un moment donnĂ©, dans une accalmie, les deux frĂšres boivent un cafĂ©. Et, un instant, la tension de lâun se relĂąche, les plaisanteries de lâautre cessent, et ils se ressemblent. 11 aoĂ»t 2020 Une jeune femme qui sert dans un restaurant. Brune, les cheveux nouĂ©s en une queue de cheval lĂąche, elle est habillĂ©e simplement de noir avec des vĂȘtements amples. Elle ne porte pas de tablier, ni est Ă©quipĂ©e dâun carnet de commandes, ni dâun tire-bouchon ⊠On comprend assez vite quâelle nâest pas du tout une professionnelle, quâelle est la fille de la propriĂ©taire qui est en cuisine et que le restaurant lui-mĂȘme vient juste dâouvrir. Elle essaie de faire de son mieux et se rend bien compte quâelle oublie les couverts, le pain, lâeau, puis de demander si on veut un dessert, elle ne sait rĂ©pondre Ă aucune de nos questions mais elle improvise avec beaucoup de gentillesse mĂȘme si la familiaritĂ© avec laquelle elle nous parle est un peu trop grande. Vers la fin du service, on sâaperçoit quâĂ une table du restaurant il y a des amis Ă elle et quâils boivent ensemble de nombreux verres de rhum arrangĂ©. On voit quâelle sâaffaisse sur elle-mĂȘme, devient plus lourde avec une tristesse dans le corps et dans le regard que nous nâavions pas perçue avant. Quand on lui demande lâaddition, elle est Ă©tonnĂ©e de nous voir encore lĂ , elle se lĂšve avec un peu de difficultĂ©s et nous tutoie comme elle le fait avec ses amis. Elle nous avait complĂštement oubliĂ©, elle ne sait plus jouer son rĂŽle de serveuse. Elle nous regarde partir comme si nous Ă©tions les premiers et les derniers clients avec une forme de stupĂ©faction accablĂ©e. 10 aoĂ»t 2020 Un homme ĂągĂ© Ă une terrasse de cafĂ©. Il nâa rien sur sa table. RĂ©guliĂšrement, il se lĂšve et va voir de lâautre cĂŽtĂ© de la terrasse puis se rassied trĂšs droit et regardant fixement devant lui. Son visage est rond, les cheveux sont gris et frisĂ©s, les traits sont assez banals mais ce qui frappe sont les yeux trĂšs ronds et Ă©carquillĂ©s. On se demande sâil a compris quâil devait commander dedans, quâil ne sera pas servi sinon. Il disparaĂźt. Quand on se lĂšve, on le retrouve de lâautre cĂŽtĂ© de la terrasse assis parmi un groupe de gens plus jeunes que lui qui, visiblement, se retrouvent avec joie. Lâhomme trĂšs jeune Ă cĂŽtĂ© de lui, vient dâarriver et lui jette de temps Ă autre un regard attentionnĂ©. Câest certainement lui que lâhomme ĂągĂ© cherchait et il nâa pas osĂ© aller voir le groupe en son absence. Pourtant au milieu de ces jeunes gens, il est toujours assis trĂšs droit sur sa chaise, regardant devant lui fixement, en ne suivant rien prĂ©cisĂ©ment des yeux et sans avoir le regard rĂȘveur de quelquâun perdu dans ses pensĂ©es. Il est complĂštement absent aux autres mais certainement enfin rassurĂ© car il ne bouge plus de sa chaise. Devant lui, un sirop de fraise ou de grenadine Ă lâeau avec une paille. 9 aoĂ»t 2020 Un couple et leurs deux enfants dĂźnent Ă la table dâun restaurant avec une jeune femme. Un enfant est encore dans une poussette et sâendort assez vite, lâautre doit avoir trois ans et aprĂšs avoir mangĂ© commence Ă se promener entre les tables. Ils sont français mais la conversation se fait en anglais. La jeune femme parle anglais avec un accent qui semble indien. A un moment donnĂ©, le petit garçon essaie dâaller plus loin, la jeune femme a un geste pour le rattraper, mais la mĂšre lui fait signe quâelle peut le laisser faire. Le petit garçon a peur dâun chien et vient vite se mettre contre la jeune femme et se cache la tĂȘte dans son giron. Elle lui sourit et lui caresse les cheveux. Pendant ce temps la conversation se poursuit mais on remarque que la jeune femme ne quitte plus le petit garçon des yeux. Elle va pour se lever quand il part trop loin, mais son pĂšre le rattrape. La mĂšre lui dit en anglais que câest sa soirĂ©e, quâelle peut ne pas sâoccuper du petit. Elle sourit. On comprend que câest la nounou des enfants. InvitĂ©e au restaurant pour fĂȘter quelque chose, elle ne devrait pas travailler mais le petit garçon lui ne le sait pas. 8 aoĂ»t 2020 Une jeune fille aux cheveux longs trĂšs frisĂ©s, chĂątains clairs avec des reflets dâun roux vĂ©nitien. Elle a une large bouche dessinĂ©e, un nez fin et des yeux petits dâun bleu foncĂ© et profond. Son visage est assez rond et a encore la fraĂźcheur de sa jeunesse. Elle est discrĂšte et ne dit rien Ă moins quâon ne lâinterroge. Elle rĂ©pond alors poliment et posĂ©ment vraiment Ă la question. Elle regarde tout et tous avec beaucoup dâattention et semble souvent sur le point de dire quelque chose ou de poser une question mais se retient. On se demande pourquoi. Sa rĂ©serve semble maĂźtrisĂ©e et choisie car quand on lâentend parler Ă son frĂšre ou Ă ses amis, elle est plutĂŽt bavarde, joyeuse et loquace. MĂȘme sa voix change devenant plus vive et plus aigĂŒe. Ses parents sont trĂšs bienveillants et font trĂšs attention, quand elle est lĂ , de toujours lâinclure dans les conversations. Elle se dĂ©fie de ce regard posĂ© sur elle et tente par le silence de sâen Ă©manciper rĂ©servant sa parole Ă ceux quâelle choisit. Lors dâune conversation quâelle Ă©coute, elle ne peut sâempĂȘcher de manifester de lâagacement devant ce que dit sa mĂšre. Celle-ci se crispe tout de suite et la regarde comme on peut regarder un enfant qui a dit ou fait une bĂȘtise. Sans se dĂ©monter, la jeune fille la regarde fixement, dâune phrase dĂ©finitive la contredit calmement et retourne Ă son silence. Elle grandit. 7 aoĂ»t 2020 Un vieux monsieur assis sur un banc sur un bord de mer. Il peut entendre le ressac, les galets qui crissent et roulent. Il se tient assis trĂšs droit et regarde lâhorizon sans bouger. Il est chaussĂ© de sandales en cuir usĂ©es qui sont comme de mules, il porte une djellaba blanche et il a une petite moustache. Il est entiĂšrement chauve. A cotĂ© de lui, posĂ©e sur le banc, une canne en bois. Un homme de son Ăąge vient sâassoir Ă cotĂ© de lui. Ils se saluent Ă mi-voix en se penchant lâun vers lâautre et ne se parlent plus. Ils regardent ensemble la mer. A un moment donnĂ©, ils commencent Ă parler ensemble avec animation et un troisiĂšme arrive. Ils saluent les deux autres, il est un peu plus jeune et a un sac plastique Ă la main. Il sort trois verres en plastique et une bouteille de citronnade. Il sert les trois verres et les distribuent. Ils dĂ©gustent en silence leur citronnade en regardant au loin. Puis chacun fouille dans ses poches et sort une cigarette, lâallume et ils fument tous les trois dans la mĂȘme immobilitĂ©. Leur regard triste est portĂ© au delĂ de la mer dans une terre que le goĂ»t de la citronnade vient raviver dans une nostalgie partagĂ©e. 6 aoĂ»t 2020 Un homme dâune soixantaine dâannĂ©es qui Ă©coute un concert en plein air de musique classique. On remarque quâil sâest mis sur une chaise qui lui permet de voir les musiciens mais aussi les personnages importants du village et dâen ĂȘtre vu. Il est sur le qui vive pendant lâentracte et regarde prĂ©cisĂ©ment qui parle Ă qui. Voyant que personne ne sâadresse Ă lui, il sâimmisce dans une conversation que tiennent des personnes qui visiblement le connaissent mais marquent leur surprise devant cette irruption. Il arrĂȘte vite de parler mais reste avec eux, heureux dâĂȘtre dans un groupe. A un moment donnĂ©, une conversation assez vive dĂ©marre entre deux personnes, il se retourne et intervient. Lâune de ces deux personnes lui rĂ©pond sĂšchement quâelle parle de cette question avec lâautre personne et pas avec lui et quâelle lui serait reconnaissante de pouvoir poursuivre tranquillement leur conversation. AprĂšs cette rebuffade, il ne dit rien mais le regard quâil lance Ă la femme qui lâa Ă©cartĂ©, est Ă la fois triste et vĂ©ritablement mĂ©chant. Etre exclu lui est insupportable. Il se rassied calmement alors que le concert reprend, seul son pied bat trop fortement la mesure. 5 aoĂ»t 2020 Une femme dâune cinquantaine dâannĂ©es assise dans une salle dâattente. Elle porte un masque, des cheveux courts teints en noir et des grosses lunettes Ă monture Ă©caille. Elle tient son sac sur ses genoux. Elle a une robe bleue avec des dĂ©coupes de petites figures gĂ©omĂ©triques qui est une imitation dâune robe Maje. Face Ă la recherche de cette tenue, on est extrĂȘmement surprise de voir ses chaussures. Ce sont des mules trĂšs usĂ©es avec un petit talon compensĂ©, en plastique. Souvent les femmes qui travaillent au marchĂ© et qui ont un certain Ăąge, en portent. Elle a de grands pieds, trĂšs dĂ©formĂ©s et porte un vernis Ă ongles rose posĂ© trĂšs maladroitement sur des ongles abĂźmĂ©s. Elle se lĂšve alors que ce nâest pas son tour et va au secrĂ©tariat pour dire quâelle attend depuis trĂšs longtemps dâune voix trĂšs tendue comme si elle allait pleurer. La secrĂ©taire, qui lâappelle par son nom, la rassure, lui dit quâon va la recevoir, quâelle est arrivĂ©e trĂšs en avance et que ce nâest pas encore lâheure Ă laquelle elle a son rendez vous. Elle revient et se rassied. Elle triture les anses de son sac. Elle a peur. 4 aoĂ»t 2020 Une petite maison dans un jardin. La maison nâest pas neuve mais doit dater des annĂ©es soixante-dix, elle est trĂšs banale. Le jardin est Ă moitiĂ© entretenu, lâherbe est coupĂ©e mais sĂšche. On est dimanche, le repas de famille se fait dehors, les enfants crient, jouent, les adultes discutent et parlent fort. Peu Ă peu le jardin se vide. On voit un jeune homme seul au milieu de lâherbe habillĂ© dâune chemise blanche repassĂ©e, dâun nĆud papillon, dâun costume noir ajustĂ© et de chaussures noires cirĂ©es. Il est bien trop habillĂ© pour un repas de famille surtout en plein Ă©tĂ©. Il a lâair presque clownesque tellement il semble incongru dâautant plus quâil est trĂšs droit et immobile. Il est trĂšs tranquille et regarde devant lui sans que son regard ne se pose. Cela créé une sorte dâimage comique de dĂ©solation, cet homme en habit devant cette maison et ce jardin sans beautĂ© et sans verdure. Tout Ă coup, il se met Ă courir et va Ă son scooter en regardant lâheure. On se dit alors quâil est en habit de travail et que le petit instant suspendu de son rĂȘve, il a tout oubliĂ©. 3 aoĂ»t 2020 Un homme dâune trentaine dâannĂ©es dans un hĂŽpital. Il est habillĂ© de noir, avec des claquettes, un short et un tee-shirt. Il entre et au lieu dâaller Ă lâaccueil, il se prĂ©cipite vers le bureau pour les radios. Il parle mal le français. La secrĂ©taire lui dit quâelle sâoccupe des radios, que pour les scanners, il faut quâil aille Ă lâautre bureau mais que de toutes les façons, il ne peut avoir rendez vous lĂ car son ordonnance est pour un IRM et quâils nâont pas la machine. Tout de suite, il sâĂ©nerve disant quâil a rendez vous lĂ , en tendant le papier avec force. Elle regarde la liste des rendez-vous et lui dit quâil nâest pas sur la liste. Elle lui propose quâil lui donne le numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone oĂč il a pris rendez vous pour lui dire dans quel hĂŽpital il doit aller. Il ne comprend pas et dit que ce nâest pas normal quâil doit faire un scanner lĂ . Il part. Il revient en criant toujours la mĂȘme chose, il a rendez vous lĂ , pourquoi elle ne veut pas de lui, que ce nâest pas normal. Un mĂ©decin intervient, lâhomme est Ă la limite dâexploser de colĂšre. Le mĂ©decin Ă lâidĂ©e alors de lui montrer ce qui est Ă©crit sur lâordonnance et le mot scanner sur la porte. Il sâassied. Il regarde plusieurs fois, il voit la diffĂ©rence Ă dĂ©faut de pourvoir la lire. Il se calme. Il doit se demander oĂč il doit aller. Le mĂ©decin lui donne un numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone. Il part en traĂźnant des pieds comme un enfant puni. 2 aoĂ»t 2020 Une femme dont on nâarrive pas Ă dĂ©terminer lâĂąge est assise en train de boire lâapĂ©ritif. Elle est habillĂ©e, dâune âcombi-shortâ courte et dĂ©colletĂ©e lĂ©opard et chaussĂ©e de mules lĂ©opard. Elle est bronzĂ©e, faussement blonde et trĂšs maquillĂ©e malgrĂ© le soleil. La jeune fille dâune quinzaine dâannĂ©es Ă cĂŽtĂ© dâelle est sa fille car elle lâappelle âmamanâ Ă plusieurs reprises. Sa fille est dĂ©jĂ trĂšs belle et va lâĂȘtre encore plus, trĂšs vite. Cette jeune fille et le mari ventru et grisonnant, nous donne alors une idĂ©e de lâĂąge de cette femme. Elle prend sans cesse des photos et des selfies en arrangeant sa chevelure, en mettant et en enlevant des grands lunettes de soleil qui lui mangent le visage. Elle cherche Ă tout prix Ă occuper lâattention de sa famille mais aussi celles des autres tables. On aperçoit un petit sac Ă main lĂ©opard et un sac de courses banal. Dedans, un masque lĂ©opard. On aimerait presque attendre de la voir se lever et partir avec ce masque sur le visage. On se demande ce que se dit cette femme pour mettre en Ćuvre tout cela, assortir toute sa tenue dans les moindres dĂ©tails dans un motif qui Ă©voquerait une sauvagerie Ă©rotique. On ne sait si elle trouve cela beau, que cela lui va bien ou bien si câest pour attirer, encore un peu, les regards. 2 aoĂ»t 2020 Un homme dâenviron trente-cinq ans, trĂšs grand, large, trĂšs musclĂ© et dont la seule prĂ©sence physique dĂ©gage une force impressionnante. Il est blond, bien coiffĂ© avec les cheveux un peu longs mis en arriĂšre et encore humides comme sortant de la douche. Il a un visage fin avec un menton carrĂ© et assez long. De prĂšs, on voit quâil a de nombreuses cicatrices mais que son nez, contrairement Ă certains de ses camarades, est intact. Il est habillĂ© dâun costume gris marquĂ© de lâĂ©cusson du club et dâune chemise blanche. On a le sentiment que les beaux habits, pourtant Ă sa taille, vont Ă©clater sous la pression dâune force contenue. Il parle tout doucement et face aux nombreuses sollicitations, rĂ©pond simplement. Son regard est bienveillant et on a du mal Ă se le rappeler Ă©cumant de rage quelques heures auparavant, distribuant des coups aux joueurs de lâĂ©quipe adverse qui avaient fait mal Ă lâun des siens. La force domptĂ©e et la maĂźtrise que lâon sent en lui tiennent aussi Ă la fatigue aprĂšs avoir passĂ© tout ce temps sur le terrain Ă courir, lutter, pousser, plaquer. Par instant, quand il se redresse et recoiffe vivement ses cheveux en arriĂšre, on voit les images des matchs se superposer Ă celle de ce gĂ©ant domptĂ©. Câest toute sa vie quâil abandonne un instant pour revĂȘtir lâuniforme propret et serrĂ© du capitaine exemplaire interviewĂ©. 1 aoĂ»t 2020 LâĂ©glise est une belle Ă©glise baroque sur une place dâune vieille ville. La façade ocre et verte est trĂšs ornĂ©e et la grande porte est ouverte. Une foule assez compacte se tient dĂ©jĂ dedans et dâautres sont restĂ©s dehors. Quelques-uns sont assis Ă la terrasse dâun cafĂ©. Les gens se saluent, sâembrassent, se font signe, ce sont aussi des retrouvailles. Un corbillard arrive, empli de fleurs et dâun cercueil trĂšs simple en bois clair avec une croix sans Christ dessus. Il est portĂ© par les hommes en noir et un cortĂšge familial se forme derriĂšre lui pour entrer dans lâĂ©glise. Au moment oĂč le cercueil passe la grande porte, tous se lĂšvent et le grand orgue joue le premier accord, puis on entend un trait de violon, rare dans ces circonstances, long et suave, il prend tout le monde Ă la gorge. Cette douceur et cette sensualitĂ© dans cette foule, dans ce moment-lĂ , vous fait comprendre pourquoi on fait cela. Pourquoi câest si important, les enterrements, les Ă©glises, les gens qui se lĂšvent et la musique. La douceur du violon et la force de lâorgue vous rendent presque heureux dans ce théùtre apaisant que vous avez, presque malgrĂ© vous, ancrĂ© dans votre mĂ©moire. 31 juillet 2020 Un homme dâune cinquantaine dâannĂ©es assis Ă un cafĂ©. Il est en short, tee-shirt et tongs et a Ă ses pieds un panier de courses plein. TrĂšs souriant, il regarde tous ceux qui passent et quand des gens sâasseyent aux tables dâĂ cĂŽtĂ© de lui, il engage tout de suite la conversation. La plupart du temps, on lui rĂ©pond poliment mais sans plus. Une femme dâune trentaine dâannĂ©es sâinstalle Ă la table Ă cĂŽtĂ© de lui. Il engage la conversation, elle rĂ©pond et boit son cafĂ©. Il se tourne vers elle et il lui fait un clin dâĆil. Elle a vu mais elle ne rĂ©agit pas. Il refait un clin dâĆil avec un petit signe de la tĂȘte comme pour dire âallez, on y va !â. Elle dĂ©tourne la tĂȘte. Il se penche vers elle et approche son bras, elle se recule, le regarde avec dĂ©goĂ»t et secoue la tĂȘte. Elle se lĂšve et va payer. Il se remet au fond de sa chaise, sourit Ă nouveau et regarde les passants. On se demande ce qui peut bien lui passer par la tĂȘte pour penser que cette femme allait partir avec lui. On ne sait sâil tente vraiment sa chance pensant quâune femme seule est forcĂ©ment disponible ou sâil sait quâil sera rejetĂ© mais que câest juste pour le plaisir dâimportuner les femmes, quâelles nâaient pas le plaisir de savourer un cafĂ© en terrasse seules, pour quâelles se lĂšvent et sâen aillent. 30 juillet 2020 Une rangĂ©e de personnes plutĂŽt ĂągĂ©es pendant un concert de musique classique. Au milieu, une femme avec des cheveux au carrĂ©, blancs, un peu frisĂ©s. Elle ne parle presquâĂ personne alors quâĂ plusieurs reprises des gens se sont adressĂ©s Ă elle ou ont guettĂ© son assentiment. Elle Ă©coute le concert mais, Ă plusieurs reprises, elle regarde discrĂštement son tĂ©lĂ©phone. A un moment donnĂ©, le son fort dâune tĂ©lĂ©vision dâune maison gĂȘne le concert. Le public murmure, elle est tendue et sa tĂȘte est comme entrĂ©e dans son cou. Sa voisine lui dit quelque chose Ă lâoreille. Elle hausse vivement les Ă©paules et secoue la tĂȘte. Elle nâinterviendra pas pour faire cesser le bruit. Les personnes devant elle, se retournent vers elle, puis renoncent Ă lui parler. Le bruit continue. Elle est responsable, Ă©lue, directrice de salle, dâastreinte, maire, peu importe, elle ne veut rien savoir de ceux qui voudrait quâelle se lĂšve et aille taper Ă la porte de la maison dâoĂč vient le bruit mais câest trop. Elle veut Ă tout prix prĂ©server ce temps oĂč la musique la protĂšge des autres, les empĂȘche de lui demander des choses, de lâinterpeller, de lui reprocher ses actions, de lâavertir de ceci ou cela. La musique malgrĂ© le bruit gĂȘnant crĂ©e un espace de quiĂ©tude dans lequel elle peut reprendre son souffle. 29 juillet 2020 Un bateau dans une trĂšs belle baie de MĂ©diterranĂ©e. Au premier regard, on pense que câest un bateau de guerre comme il y en parfois dans cette rade profonde. Son nom immense Ă©crit Ă lâavant sur toute la hauteur fait penser Ă un nom de bateau de la marine amĂ©ricaine. Sa taille, ses couleurs noir et gris, sa forme avec une proue droite, son arriĂšre vaste et bas Ă©quipĂ© dâune immense annexe noire, les multiples boules de radars et les antennes, tout semble vouloir quâon pense Ă une arme. Pourtant, ce serait plutĂŽt un yacht de luxe ou, paraĂźt-il, lâannexe dâun immense yacht de luxe. Au milieu de tous les autres bateaux, voiliers et yachts blancs, il créé une grande violence visuelle. Elle est accentuĂ©e par une violence sonore exercĂ©e sur toute lâĂ©tendue de la baie par ce bateau qui laisse en route ses moteurs ou son groupe Ă©lectrogĂšne sans discontinuer comme sâil devait lever lâancre ou faire feu dans lâurgence. Quand on arrive Ă ne plus le voir, on lâentend. On pense Ă celui qui lâa voulu comme cela et qui doit rĂȘver de jouer Ă la guerre jusquâĂ produire ce monstre marin dont lâagressivitĂ© est une dĂ©claration de guerre Ă la mer et aux marins. 28 juillet 2020 Un homme trĂšs ĂągĂ© assis dans un vieux fauteuil dĂ©foncĂ©. Du coup, on a lâimpression quâil est trĂšs bas et trĂšs petit et que ses bras sur les accoudoirs sont un peu en hauteur. Il est habillĂ© de chaussures de toiles de coton, dâun pantalon gris clair passablement tĂąchĂ© et dâun chemise bleue clair rentrĂ©e dans la pantalon qui semble tenir par une ceinture de cuir noir trĂšs abĂźmĂ©e. Les cheveux sont blancs et ils sont coiffĂ©s en arriĂšre cachant peut-ĂȘtre un dĂ©but de calvitie. Le visage est encore assez bien conservĂ© avec le menton marquĂ©, une bouche trĂšs fine ouvrant sur des dents trĂšs abĂźmĂ©es ou manquantes, un nez fort et un front haut. Les yeux semblent dâabord gris clair mais on sâaperçoit quâen fait, ils sont dâun bleu trĂšs pĂąle comme sâils avaient Ă©tĂ© dĂ©lavĂ©s par le temps. Ils sont petits mais avec un halo autour dâeux et un regard qui donnent le sentiment quâil est toujours un peu au-delĂ dans une rĂȘverie singuliĂšre. Comme sâil rĂ©flĂ©chissait en rĂȘvant. On remarque que ses mains sont rivĂ©es aux accoudoirs et que, malgrĂ© tout, elles tremblent beaucoup, ce quâil essaie de masquer. Ce serait comme deux pĂŽles de luttes opposĂ©es de la profonde vieillesse amorcĂ©e entre les mains qui dĂ©raillent et le regard qui se dĂ©ploie au loin sans vous voir. 27 juillet 2020 Une petite fille de huit ans. Elle a de longs cheveux bouclĂ©s noirs qui lui recouvrent les Ă©paules et descendent jusquâen bas du dos. Elle fait souvent le geste de les soulever et de les secouer comme pour faire de lâair. Son visage est trĂšs prĂ©cisĂ©ment dessinĂ© avec de grands yeux noirs, un nez fin et une bouche ourlĂ©e. On dirait un visage dâadulte, il nâa pas du tout le flou des visages dâenfants qui sont en train de changer, de grandir. Cette acuitĂ© des traits est accentuĂ©e par le fait quâelle ressemble trait pour trait Ă sa mĂšre et quâon finit par avoir le sentiment que les deux visages ne font quâun. Au-delĂ mĂȘme du visage, elle est trĂšs sĂ©rieuse et observe tout et tous avec beaucoup dâattention. Son visage est parfois grave et elle fronce les sourcils certainement pour se concentrer, pour comprendre quelque chose. Pourtant Ă un moment, on la surprend quand elle se penche vers sa mĂšre et lui murmure quelque chose Ă lâoreille avec un air espiĂšgle. Elle se moque visiblement des gens quâelle regarde depuis un moment. Ce rire dans son regard et son sourire moqueur vous rassurent. Elle est quand mĂȘme encore petite. 26 juillet 2020 Une toute petite Ă©choppe Ă lâentrĂ©e dâun marchĂ© couvert oĂč lâon vend des spĂ©cialitĂ©s antillaises. Lâhomme qui la tient est grand, le visage dĂ©jĂ marquĂ© et il parle beaucoup quand il cuisine et quâil sert. Beaucoup de clients lui demandent des accras et il les fait Ă la demande, alors pendant quâils cuisent, il blague, interpelle tout le monde, semble trĂšs Ă lâaise. Chez lui. Souvent, il nâest pas Ă son Ă©choppe et part faire des courses, boire un cafĂ©, parler avec un autre commerçant, livrer quelquâun. On est obligĂ© de passer et repasser si on veut vraiment lui commander quelque chose. Un matin, il part longtemps, on le cherche, et on finit par demander Ă la boulangĂšre juste en face, si elle sait oĂč il est. Elle est dâabord avenante quand vous approchez, car elle croit que vous allez lui acheter quelque chose, mais quand elle entend votre question, elle fait une moue dĂ©goĂ»tĂ©e et vous dit âCelui-lĂ , quâest-ce que jâen sais ! et vous allez lui acheter quelque chose Ă cet homme lĂ ?â. Le sous-entendu raciste de la phrase vous effraie. Vous restez plantĂ©e lĂ Ă lâattendre comme si vous deviez les dĂ©fendre, lui et sa petite Ă©choppe, qui pourraient ĂȘtre poussĂ©s hors du marchĂ© par la bĂȘtise. 25 juillet 2020 Un couple assis sur un petit parapet qui domine la mer toute proche. Il porte un âmarcelâ noir, un short noir un peu long, des chaussettes et des claquettes en plastique bleu. Il a une barbe brune trĂšs peu Ă©paisse et des cheveux courts. Elle est assise plus nonchalamment, un genou repliĂ© sur le parapet. Elle porte des tongs, un pantalon de survĂȘtement gris, une chemise noire ample Ă manches longues et une foulard noir de coton lĂ©ger sur ses cheveux et autour de son visage. Elle consulte son tĂ©lĂ©phone portable, parle Ă son compagnon en lui montrant quelque chose sur lâĂ©cran. En faisant ce mouvement, son foulard tombe sur ses Ă©paules. Elle sourit et lâarrange sur ses Ă©paules, elle ne le remonte pas. Lâhomme la regarde rapidement, regarde autour dâeux et choisit de ne rien dire. Elle se tourne, regarde la mer et lui montre un bateau de pĂȘche. Ils se retournent tous les deux, se rasseyent sur le parapet Ă lâenvers, les jambes pendantes au-dessus de la mer, face Ă la baie. Ils ont rangĂ© leur tĂ©lĂ©phone portable, posĂ©es sur le parapet, leurs mains se touchent. On dirait deux gamins. 24 juillet 2020 Une femme traverse prĂ©cautionneusement lâavenue principale de la ville en tirant un chariot de courses. Elle doit avoir une soixantaine dâannĂ©es et marche lentement. Ses cheveux gris sont assez courts et sont mis en plis au rouleau ou au fer, elle ne porte pas de sac mais tient un porte-monnaie dans la main qui ne tire pas le chariot. Elle est chaussĂ©e de pantoufles noires dĂ©corĂ©es de broderies sur le dessus avec des petits talons compensĂ©s. Elle porte une blouse sans manches, grise avec des petites fleurs roses, boutonnĂ©e sur le devant et en tissu brillant, comme du tergal. La blouse lui arrive aux genoux et est assez ample. Ce type de blouse est ce que mettaient les femmes ĂągĂ©es chez elle pour les travaux mĂ©nagers, la vie quotidienne. Vous vous arrĂȘtez pour la regarder car elle semble ĂȘtre dâun autre temps au milieu de cette avenue passante. Le temps de votre enfance. Elle est exactement habillĂ©e et coiffĂ©e comme votre grand-mĂšre. En la regardant sâĂ©loigner doucement, vous entendez le bruissement du tissu, vous sentez lâodeur des gĂ©raniums quâelle arrosait sur sa coursive. 23 juillet 2020 Deux jeunes garçons sur une plage, ils doivent avoir autour de seize ans. Ils nagent bruyamment en se parlant. Ils ne savent pas trĂšs bien nager, ils essaient de surmonter leur maladresse en faisant les âkĂ©kĂ©sâ. Ils crient, ils sâinterpellent, on nâentend quâeux. Ils se laissent peu Ă peu gagner par lâeuphorie de la mer et se mettent Ă jouer comme des gosses au bord de lâeau, Ă faire la course Ă grands renforts de gestes dĂ©sordonnĂ©s, Ă sâasperger, Ă se faire prendre par les vagues et les galets. Lâun dâentre eux dit quâil nâaime pas aller loin et, un peu honteux, mais voulant se rassurer quand mĂȘme, demande en riant, au maĂźtre nageur assis sur sa chaise, sâil viendra le sauver. Le maĂźtre nageur lui rĂ©pond quâil devrait apprendre Ă nager. Les deux garçons protestent avec vĂ©hĂ©mence disant quâils savent trĂšs bien nager en Ă©claboussant beaucoup autour dâeux mais lĂ oĂč ils ont pied. AprĂšs avoir captĂ© lâattention de toute la plage, ils retournent sur les galets. Ils sont assis sur deux pliants quâont souvent les personnes ĂągĂ©es, et sirotent du coca en Ă©coutant de la musique fort. A nouveau, on nâentend quâeux. Ils se narrent Ă haute voix leurs exploits de natation comme des enfants quâils ne sont presque plus ou quâils sont presque encore et qui se racontent des histoires pour finir par presque y croire. 22 juillet 2020 Un chien tout petit, absolument ridicule avec des oreilles pointues et une queue dressĂ©e et retournĂ©e comme si elle avait Ă©tĂ© mise en plis autour dâun bigoudi. Il se promĂšne sur le quai dâun petit port. On est trĂšs surpris car ce type de chien est toujours soit dans les bras de son maĂźtre soit dans un panier, ou au moins en laisse. On regarde autour de lui, personne ne semble accompagner ce chien. Il est seul et vaque Ă ses affaires de chien, renifler, humer, aller Ă droite et Ă gauche en courant, faire quelques pipis sur des endroits bien prĂ©cis sentis longuement, gratter la terre de temps en temps, aboyer quand un autre chien passe, Ă©viter les gens, aller voir du cĂŽtĂ© des poubelles. Exactement comme ferait un autre chien sauf quâil a la taille dâun chat et quâil nous fait immĂ©diatement penser aux petits chiens proches de la caricature de certains films, aux âPĂ©pettesâ. Lui sâen moque et, en toute indĂ©pendance, il vit sa vie de MĂ©dor. Peu Ă peu, on ne se moque plus, on voit que son instinct lui fait faire la mĂȘme chose que tous les autres chiens une fois dĂ©barrassĂ© de ses maĂźtres. On se met enfin Ă le regarder comme un animal. 21 juillet 2020 Quatre femmes se retrouvent tous les jours pour faire une promenade et passe dans un Ă©troite ruelle en pente quâelles descendent. Elles parlent sans arrĂȘt, le but de la petite marche Ă©tant de se retrouver et de sortir pas de faire du sport. Lâune dâelle Ă une voix plus ĂągĂ©e et souvent, alors que les paroles et les rires fusent, quand elle prend la parole, les autres Ă©coutent patiemment sa lenteur articulĂ©e. Puis, sitĂŽt quâelle a fini, la conversation repart aussi vite. De temps en temps, lâune dâentre elles, sâadresse Ă la plus ĂągĂ©e en lui disant âtu as compris ? â et continue sans attendre la rĂ©ponse ou bien lâautre a rĂ©pondu avec un hochement de tĂȘte. Dans la pente, elles sâaperçoivent que la plus ĂągĂ©e va plus vite quâelles, elles lâinterpellent et lui disent quâelle est vraiment en forme. Lâautre leur rĂ©pond quâelle, elle âne passe pas son temps Ă bavarder pour ne rien direâ dâun ton sec. Les trois autres restent muettes. Puis lâune lui dit avec prĂ©caution âmais maman, il ne faut pas nous en vouloir si tu ne comprends pas tout de notre conversation, tu comprends bien quâon sâamuse un peu ensembleâ. Une parole de petite fille qui sâexcuse de rire avec ses sĆurs. 20 juillet 2020 Un homme dâune cinquantaine dâannĂ©es qui Ă©coute un concert de musique classique. Il est habillĂ© dâun jean, dâun tee-shirt dĂ©lavĂ© et de tongs en cuir. Il est mal rasĂ© et dĂ©coiffĂ© comme sâil se levait dâune sieste. Quand il est arrivĂ© pour sâinstaller au premier rang, il a fait bien attention de porter avec un peu dâostentation sa tenue nĂ©gligĂ©e. Lâorchestre joue et il Ă©coute. AprĂšs le premier mouvement, lâorchestre suspend son geste pour reprendre ensuite par un mouvement plus rapide du mĂȘme concerto. Pendant ce court silence, il applaudit seul. Il ne sait pas quâil faut attendre la fin des mouvements du concerto pour ne pas gĂȘner les musiciens. Deux ou trois personnes suivent mais lui sâarrĂȘte immĂ©diatement. Puis il se tourne vers les gens Ă sa droite en souriant dâun air entendu. On ne sait pas sâil a fait cet impair exprĂšs voulant rompre avec les codes du concert bourgeois par sa tenue et en applaudissant quand il en a envie. On se dit quâil est venu lĂ pour dĂ©montrer quelque chose Ă la petite communautĂ© rĂ©unie pour le concert autant que pour Ă©couter. Pourtant, ensuite, il fera toujours trĂšs attention que les applaudissements soient nourris pour applaudir Ă son tour. Peut-ĂȘtre quâil ne savait pas et quâil cache au mieux son malaise par une dĂ©sinvolture Ă©tudiĂ©e. 19 juillet 2020 Un couple ĂągĂ© dâitaliens dĂ©jeune avec un ami. Lui ressemble Ă lâimage rĂȘvĂ©e que lâon peut se faire dâun vieil italien Ă©lĂ©gant sans ostentation, les cheveux et la moustache blancs immaculĂ©s, les traits fins, parlant avec juste quelques gestes des mains et un air malicieux. De temps en temps, il jette un regard Ă la fois dĂ©solĂ© et tendre Ă sa femme qui se bat depuis quâelle est arrivĂ©e avec son grand sac. Elle finit par le faire tomber, le vide en le ramassant, se met Ă quatre pattes pour rĂ©cupĂ©rer tout ce qui est par terre, oublie le tĂ©lĂ©phone qui est sous sa chaise et se relĂšve en disant que câest de sa faute car elle ne ferme jamais son sac avec un air Ă la fois embĂȘtĂ© et un peu provocateur. Il la regarde faire puis se lĂšve, prend le sac, range posĂ©ment ce quâil y a dedans, doit sâapercevoir quâil manque le tĂ©lĂ©phone, se baisse, le cherche des yeux, le ramasse, ferme le sac et le pose sur une chaise en face de lui. Pendant ce temps, elle se dĂ©sintĂ©resse complĂštement de ce quâil fait et raconte quelque chose Ă leur ami en riant. Quand il se rassied, il sourit et se rĂ©installe dans la conversation en passant du français Ă lâitalien avec une aisance absolument naturelle. On se demande si dans ce duo, son rĂŽle Ă elle nâest pas de tout faire tomber, de tout perdre et lui, calmement et Ă©lĂ©gamment, de tout ranger, tout retrouver, tout ordonner. 18 juillet 2020 Un jeune homme traverse une place. Il est grand, mince et porte un long bermuda et un tee-shirt sans manches vert fluo, il a des tongs aux pieds. Son visage fin et beau est couronnĂ© dâun immense chignon de dreadlocks tenus pas un foulard sombre dont certaines dĂ©passent. Il a fiĂšre allure et marche de maniĂšre Ă la fois nonchalante et enjouĂ©e. On pense aux athlĂštes jamaĂŻcains de la course qui ont cette Ă©lĂ©gance joyeuse dans leur maniĂšre de se dĂ©placer et de gagner. Il va et vient au dĂ©but sans que lâon comprenne ce quâil fait et puis on se rend compte quâil regarde les Ă©tals et doit chercher un fruit ou un lĂ©gume prĂ©cis. Il sâarrĂȘte devant un Ă©tal de lĂ©gumes et on voit que le marchand lui lance un regard sur la dĂ©fensive presquâagressif. Il nâa pas lâair de sâen apercevoir et quand il demande sâil peut se servir de courgettes du pays, le marchand ouvre des grands yeux et sourit. Le grand athlĂšte rasta Ă la belle allure a un fort accent chantant et particulier du coin et il sait choisir ses courgettes. On ne sait sâil est indiffĂ©rent ou juste habituĂ© Ă lâagressivitĂ© quâil peut susciter ou sâil sait que dĂšs quâil parle son accent lâadoucit immĂ©diatement faisant de lui quelquâun dâici. 17 juillet 2020 Une femme dâune quarantaine dâannĂ©es qui est massive mais semble assez sportive, dynamique. Elle est habillĂ©e dâun robe noire ample et de bottines. Ce qui frappe, ce sont ses lunettes qui viennent en avant de son visage et qui sont noires, longues et assez peu larges mais avec des montures trĂšs Ă©paisses qui cachent quasi complĂštement le regard. Le visage est assez large et se termine en un menton pointu et une bouche fine. Les cheveux sont trĂšs noirs et coupĂ©s dans un carrĂ© court. Les pommettes sont marquĂ©es. On pense Ă un visage slave. Pourtant autre chose nous donne un sentiment de dĂ©jĂ vu et de malaise. On pense alors aux visages que lâon a pu voir dans des films de femmes des pays de lâEst, avec ce type de lunettes et de visage, au regard froid, au verbe violent qui en surveillent ou en interrogent dâautres. Pourtant quand celle-ci se met Ă rire et enlĂšve ses lunettes pour les essuyer, on voit toute la beautĂ© lumineuse dâun jeune visage dâune paysanne russe. On ne sait plus quel Ăąge elle a et on se demande pourquoi elle a mis devant son regard un paravent plastifiĂ© et noir. Certainement quâelle sâest sentie contrainte de cacher la fraĂźcheur Ă©clatante qui peut troubler son image de femme de pouvoir. 16 juillet 2020 Un jeune couple dĂ©jeune devant une plage. Ils se lĂšvent et vont sâassoir sur un matelas pour faire une selfie dâeux deux devant la mer. Elle bouge un peu ses cheveux, donne un coup Ă sa frange et attend, assise. Il se recoiffe une premiĂšre fois pour donner un peu de volume Ă sa chevelure un peu clairsemĂ©e. Il sâassied et tient le tĂ©lĂ©phone Ă bout de bras, regarde leur image et fait la grimace. Il se relĂšve. Il remet en place sa chemise blanche, refait bouffer ses cheveux et se rassied. Il prend un selfie, le regarde, le montre Ă sa compagne, et visiblement nâest pas content. Il retourne Ă leur table, prend ses lunettes de soleil et les met, non sans avoir encore passĂ© une main dans ses cheveux. Pendant ce temps, elle attend souriante et sĂ»re dâelle, trĂšs calme. Il se rassied et ils prennent leur photo puis une deuxiĂšme. La jeune femme se relĂšve, elle est assez grande, mince, jolie sans ostentation. Lui, plus petit, semble mal Ă lâaise quand ils sont debout ensemble. Il est inquiet. Sa tension semble grandir encore devant le rire de sa compagne qui pianote sur son tĂ©lĂ©phone et envoie certainement leur image sur les rĂ©seaux sociaux. Il a terriblement peur dâĂȘtre encore moquĂ©. 15 juillet 2020 Un jeune garçon pieds nus, en pantalon de survĂȘtement relevĂ© et tee-shirt ample et blanc, sâamuse avec les vagues au dĂ©but de lâautomne. Il a des cheveux courts, trĂšs blonds et une visage fin aux lĂšvres petites avec des yeux clairs. Lâeau est dĂ©jĂ froide, il crie, il court, va et vient en fonction des vagues. A un moment donnĂ©, il glisse parmi les galets, se retrouve par terre et se fait mouiller jusquâaux genoux. Il rit. Il a lâair seul mais au fond de la plage, une femme le regarde sans vraiment dâinquiĂ©tude mais quand il tombe, elle va vers lui et sâarrĂȘte en entendant son rire. Le rire aigu de lâenfant, presquâun adolescent, nous surprend et quand on voit quâil a des boucles dâoreilles, on pense que câest peut-ĂȘtre plutĂŽt une jeune fille. On le regarde ou on la regarde longuement sâamuser et on ne peut savoir. A voir le regard doux et attentif que lui porte celle qui semble ĂȘtre sa mĂšre, les mouvements, les gestes, les cris, la vivacitĂ© de cet ĂȘtre joyeux, on se dit que cette incertitude est la sienne, que câest son choix portĂ© vaillamment face Ă la mer qui lui lĂšche les pieds. 14 juillet 2020 Un homme dâune quarantaine dâannĂ©es. Il nâest pas grand, avec une densitĂ© physique, une Ă©paisseur qui est contredite par un visage dans lequel tout est petit. On remarque immĂ©diatement que le sourire est toujours forcĂ© et que le mouvement incessant des yeux le contredit. Il observe tout, tout le temps, et on cherche ce qui est lâespace ou le lieu de son angoisse. Il a deux jeunes enfants qui jouent, non loin de leur mĂšre, assez tranquillement. DĂšs quâil arrive, lâun se met Ă crier et lâautre Ă faire une bĂȘtise. Cet homme fermĂ© a fait de lâinquiĂ©tude pour ses enfants, une obsession. Il fait presque peur dans ses gestes prĂ©cautionneux, quand il enlĂšve absolument tout qui pourrait reprĂ©senter une danger, quand il passe son temps accroupi Ă vĂ©rifier que tout se passe bien. Il sait que les autres le voyant pensent quâil est obsessionnel, quâil exagĂšre. Il se sent jugĂ© alors il parle autant pour les autres que pour lui-mĂȘme en commentant ce quâil fait et en en donnant les raisons, tentant dâobjectiver pour lui et les autres ses gestes. Il sait quâil en fait trop mais il ne peut pas faire autrement. Il créé une tension perpĂ©tuelle qui malmĂšne les ĂȘtres. 13 juillet 2020 La jeune femme est trĂšs brune, elle porte un chignon haut et a de jolis yeux bruns clairs. Elle porte une robe fleurie dont les courtes manches sont un peu bouffantes. Quand elle prĂ©pare votre dossier mĂ©dical puis tente de vous enregistrer et de vous faire payer, elle semble perdue et le mĂ©decin, son patron doit la guider. Elle fait un remplacement. Il doit lui faire rĂ©pĂ©ter plusieurs fois ce quâelle dit car elle porte un masque noir Ă©pais, trĂšs particulier quâelle attache par des pressions et qui semble trĂšs prĂšs de son visage. A un moment donnĂ©, le mĂ©decin est reparti et le systĂšme informatique se bloque, elle sort de derriĂšre son bureau et sa vitre, et court vers le bureau. La vision de cette jeune femme qui court avec son masque noir fait penser Ă une vision cinĂ©matographique mĂȘme si ce film-lĂ , cette image-lĂ nâexistent probablement pas. On pense immĂ©diatement aux jeunes gens dĂ©figurĂ©s pendant la premiĂšre guerre mondiale et leur masque. Elle se rassied, essoufflĂ©e, et on est apaisĂ© par le bruit de sa respiration qui nous ramĂšne au rĂ©el. 12 juillet 2020 Un maĂźtre dâhĂŽtel dâun restaurant de plage assez chic. Il nous demande si on a rĂ©servĂ© et nous dĂ©signe une table loin de la mer. On lui confie quâon voudrait entendre la mer, que câest pour cela que lâon vient aussi, il nous dit que âbien sĂ»r, il comprendâ et il nous trouve une table plus prĂšs. Il est parfait. HabillĂ© dâun costume noir, dâune chemise blanche mais sans cravate ce qui aurait Ă©tĂ© trop pour la situation de ce restaurant, il porte des chaussures en cuir noir, cirĂ©es. Ce costume impeccable de sa fonction est mis en valeur par son masque immaculĂ© avec, sur le cĂŽtĂ©, le nom de la plage. Alors que tous les serveurs et serveuses suent, enlĂšvent leur masque dĂšs quâils entrent dans les cuisines, il nây touche pas, il ne lâenlĂšve jamais, il va de table en table pour demander si tout va bien. A force, on a le sentiment quâil est Ă part et câest peut-ĂȘtre ce quâil souhaite ou que sa fonction demande. Pourtant Ă un moment donnĂ©, on le surprend qui essuie son visage avec un mouchoir en coton et change de masque pour en avoir un toujours impeccable. Ce petit geste de sâessuyer nous rassure et nous fait entrâapercevoir le visage de lâhomme qui doit absolument donner le sentiment quâil sourit poliment Ă tous alors quâon ne voit presque pas son visage. 11 juillet 2020 Deux petits garçons dâenviron sept ans sur le quai dâun tout petit port. Ils jouent en toute libertĂ©. Lâun a un bermuda, un tee-shirt ample, pieds nus, il est bronzĂ©, Ă©lancĂ©, avec dĂ©jĂ des Ă©paules, un beau visage fin et une coupe de cheveux savamment libres. Lâautre, plus brun, est en claquettes plastiques, en short noir avec un polo dĂ©lavĂ© et une coupe de cheveux classique de petit garçon. Le premier initie les jeux, marche en Ă©quilibre au port du quai, montre les petits poissons, court vite, lâautre suit. MĂȘme quand ils marchent ensemble, le premier le devance peu. Quant lâautre le dĂ©passe, dâun petit sautillement, il le devance Ă nouveau, mine de rien. De temps en temps, il remonte dâun coup de tĂȘte ses mĂšches de cheveux et on voit le bel adolescent quâil va ĂȘtre, sĂ»r de lui, sĂ©duisant. Lâautre joue, court, touche ses cheveux, tout comme lâautre, avec un lĂ©ger dĂ©calage qui nâest pas seulement dĂ» au temps nĂ©cessaire pour lâimiter mais aussi Ă son manque dâassurance. A un moment donnĂ©, il se met Ă courir persuadĂ© que lâautre va le suivre, lâautre ne bouge pas. Le futur âbeau gosseâ attend, il a toute la vie devant lui pour ĂȘtre aimĂ©. 10 juillet 2020 Une jeune femme avec ses deux petites filles dans une jardinerie. LâainĂ©e fait la tĂȘte et pleurniche en rĂ©pĂ©tant que âce nâest pas justeâ. Elle veut absolument quâon lui achĂšte un petit chien en rĂ©sine qui imite la porcelaine et sa mĂšre ne veut pas. La plus jeune sĆur se range alternativement dans la camp de lâune et de lâautre. Le combat dure pendant tout le temps de la longue queue aux caisses puis dâun coup, la mĂšre cĂšde, et dit Ă lâainĂ©e dâaller chercher avec sa sĆur un petit chien chacune. Elles reviennent. Alors que lâainĂ©e exulte, la plus jeune Ă lâair plus dubitative et finit par demander âmais est-ce quâon pourra avoir un vrai chien, un jour ?â. La mĂšre rĂ©pond quâelles ont ces deux petits chiens et que cela suffit bien comme cela. La plus jeune regarde sa sĆur dâun air inquiet, se disant certainement quâelle prĂ©fĂšre avoir un vrai chien que cet ersatz. LâaĂźnĂ©e la regarde et lui fait un signe de la main qui semble dire âprenons ces faux chiens, ensuite, nous essaierons dâen avoir un vraiâ. Elles caressent toutes deux la rĂ©sine colorĂ©e pensivement. 9 juillet 2020 Un homme qui dĂ©jeune sur une plage avec son compagnon et la mĂšre de lâun dâentre eux, sĂ»rement la sienne car il est face Ă elle. Il est en tongs noires, en short noir assez court et en marcel gris foncĂ©. Il est grisonnant et a un visage assez rond marquĂ© par une acnĂ© ancienne. Pendant tout le repas, il parle. Sans sâarrĂȘter jamais, guettant juste de temps en temps les acquiescements des deux autres. DĂšs que le silence menace, son angoisse est palpable et il se met Ă triturer sa serviette et son pain. Sur le qui vive, il interpelle le serveur pour redemander du pain, puis de lâeau, puis des nouvelles serviettes, la carte, commentant les plats, disant âcâest bon, heinâ mĂȘme sâil nâa pas goĂ»tĂ© les autres assiettes, suggĂ©rant de profiter de la plage aprĂšs le dĂ©jeuner, rĂ©pĂ©tant âon est bien ici, hein ?â, nâattendant pas de rĂ©ponse, reprenant par âah, ce quâon va ĂȘtre bien au bord de lâeau !â. Il a un besoin presque Ă©touffant de commenter le prĂ©sent pour se donner la sensation dâĂȘtre lĂ . Les deux autres personnes lui prĂȘtent une attention mesurĂ©e, habituĂ©es certainement. Cela les arrange peut-ĂȘtre. De temps en temps, la mĂšre dit quand mĂȘme, âmais, ouiâ dâun ton rassurant pour quâil se tranquillise juste quelques instants, quâil sâapaise. 8 juillet 2020 Une femme dâenviron une cinquantaine dâannĂ©e attend pour pouvoir entrer dans un magasin. Une fois entrĂ©e, elle manifeste vivement son mĂ©contentement mais on ne sait pourquoi. A voir le visage souriant mais excĂ©dĂ© du commerçant, on comprend quâelle doit souvent faire cela. Elle rĂąle en marmonnant sans quâon puisse distinguer vraiment ce quâelle se dit. Elle regarde Ă plusieurs reprises vos deux paniers. Elle manifeste que vous la gĂȘnez. Vous continuez nĂ©anmoins vos courses en parallĂšle, elle regarde chaque Ă©tiquette, va vers certains fruits dont vous vous ĂȘtes servis, hĂ©site longtemps devant les cerises et renonce. Elle va vers la caisse pour payer. Vous vous rendez compte malgrĂ© le masque, quâelle est encore plus tendue et lĂ , muette. Elle regarde prĂ©cisĂ©ment les prix qui sâaffichent Ă la pesĂ©e et compte mentalement. Quand le commerçant dit la somme, lâarrondit plus bas, elle semble soulagĂ©e, tend la somme exacte et sâen va non sans vous lancer un regard colĂ©reux. Lâopulence tranquille de vos courses vous gĂȘne presque. Vous allez vers la caisse et le commerçant, vous dit âElle rĂąle mais câest parce quâelle ne peut pas acheter ce qui lui fait envieâ. Il ne prĂ©cise pas âelle !â en emballant vos fraises mais il lâa pensĂ© et vous aussi. 7 juillet 2020 Dans un port dâune petite ville du Sud de la France, il y a au moins dix voiliers quasiment alignĂ©s sur un quai. Il fait mauvais, le mistral souffle et aucun bateau nâa pu sortir en mer. Dans lâaprĂšs-midi, peu Ă peu, on sâaperçoit que sur chaque voilier, il y a un homme. Ils sont tous de la mĂȘme gĂ©nĂ©ration, entre cinquante et soixante ans, plutĂŽt bien bĂątis et costauds. Ils sont habillĂ©s dâun bermuda blanc ou en jean, dâun tee-shirt rayĂ©, de chaussures de bateau ou de sandales MĂ©phisto, tous quasi identiques. Chacun dĂ©plie, nettoie, plie, range, nettoie, soude, hisse, affale, protĂšge, remplit, graisse, peint, vernit, ponce, colmate, colle, dessale, lime, dĂ©coupe, dĂ©noue, noue, bricole avec un plaisir et une joie perceptible. Certains parlent entre eux de bateau Ă bateau, rigolent, deux boivent un cafĂ© ensemble. Ils forment ensemble un ballet mĂ©canique dont mĂȘme les Ă©carts semblent faire partie dâune chorĂ©graphie rĂ©pĂ©tĂ©e. On se pose quand mĂȘme une question pourquoi nây a t-il aucune femme ? Les leurs, certaines Ă qui appartiendrait aussi un bateau, oĂč sont-elles ? Brutalement, cette fraternitĂ© des gestes et de la mer devient inquiĂ©tante. 6 juillet 2020 Un homme fort, assez jeune, au bord dâun trottoir qui attend pour traverser. Il est en short noir flottant, en tee-shirt noir assez large, et porte des baskets noires montantes. Ses longs cheveux chĂątains semblent mal coupĂ©s et dĂ©passent dâune casquette blanche avec une longue visiĂšre. Son visage est Ă©pais, avec un nez trĂšs Ă©patĂ© comme sâil avait reçu un coup, il a une barbe naissante. Il sautille sur place et regarde rĂ©guliĂšrement sa montre, sans prĂȘter attention Ă autre chose, concentrĂ©. De temps en temps, il lĂšve la tĂȘte vers le feu. On pense quâil est en train de courir, de faire du sport et que son trajet est interrompu par la traversĂ©e de ce boulevard. Pourtant quand on repasse au mĂȘme endroit aprĂšs avoir fait des courses, il nâa pas bougĂ©. Il continue de sautiller, de regarder sa montre, le feu mais effectivement quand il pourrait passer, il reste sur place. A un moment donnĂ©, il arrĂȘte de sautiller et il se tourne pour demander quelque chose Ă un passant qui lui donne une cigarette. Il allume la cigarette, ne bouge plus. Quand elle est finie, il recommence Ă sautiller et Ă guetter le feu vert. Alors quâil sâagite comme une marionnette remontĂ©e, son simulacre nous fige dans un regard suspendu. 5 juillet 2020 Deux jeunes femmes dans un restaurant qui sont visiblement au dĂ©but de leurs vacances dans une petite Ăźle du Sud de la France, un petit paradis. Lâune dâentre elle, un peu ronde, avec une jolie bouche charnue, fait trĂšs visiblement âla gueuleâ. Dâun ton las, elle regarde la carte et nâen finit plus de chercher ce quâelle va boire, ce quâelle va manger alors que la serveuse attend patiemment. En regardant sa compagne du coin de lâĆil comme si câĂ©tait une provocation, elle annonce quâelle va manger un plat chaud, copieux, alors que le midi est dĂ©jĂ trĂšs ensoleillĂ©. Celle-ci ne rĂ©agit pas. Quand le repas arrive, elle fait la moue Ă la premiĂšre bouchĂ©e, critique le plat mais finit son assiette. Quand arrivent les desserts, elle peut enfin manifester toute sa colĂšre car sa compagne a pris un dessert Ă partager pour elles deux avec du chocolat et elle nâaime pas le chocolat. Sa compagne lui fait remarquer quâelle ne pouvait savoir quâil y avait du chocolat dans lâĂ©noncĂ© du dessert et quâelle nâa quâĂ commander un autre dessert. Lâautre continue de sâĂ©nerver et lui dit âComme dâhabitude, tu nâas pas fait attention Ă moi! â. Alors, lâautre se tourne vers elle et trĂšs gentiment lui dit âQuâest ce qui ne va pas ? â. Enfin. 4 juillet 2020 Un couple de trentenaires italiens sur une plage. On les remarque parce quâelle passe un long moment Ă lui masser le dos alors que lui, impavide, se tient assis, droit, sur son matelas en regardant la mer devant lui. Ils vont ensuite Ă lâeau. Elle, la premiĂšre, entre dans lâeau et nage un peu pendant quâil se tient debout toujours trĂšs droit, les pieds dans lâeau. Il attend un peu, dĂšs quâelle le regarde et va vers lui, il plonge et nage vite. Elle hĂ©site, continue vers lui, il nage mais finit par ralentir et se laisser rejoindre. Elle lâenlace et lâembrasse dans lâeau en riant visiblement trĂšs heureuse dây ĂȘtre arrivĂ©e. Il ne bouge presque pas et repart nager en lâĂ©cartant du bras doucement. Elle nage vers le bord et se retourne de temps en temps pour le regarder. Quand il sort de lâeau, il vĂ©rifie quâelle le regarde comme quand il y est entrĂ©. On les retrouve plus tard Ă une table du restaurant. Elle parle vivement et longuement. Il lâĂ©coute avec aviditĂ©, acquiesce, la regarde intensĂ©ment. Dans cette inversion de lâattention, on devine une rĂ©partition possible de leurs territoires de pouvoir. 3 juillet 2020 Un homme lourd, ĂągĂ© mais moins quâil nây paraĂźt certainement, qui vend des objets sur le cĂŽtĂ© dâun marchĂ©. Il est lĂ pour vendre mais il nâarrive pas Ă faire le minimum pour y arriver. Il rĂ©pond Ă peine aux questions sur les objets, leur prix, et marmonne Ă la limite du dĂ©sagrĂ©able. Quand il est obligĂ© de se dĂ©placer pour aller chercher quelque chose, regarder un prix, il ne fait que la moitiĂ© des gestes et souvent une fois le geste esquissĂ©, il semble donner un prix au hasard. On nâarrive pas Ă savoir sâil ne voudrait pas ĂȘtre lĂ , si quelque chose ou quelquâun lâa mis en rogne ou bien si cette fatigue Ă©paisse vient dâailleurs. On se demande sâil nâest pas si attachĂ© Ă ce quâil voudrait vendre quâil fait tout pour tout garder dâautant plus que la camionnette Ă cĂŽtĂ© de son stand est remplie dâobjets encore emballĂ©s. Un couple insiste pour lui acheter une lampe, il finit par donner un prix quâils ne nĂ©gocient pas et ils paient. Il regarde la lampe, soupire, et la leur tend, sans lâemballer, comme sâil fallait faire vite pour ne pas quâil rende lâargent et veuille la garder Ă tout prix. 2 juillet 2020 Une place trĂšs minĂ©rale dâune petite ville du Sud de la France. Il fait trĂšs chaud, il nây a pas dâombre. Au centre de la place, une fontaine trĂšs basse et de chaque cĂŽtĂ© de ce bout dâĂźle, des canaux assez larges. On voit de jeunes enfants qui pataugent et jouent dans la fontaine, on aperçoit et on entend des plus grands qui sautent dans le canal, qui nagent, remontent par une Ă©chelle, se houspillent, sautent Ă nouveau. Rien nâest amĂ©nagĂ© pour la baignade. On regarde sâils sont accompagnĂ©s et on voit trois femmes qui sont installĂ©es sur les longues marches le long de la fontaine avec des serviettes, des sacs de pique-nique, des bouteilles dâeau, les habits des enfants en vrac. Deux dâentre elles sont en maillots de bain et installĂ©es comme Ă la plage, une troisiĂšme est habillĂ©e et se tient sur le cĂŽtĂ© du bassin, elle est pieds nus et les trempe rĂ©guliĂšrement dans lâeau fraĂźche. Elles parlent entre elles, jettent un coup dâĆil aux enfants. La plage est Ă quelques kilomĂštres alors elles viennent prendre place dans lâespace public aseptisĂ© auquel elles redonnent un souffle de vie qui nous fait penser aux Ă©tĂ©s anciens et aux cris des enfants qui jouaient partout oĂč il y avait de lâeau. 1 juillet 2020 Le quai dâun port qui rutile de yachts immenses, brillants, comme boursouflĂ©s, obscĂšnes. Sur leurs plages arriĂšres, des gens qui boivent, dansent, mangent, discutent, sous les yeux des badauds venus lĂ pour cela, les voir. Un peu de cĂŽtĂ©, sur un quai plus privĂ©, un yacht gris foncĂ©, aussi gros que les autres, avec un salon Ă lâarriĂšre trĂšs vaste et ouvert. On y voit un groupe de jeunes gens entre seize et vingt ans pense-t-on, qui boivent, dansent, servis par un Ă©quipage en tenue qui rĂ©guliĂšrement passe un plateau de flĂ»tes Ă champagne parmi eux. Les jeunes gens sont tous bronzĂ©s, bien habillĂ©s, avec une Ă©lĂ©gance sans calcul. Ils sont sur le yacht de la famille de lâun des leurs, câest leurs vacances. Ils font comme beaucoup de jeunes gens de leur Ăąge, ils boivent, ils crient, ils Ă©coutent de la musique fort et ils dansent. Pourtant, lĂ , sur ce bateau, sous les yeux dâune foule modeste quâils ne semblent pas voir du tout, ils apparaissent dans une dĂ©cadence folle et aveugle. On a le sentiment quâĂ tous moments, le bateau peut couler et eux, se retrouver Ă nager dans les eaux sales du port. On le leur souhaite presque. 30 juin 2020 Petit, trĂšs petit, un homme dâune trentaine dâannĂ©es sillonne un marchĂ© sous le soleil. Il est habillĂ© dâun pantalon bleu avec le pli marquĂ© et une chemisette gris clair. La chemisette est rentrĂ©e dans le pantalon. Aux pieds qui sont grands par rapport Ă sa taille, des sandales du genre âMĂ©phistoâ. Il marche vite mais en traĂźnant quand mĂȘme des pieds au milieu des allĂ©es. Il a un regard fixe et comme abasourdi, un sourire figĂ© aux lĂšvres et tourne sans cesse car on le croise plusieurs fois. Personne ne se moque de lui, personne ne lui parle, personne ne lâinterpelle comme souvent cela arrive dans les villages avec âson idiotâ. Il semble seul, nous sommes en ville. A un moment donnĂ©, il va se mettre Ă cĂŽtĂ© dâun Ă©tal de fruits et lĂ©gumes et il ne bouge plus. Il se balance en regardant les gens comme sâil jouait Ă la marchande, peut-ĂȘtre dans une conversation muette. On ne sait sâil est liĂ© Ă la vendeuse de lâĂ©tal qui lui jette de temps en temps un regard bienveillant mais ne lui parle pas ou sâil sâest mis lĂ , et câest tout. On ne sait pas sâil parle, sâil entend, mais sa prĂ©sence créé un halo creux, une apnĂ©e, au sein du bruissement de ce dimanche. 29 juin 2020 Le mĂ©decin vous appelle et vous entrez dans son cabinet Ă lâintĂ©rieur dâun grand hĂŽpital. Vous lâavez dĂ©jĂ vu deux fois mais il porte lĂ un masque qui dĂ©colle ses grandes oreilles qui sont encore plus visibles et risibles que dâhabitude. Vous pensez Ă Lucky Luke et lâhistoire des OâTimmins et des OâHara. Cela vous fait sourire. Il regarde vos examens, nâa lu aucun des documents que vous aviez envoyĂ©s, pose des questions, lit tout en Ă©coutant vos rĂ©ponses. Il va vous examiner et vous demande dâenlever votre masque. Il vous montre sur lâĂ©cran ce quâil voit avec sa camĂ©ra. Vous vous relevez, vous allez vous rasseoir aprĂšs avoir remis votre masque. Il enlĂšve le sien et vous savez alors quâil va vous annoncer des mauvaises nouvelles. Il sâassied sur un tabouret et vous explique quâil nâa plus beaucoup de solutions pour vous. Il vĂ©rifie du regard que vous Ă©coutez et comprenez bien. Vous vous demandez si ceux qui ont des grandes oreilles sont les OâTimmins ou les OâHara. Vous vous dĂ©fendez devant ce qui est en train dâadvenir. 28 juin 2020 Une trĂšs jolie jeune femme Ă la terrasse dâun cafĂ© avec son petit garçon qui doit avoir deux ans. Elle est bronzĂ©e, bien habillĂ©e mais simplement, trĂšs apprĂȘtĂ©e et maquillĂ©e. Elle met son fils devant son Ă©cran de tĂ©lĂ©phone, il grignote un bout de pain en regardant un jeu ou un dessin animĂ©. De temps en temps, il lui prend le bras pour lui montrer quelque chose. Une amie arrive, aussi jolie, elle est accompagnĂ©e dâun petit chien, une miniature de bouledogue quâelle tient en laisse et qui se met sous la table. La jeune mĂšre explique que le pĂšre de son fils va venir le chercher ce midi jusquâau soir en ce dimanche de fĂȘte des pĂšres, et que le week-end prochain, elle pourra enfin aller faire la fĂȘte avec des amis car âle petit est avec son pĂšreâ. Elle ne voit pas que chaque fois quâelle parle de lui et de son pĂšre, le petit garçon essaie de donner un coup de pied au chien. Il y arrive parfois. Le chien couine et se rĂ©fugie dans les jambes de sa maĂźtresse. Celle-ci dâun geste agacĂ©, le repousse. Le petit garçon regarde fixement lâĂ©cran mais continue dâĂ©couter la conversation, redonne un coup de pied, le chien couine ⊠dans ce dialogue de petits gestes violents, on ne sait pas si lâenfant et le chien ne sont pas solidaires. 20 juin 2020 Elle Ă©crit Ă son bureau, sĂ©rieuse, appliquĂ©e mais elle doit se dĂ©pĂȘcher. Elle part pour une semaine. LĂ oĂč elle va, elle nâaura pas internet et aucun moyen dâĂ©crire tous les jours une description. Ou plutĂŽt, il y aura des possibilitĂ©s de connexion mais ce sera compliquĂ©, elle va y penser sans cesse. Dâautres choses tristes lui encombrent lâesprit, elle doit sâallĂ©ger. Elle a besoin de juste regarder et de noter ce quâelle voit. Elle va travailler et revenir. 19 juin 2020 Une femme dâune quarantaine dâannĂ©es sort dâun pas dĂ©cidĂ© dâune serre reconvertie en pĂ©piniĂšre. Elle est habillĂ©e trĂšs simplement dâun jean ample et dâun grand tee-shirt noir, ses cheveux sont retenus par un ruban et elle porte des courtes bottes en caoutchouc. Elle porte un masque et des gants en plastique fin. Elle tient un sĂ©cateur Ă la main et une petite binette. Elle rentre et sort de la pĂ©piniĂšre, range les plantes aromatiques qui sont exposĂ©es dehors, Ă lâentrĂ©e. Elle enlĂšve les mauvaises herbes, va dans la rĂ©serve et revient avec des soucis et des capucines quâelle arrange sur des petites tables. Elle travaille. Elle entre dans la pĂ©piniĂšre et discute avec une cliente et ressort. Elle regarde les romarins, les soulĂšve, les tĂąte, en pose et en reprend, elle a un air soucieux. Tout Ă coup, subrepticement, elle enlĂšve un gant. Elle tĂąte les romarins Ă nouveau, touche le terreau des pots et sourit en en prenant deux. Elle remet son gant rapidement et va rejoindre la cliente Ă la caisse. 18 juin 2020 Lâhomme a une cinquantaine dâannĂ©es. Le visage est fin, le regard vibrant dâintelligence et dâhumanitĂ©, le cheveu court, il porte de grosses chaussures de marche, un jean et un tee-shirt usĂ©. Il tient dans la main une liasse de papiers Ă©bouriffĂ©s, Ă©crits Ă la main avec des ratures et des soulignĂ©s qui traversent presque le papier. Il semble chercher quelque chose. Son sac que lâon voit posĂ© par terre, certainement. Il se roule une cigarette Ă©paisse et on voit que ses doigts sont jaunis comme ceux des gros fumeurs. Il fume assez tranquillement en regardant la cour intĂ©rieure de son Ă©cole. Il est en retard, les Ă©tudiants lâattendent en levant la tĂȘte vers lui mais il fume avec quand mĂȘme une sorte de fĂ©brilitĂ©. Dâun coup, il jette un Ćil Ă la table commune et voit le cahier dâun autre enseignant. Il dessine dessus une sorte de cocotte au stylo bille. Il sourit comme un enfant. Il descend les marches en tanguant un peu, presque maladroitement et va faire cours. Il a oubliĂ© ses notes et son sac. Il nâa presque pas peur. 17 juin 2020 Un jeune homme sâarrĂȘte avec son vĂ©lo-taxi devant un bar ancien devenu branchĂ© dâun quartier ancien et piĂ©ton. On sâattend Ă ce quâil descende pour boire un cafĂ© ou rejoindre des gens mais on entend les habituĂ©s appeler âJosette, Josetteâ. Une trĂšs vieille dame lĂšve la tĂȘte, sourit au garçon et se lĂšve lentement. Elle traverse la terrasse Ă trĂšs petits pas dans son pantalon large, sa chemise Ă col âMaoâ et son sac en bandouliĂšre. Elle dit âBonjour, Antonâ et il lui demande sur un ton qui montre quâil connaĂźt la rĂ©ponse âon va Ă la maison ?â. Il a un accent slave prononcĂ©. Il lui installe un petit marche-pied et elle monte gaillardement dans le vĂ©lo-taxi. Une fois assise, elle sourit Ă la cantonade, certaine dâĂȘtre au centre de lâattention, et donne une petite tape sur lâĂ©paule dâAnton qui docilement commence Ă pĂ©daler. Les habituĂ©s racontent que tous les jours ce vĂ©lo-taxi vient la chercher aprĂšs quâelle a fait son petit tour. Dans son sourire et dans son petit geste, on retrouve des images de cinĂ©ma avec des pousse-pousses dans des rues surpeuplĂ©es dâAsie et des hommes qui courent ou pĂ©dalent pour en tirer dâautres. 16 juin 2020 Un hĂŽtel de luxe des annĂ©es quatre-vingt sur le bord de mer dâune grande ville balnĂ©aire. Il est laid, gĂ©omĂ©trique, datĂ©, et fait maintenant tĂąche au milieu des autres immeubles plus anciens et assez beaux, il reste pourtant avec son casino, le symbole dâun certain luxe. On prend la rue qui longe lâarriĂšre du bĂątiment et on a le sentiment de changer de ville. A un chantier vide sur un trottoir et une façade, succĂšde une boutique abandonnĂ©e dâancien loueur de voitures, un hall dâimmeuble sale, une entrĂ©e de parking pisseuse, des gravats, un restaurant fermĂ© et le poste de police municipale gris et marron. On est surpris car on est Ă cinquante mĂštres du bord de mer, Ă deux pas des boutiques de luxe et les clients du grand hĂŽtel doivent passer par lĂ , parfois. Comme si câĂ©tait lâenvers du dĂ©cor, la vraie ville qui tient le carton pĂąte. AprĂšs un temps de dĂ©goĂ»t, cela nous rassure presque de retrouver dans ce chantier, notre ville qui Ă©tait sale et âfoutraqueâ avant dâĂȘtre entiĂšrement dĂ©volue au tourisme. Quelque chose dâun sud irrĂ©ductible Ă sa marchandisation Ă tout prix quâon avait vu dans certains quartiers de Rome ou dâAthĂšnes. 15 juin 2020 Une jeune femme sur un matelas et sous un parasol dâune plage privĂ©e, allongĂ©e, tout au bord de la mer. La plage est presque vide, seuls quelques matelas sont occupĂ©s en âpremiĂšre ligneâ mais le restaurant plus au fond, lui, est plein et animĂ©. Elle se relĂšve et sâexamine longuement comme si elle cherchait quelque chose sur sa peau. Puis elle enfile lentement un courte robe cintrĂ©e boutonnĂ©e sur le devant quâelle ne ferme pas complĂštement ce qui met en valeur sa poitrine opulente et elle chausse des claquettes de marque italienne avec des cabochons brillants. Elle refait ensuite sa haute queue de cheval, se regarde dans un miroir de poche, touche ses sourcils et met du brillant sur ses lĂšvres. On pense quâelle va prendre son sac pour partir ou aller dĂ©jeuner mais elle ne fait que traverser la plage et le restaurant Ă pas mesurĂ©s pour aller aux toilettes. Elle revient, repasse avec la mĂȘme lenteur calculĂ©e, se dĂ©shabille lentement et se rĂ©installe sur son matelas. Pendant tout ce temps, son compagnon nâa pas bougĂ© ni mĂȘme levĂ© le regard de son livre. 14 juin 2020 Un homme Ă la caisse dâun magasin de meubles et dâobjets. Il est habillĂ© en noir avec le nom du magasin qui sert de logo sur le polo. Ils ne sont que deux dans tout le magasin et il est pressĂ© de toutes parts par des clients qui veulent des renseignements ou payer. Il vous a vu attendre patiemment et il sait que cela fait longtemps, il vous apostrophe pour vous demander ce que vous voulez car âil obĂ©it toujours aux femmesâ en essayant de crĂ©er une complicitĂ© avec vous. Il voit que vous souriez poliment mais il comprend tout de suite quâil ne faut pas quâil aille sur ce terrain-lĂ avec vous. Il reste un court moment silencieux en vous menant vers le meuble sur lequel vous voulez un renseignement et trĂšs vite, il essaie de trouver le moyen de se rattraper en racontant quâil vit avec quatre femmes. Il dit un mot sur ses trois petites filles pour vous toucher car vous continuez Ă montrer quâil ne vous embarque pas avec ces plaisanteries sur les femmes. Il arrive devant la table qui vous intĂ©resse et lĂ , il vous dit âvous serez bien autour de cette table avec votre mari et vos enfants Ă manger vos bons petits platsâ. Vous le regardez effondrĂ©e, il le voit, il ne comprend pas mais il sourit, il veut vous vendre la table. 13 juin 2020 Une femme assez ĂągĂ©e assise Ă une table qui parle avec deux personnes. Elle sâappuie lourdement sur ses avants-bras et de temps en temps se redresse vivement. On ne sait pas si câest Ă cause dâune douleur dans le dos ou parce que, dâun coup, elle pense Ă son maintien et ne veut pas paraĂźtre avachie. Sa voix est coupante quoiquâelle dise et sans rĂ©elle nĂ©cessitĂ© car la conversation semble plutĂŽt calme. On sent que câest son ton quoiquâil arrive peut-ĂȘtre par une volontĂ© intrigante de ne pas vouloir ĂȘtre interrompue ni contredite. Il est difficile de savoir si, pour elle, ses interlocuteurs nâexistent que comme oreilles qui se doivent dâĂȘtre attentives mais muettes, ou bien, si elle ne veut surtout pas oublier ce quâelle tient absolument Ă dire comme son Ăąge pourrait le faire penser. Quand elle nâarrive pas Ă ses fins, immĂ©diatement, elle fait un geste dâagacement dâune main et tout son visage se durcit dâune moue presque mĂ©prisante. Elle veut tellement se prouver et prouver Ă tous quâelle est encore Ă la hauteur. Pourtant dans cette lutte, elle laisse avant tout jaillir sa peur, comme si avoir tort, juste Ă©couter, câĂ©tait encore trop, câĂ©tait vieillir. 12 juin 2020 Une conversation entre cinq personnes dont certains semblent bien se connaĂźtre et dâautres presque pas. Ils discutent de films, de livres, de balades, de leur ville, la parole circule vite et de maniĂšre trĂšs fluide et, malgrĂ© les diffĂ©rences de points de vue, le ton est trĂšs bienveillant. On est surpris car un homme ne dit rien. Il est ĂągĂ© mais pas plus que certains autres, et souvent, certains le regardent pour voir sâil veut prendre la parole. On comprend quâil doit ĂȘtre concernĂ© par certains sujets. A un moment donnĂ©, il semble prendre son Ă©lan et dit âcâest comme ce qui mâest arrivĂ© âŠâ et entame un rĂ©cit qui trĂšs vite semble complĂštement dĂ©calĂ© du sujet des Ă©changes et anecdotique. Comme si Ă un moment donnĂ© il avait voulu juste ĂȘtre au centre de lâattention. Cela surprend de la part de cet homme que lâon perçoit comme plutĂŽt discret. On dirait que dâun coup, il sâest dit, âil faut que je dise quelque chose quand mĂȘmeâ, alors quâil aime Ă©couter plutĂŽt. Comme sâil obĂ©issait Ă une convention sociale de devoir faire la conversation quâil aurait apprise tardivement. Il se force. Il sâapplique mais son mime social tombe Ă cĂŽtĂ©. 11 juin 2020 Un homme dâune trentaine dâannĂ©es boit un cafĂ© avec deux amis de son Ăąge. Il est extrĂȘmement soignĂ©, habillĂ© dâune chemise blanche ouverte sur sa poitrine et retroussĂ©e Ă mi-bras, une montre voyante et deux bracelets en cuir et mĂ©tal. Sa barbe trĂšs noire est coupĂ©e Ă ras et ses bords sont nets quasi gĂ©omĂ©triques. Sa coiffure est Ă©trange, les cheveux sur le haut de son crĂąne sont gominĂ©s et rĂ©unis en une toute petite couette mais de chaque cĂŽtĂ©, ils sont courts. Les lignes entre chaque zone sont trĂšs marquĂ©es et lĂ aussi, nettes. Il parle avec animation de la finale dâune Ă©mission de tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ© qui a eu lieu la veille et il dit quâil est dĂ©goĂ»tĂ©â du rĂ©sultat. Celui qui Ă©tait son favori, un certain Claude quâil pare de toutes les qualitĂ©s, a perdu et bien entendu, il pense que câest truquĂ© pour âquâune meuf gagneâ. Les autres acquiescent. Il ne peut sâarrĂȘter dâen parler, sâemballe et se projette dans cet Ă©chec dâun autre, comme le sien. On sent que sa colĂšre lâaide Ă accepter lâĂ©motion quâil a ressentie la veille quand Claude a perdu. 10 juin 2020 Un couple dâun certain Ăąge est assis du cĂŽtĂ© âloungeâ dâun restaurant sur la plage. De dos, ils disparaissent presque dans deux fauteuils monstrueux faits dâun moulage en plastique jaune criard dâun âfauteuil dâĂ©poqueâ agrandit. On sait que câĂ©tait la mode de reproduire en plastique des meubles anciens ou dâintĂ©rieur mais cela dĂ©note vraiment au milieu du teck de cette plage plutĂŽt chic. Ils les ont peut-ĂȘtre choisis car ils sont volumineux, lâhomme est trĂšs corpulent et, de face, occupe pleinement son siĂšge. Il y semble trĂšs Ă lâaise et a entre les mains un I-pad quâil ne cesse de consulter. Quand on arrive pour sâassoir Ă une table prĂšs, il lĂšve la tĂȘte et reprend immĂ©diatement. Pendant ce temps sa femme, beaucoup plus gracile que lui, regarde son tĂ©lĂ©phone portable. Cela donne le sentiment quâelle est comme une miniature perdue dans tout ce jaune. Ils ne se sont pas dits un mot mais semblent tous les deux tout Ă fait sereins et Ă©changent parfois un regard complice. Peut-ĂȘtre regardent-ils la mĂȘme chose ? ou bien peut-ĂȘtre sâĂ©crivent-ils ce quâils ne peuvent pas se dire ? 9 juin 2020 Un homme seul qui regarde la mer. Il est debout sur les galets, les jambes lĂ©gĂšrement Ă©cartĂ©es, les pieds chaussĂ©s de baskets blanches, un peu enfoncĂ©s dans le sol. Son regard est trĂšs fixe mais quand il tourne la tĂȘte Ă droite et Ă gauche, il y a comme une inquiĂ©tude dans son regard qui semble chercher quelque chose ou quelquâun. Il sâassoit et prend une bouteille dâeau dans sa poche. Il boit Ă la bouteille lentement, longtemps. Il tourne de nouveau la tĂȘte comme sâil avait peur dâĂȘtre Ă©piĂ©. Il regarde la mer, vĂ©rifie quâil nâest pas Ă©piĂ©, et recommence. En le regardant depuis la promenade, dâen haut, on a le sentiment dâune chorĂ©graphie rĂ©pĂ©titive et inquiĂ©tante. A un moment, ses Ă©paules sâaffaissent et il sâassoit de maniĂšre plus tranquille, plus installĂ©e. Dâun coup, il se relĂšve et recommence. Pourtant rien ne semble le menacer. Seule, la mer gronde un peu. 8 juin 2020 Un jeune papa et sa petite fille entrent dans la boucherie. Elle dit âoh, les bananesâ. Tout le monde sourit mais elle semble trĂšs sĂ©rieuse. Son pĂšre lui demande oĂč elle voit des bananes. Elle montre un poulet entier. Son pĂšre lui explique que câest un poulet et que dans une boucherie, on vend de la viande comme le steak hachĂ© ou les saucisses. Il lui parle des cuisses de poulet quâelle aime bien et qui viennent de cet animal qui est devant elle. Elle dit que câest jaune. Il lui rĂ©pond que tout ce qui est jaune nâest pas une banane mais devant le poulet elle continue Ă dire âbanane, banane, bananeâ. Pour dĂ©tourner son attention son pĂšre lui propose dâun ton enthousiaste des saucisses pour accompagner la purĂ©e de ce midi. Elle dit oui mais continue de regarder le poulet. Il est entier avec sa tĂȘte, sa crĂȘte et son bec tournĂ©s vers elle, juste Ă sa hauteur. Câest peut-ĂȘtre cela quâelle essaie de mettre Ă distance en faisant intervenir une autre image. Elle se bat contre cette vision entourĂ©e de toutes les autres viandes crues, rouges, avec les os saillants. 7 juin 2020 Un enfant crie. Au dĂ©but, on pense quâil est juste trĂšs Ă©nervĂ© puis on entend que ses cris deviennent plus aigus comme quand on a peur. Aux bruits dâeau et aux voix, on comprend quâun homme est en train dâessayer de lui apprendre Ă nager. La voix est trĂšs calme et lâenfant semble sâapaiser en battant trĂšs forts des pieds et des mains. Mais peu Ă peu, les cris de peur reviennent, sâamplifient et la voix masculine sâĂ©nerve un peu. On entend aux bruits que font ses pas au bord de la piscine, que lâenfant en est sorti et il hurle avec colĂšre que âjamais, jamais, jây retourne, papaâ. On comprend quâil est plus grand que ce que lâon croyait. Le pĂšre rit et le traite de peureux. Dâautres rires sâĂ©lĂšvent, ils sont certainement entre amis ou en famille. Au ton de sa voix, on sent le pĂšre gĂȘnĂ© devant les autres de sây ĂȘtre mal pris ou dâavoir un fils poltron. Il propose alors une partie de foot Ă son fils qui refuse et dit â ça aussi, jamais plusâ. Il y a comme un silence puis des rires Ă nouveau. Mais on nâentend pas de ballon. Le fils chantonne Ă haute voix presque triomphalement. Il grandit. 6 juin 2020 Une serveuse dans un cafĂ© sur une grande place dâun marchĂ© du centre ville. Câest un vrai marchĂ© avec des habituĂ©s et les habitants de la ville, pas celui pour touristes plus prĂšs de la mer. Tout autour de la place qui couronne les nombreux Ă©tals, il y a plusieurs cafĂ©s dont certains font aussi restaurant. Câest la premiĂšre fois aujourdâhui quâon peut boire un cafĂ© en terrasse, assis, en lisant le journal local et grignotant quelque chose. Cela fait plus de deux mois que cette jeune femme nâa pas servi comme cela des clients. Ceux-ci sont heureux de retrouver leur terrasse, leurs habitudes, ils sâinterpellent, disent des bĂȘtises, rient. DerriĂšre le masque quâelle doit porter, on peut percevoir quâelle fait la gueule, comme toujours. Câest plus difficile Ă percevoir que dâhabitude mais elle continue Ă faire semblant de ne pas voir ceux qui lâappellent, elle parle longuement avec un client servi alors que dâautres sont pressĂ©s, elle passe Ă cĂŽtĂ© de tables sales sans les nettoyer. On est presque heureux de la retrouver inchangĂ©e et un peu triste aussi pour elle quâelle ne puisse pas, mĂȘme ce jour-lĂ , participer Ă la joie collective. Mais elle travaille. 5 juin 2020 Un couple choisit des lampes et des ampoules au rayon luminaire dâun grand magasin de bricolage. Il tient le charriot pendant quâelle se dĂ©place dans le rayon qui est assez grand. Ils Ă©changent sur les choix possibles, les prix, les contraintes quâils ont, et au fur et Ă mesure quâelle sâĂ©loigne, ils haussent le ton jusquâĂ crier. Les gens autour les regardent, se regardent entre eux, certains rient car ils savent tous maintenant que leur cuisine est jaune, quâils sont un âpeu justes ce mois-ciâ, quâelle nâaime pas le noir et quâil nâaime pas le bois et les âchichisâ. Ils sont seuls. Ils se parlent en criant comme sâils Ă©taient chez eux, dâune piĂšce Ă lâautre. Ils ne perçoivent absolument pas lâimpudeur de cette situation et si on la leur rĂ©vĂ©lait, ils ne comprendraient pas. On est lĂ , et collectivement, nous avons tous lâimpression dâĂȘtre transparents pour eux, des objets. Câest Ă la fois drĂŽle, car cette sensation est partagĂ©e et crĂ©e une complicitĂ©, et inquiĂ©tant, car on a le sentiment que nous sommes transformĂ©s en voyeurs de leur intimitĂ©. 4 juin 2020 De loin, on perçoit cinq corps dâhommes adultes, jeunes sur le toit plat dâun immeuble. Un sixiĂšme arrive par une porte qui doit ouvrir sur un escalier. Ils semblent dĂ©sĆuvrĂ©s. Certains Ă©coutent de la musique avec des casques en regardant au loin, dâautres regardent, Ă©crivent, jouent avec leur tĂ©lĂ©phone portable et parfois ils se disent quelque chose. Mais pas plus. Ils ne font rien ensemble mais ils sont ensemble. Ils ne sâinstallent pas, ne sâassoient pas, ils bougent lentement. Lâun dâentre eux sâamuse Ă courir tout autour du toit, Ă sauter, et Ă un moment donnĂ©, danse, les autres semblent en rire. Ils sont Ă lâair libre, le toit est assez grand mais ils sont entourĂ©s par le vide des dix Ă©tages. Quand lâhĂ©licoptĂšre jaune de lâhĂŽpital tout proche passe au dessus dâeux, ils le regardent tous jusquâĂ ce quâil disparaisse. On pense aux cours des prisons au moment des promenades avec ces hommes qui tournent en rond et semblent obĂ©ir Ă un ordre Ă©tabli dont on ne connait pas les rĂšgles. 3 juin 2020 Un homme sâarrĂȘte devant un restaurant qui ne fait plus que de la nourriture Ă emporter, des pizzas, des pan-bagnats, des pissaladiĂšres, des boissons et des desserts. Il semble habituĂ© et commande une pizza et une biĂšre. La jeune femme qui est Ă la caisse lui dit quâil y a un peu dâattente et lui propose dâaller sâassoir sur les marches devant la restaurant. Contrairement aux autres hommes qui attendent, il ne semble pas ĂȘtre en habits de travail. Il sâassied et boit sa biĂšre Ă petites gorgĂ©es. Il regarde dans le vide mais de temps en temps il suit des yeux les jeunes femmes qui passent devant lui. Son regard sâattarde sur celles qui sont peu vĂȘtues ou particuliĂšrement apprĂȘtĂ©es, jeunes et minces. Quand on lâappelle pour la pizza, il rachĂšte une biĂšre plus grande. On pense quâil va partir ailleurs la manger comme tous les autres qui prennent la direction de la plage. Il retourne sur les marches et mange sa pizza lĂ , trĂšs vite, et continue de siroter sa biĂšre. 2 juin 2020 Un petit bateau sur la mer. Quand vous prenez les jumelles pour le regarder, vous voyez que câest un beau pointu avec un pĂȘcheur dedans. Il tient la barre et avance dans la mer vers son filet que vous repĂ©rez Ă son petit drapeau rouge. Il arrive prĂšs du filet, arrĂȘte ou baisse le moteur et se penche longuement puis commence Ă remonter son filet. Câest trĂšs long et on suit ses mouvements qui montrent lâintensitĂ© de son effort. Quand il a fini, il regarde longuement dans son bateau, il travaille certainement Ă trier son poisson car on le voit rĂ©guliĂšrement rejeter du poisson Ă la mer. A un moment donnĂ©, il sâarrĂȘte et se relĂšve. Il se tient trĂšs droit dans le bateau. Il regarde la ville devant lui, trĂšs prĂšs, silencieuse, sans voiture et sans promeneur. Il se retourne et regarde longuement la mer. On se rend compte avec lui quâil est absolument seul dans une mer dĂ©serte jusquâĂ lâhorizon. Il sâassied et reste longtemps Ă regarder lĂ©gĂšrement ballotĂ© par les vagues. Il en profite car demain ce sera fini de ce silence et dâavoir lâimmensitĂ© pour soi. 1 juin 2020 Une femme se tient sagement sur une chaise en paille Ă cĂŽtĂ© de son Ă©tal de fruits et lĂ©gumes. Elle est jolie, les cheveux sombres et porte un tablier sur une robe Ă fleurs. DĂšs que vous approchez, elle vous attrape du regard mais attend, ne se lĂšve pas et ne sâapproche pas. Elle a perçu tout de suite, en bonne commerçante, que vous Ă©tiez une cliente potentielle mais qui voulait pouvoir regarder tranquillement les produits. Pourtant dĂšs que vous saisissez un carton de fraises, elle se lĂšve un peu trop vite, comme si elle bondissait, et vous propose un carton plus gros dont elle baisse le prix. Elle a un accent italien prononcĂ© et depuis des annĂ©es que vous la voyez sur ce marchĂ©, vous savez quâelle le cultive soigneusement. Elle sait quâil touche la nombreuse descendance des italiens venus dans cette ville qui nâest française que depuis peu. 31 mai 2020 Un homme descend en courant votre petite rue puis, plus tard, la remonte en soufflant dans la pente raide. Il est habillĂ© comme le parfait âjoggerâ avec son pantalon moulant, son tee-shirt mouillĂ© de sueur, les baskets sophistiquĂ©es, la montre quâil consulte rĂ©guliĂšrement et une casquette sur des cheveux trĂšs courts. On remarque quâen revanche, il nâa pas de casque ou dâĂ©couteurs sur les oreilles. Quand il passe devant vous, vous lui dites bonjour mais il vous rĂ©pond comme Ă regret. Sa voix est presque agressive et son regard mauvais. Il jette toujours en passant un long regard Ă votre maison et câest comme sâil vous reprochait dâĂȘtre la propriĂ©taire de cette si belle maison au jardin fleuri qui regarde la mer. 30 mai 2020 Une rue dans une vieille ville touristique dĂ©sertĂ©e mais avec ses habitants qui vont et viennent. A un angle de trottoir, une table basse et un fauteuil en osier blancs tous les deux, sur le fauteuil, un coussin bariolĂ©. Sur la table un journal repliĂ© et un peu chiffonnĂ© et une tasse de cafĂ© et sa soucoupe. Un homme est assis dans le fauteuil, confortablement, une jambe repliĂ©e sur lâautre et regarde devant lui, jette un Ćil aux passants, en salue certains. Dâune soixantaine dâannĂ©es, habillĂ© simplement, il a dĂ©cidĂ© de sâinstaller lĂ . Les terrasses des cafĂ©s fermĂ©e, il sâest trouvĂ© une place. Une rĂ©occupation de lâespace public qui fait se rappeler ces moments lâĂ©tĂ© oĂč les gens descendaient de chez eux avec leur chaise et discutaient, quand la chaleur sâĂ©vaporait peu Ă peu. 29 mai 2020 Deux personnes ĂągĂ©es sont assises cĂŽte Ă cĂŽte sur un banc face Ă la mer. Elle tient une canne dans une main. Ils ne se parlent pas et regardent devant eux avec intensitĂ©. Ils sont trĂšs chics sans aucune ostentation. Lui Ă un pantalon gris et un polo blanc avec de fines rayures horizontales dâun gris un peu plus soutenu que son pantalon et il tient Ă la main une casquette beige. Elle est en pantalon un peu large bleu clair, en lin certainement, et porte un chemisier ample bleu plus foncĂ© Ă larges fleurs blanches. Ils ont tous les deux les cheveux courts et blancs. Au pied des espadrilles noires pour lui et bleues foncĂ©es pour elle. Sur le visage, ils ont le mĂȘme masque immaculĂ© tenu par des Ă©lastiques derriĂšre les oreilles. Ils se tiennent la main et leurs doigts sont fortement enlacĂ©s pour cette premiĂšre sortie au plus prĂšs des vagues. 28 mai 2020 Une jeune femme pousse une poussette dans un chemin. Elle est habillĂ©e de noir avec un legging, un grand tee-shirt et des baskets. Elle tient dâune main, la poussette noire aussi, assez haute sur roue. Dedans, il y a une petite fille dâun an environ, habillĂ©e de blanc et de rose avec un serre-tĂȘte et qui tient dans la main un jouet vert et bleu sans quâon puisse savoir avec certitude ce que câest. Elle essaie dâattirer lâattention de sa mĂšre ou de sa ânounouâ en agitant les bras et le jouet avec vivacitĂ© et en la regardant. De dos, on a lâimpression que celle-ci regarde au loin, dans le vide. On sâaperçoit quâelle tient un tĂ©lĂ©phone contre son oreille et que tout le long du chemin, elle parle. Quand la petite fille fait tomber son jouet, elle coince le tĂ©lĂ©phone contre son oreille et le ramasse de sa main libre. Elle ne lâa toujours pas regardĂ©e. 27 mai 2020 Un enfant de cinq ans environ regarde, Ă travers une vitrine, un chiot qui dort dans son panier. Il est trĂšs attentif, silencieux, puis dit avec conviction Ă sa mĂšre quâil doit absolument avoir ce chien. Elle lui explique toutes les contraintes que reprĂ©sentent un chien et quâil est encore trop petit pour sâen occuper. Quand sa grand-mĂšre arrive, il lâemmĂšne immĂ©diatement voir le chiot et lui explique doctement quâon ne peut pas avoir de chien car ils font pipi partout. Pourtant quand un garçon dâune dizaine dâannĂ©es, plus grand que lui, prend le chiot dans ses bras dans le magasin, son visage se fige. Il se retient de demander Ă nouveau un chien, il pense quâil faut mieux quâil se taise et attende dâĂȘtre plus grand. Quâil faut quâil mette toutes les chances de son cĂŽtĂ©. Il grandit. 26 mai 2020 Une femme dâun certain Ăąge parle avec son mari dans leur jardin qui fait face au vĂŽtre. Vous ĂȘtes en train dâarroser quand elle se tourne vers vous et vous parle pour la premiĂšre fois depuis votre emmĂ©nagement. En Ă©changeant avec elle, vous vous apercevez quâelle a une veste cintrĂ©e de costume blanc avec un col brillant, un petit haut noir avec de la dentelle, quâelle est maquillĂ©e et coiffĂ©e dâun chignon de cheveux faussement blonds. Vous ĂȘtes surprise par le contraste entre le lieu oĂč elle se trouve, son jardin, la situation, elle ne semble pas sur le point de sortir et Ă©change calmement, et ce soin apportĂ© Ă sa tenue. On dirait quâelle est dĂ©guisĂ©e. Vous ne pouvez vous empĂȘcher de vous demander ce que cela cache. 25 mai 2020 Le petit magasin de fruits et lĂ©gumes est simple avec des produits locaux et les deux hommes qui sâen occupent sont trĂšs avenants. On remarque que devant le magasin stationne en permanence une camionnette ou un scooter. Un homme chauve, qui semble plus ĂągĂ© que les deux autres, est assis dedans ou dessus. Il ne fait rien. Ou plutĂŽt il semble surveiller en permanence le magasin. Lâun des patrons lâinterpelle par son prĂ©nom, Hugo, et lui demande dâaller livrer un panier Ă cĂŽtĂ©. Il se lĂšve et on sâaperçoit quâil marche difficilement comme les gens qui ont eu la polio. On voit pour la premiĂšre fois son regard. Il est vitreux, sans couleur et complĂštement perdu comme celui des toxicomanes. Il rĂ©pĂšte lâadresse et part lentement. Le patron se tourne vers nous et nous dit avec beaucoup de tendresse dans la voix âbah, on ne le revoit plus avant midiâ. 24 mai 2020 Chaque jour, une dame descend prĂ©cautionneusement le raccourci goudronnĂ©. Vous pensez quâensuite elle fait le tour par la grande route qui donne sur la mer et rejoint une des maisons cossues au-dessus dâun grand tournant. Elle semble ĂągĂ©e car elle marche Ă pas trĂšs mesurĂ©s mais sa chevelure est chĂątain foncĂ© coiffĂ©e en un savant chignon. Elle est emmitouflĂ©e dâun manteau brun plutĂŽt chic et ample et dâune Ă©charpe dâun brun plus chaud avec des pompons noirs alors quâil fait dĂ©jĂ chaud. A ses pieds, des âstan smithâ noires. Sa lenteur nous fait penser quâelle est trĂšs ĂągĂ©e mais sa tenue trĂšs droite et lâabsence de canne pour sâaider nous fait douter. On ne sait quel Ăąge lui donner et on pense Ă quelquâun de plus jeune, convalescent, qui sâastreint chaque jour Ă son petit tour pour rĂ©apprendre Ă marcher, Ă respirer, Ă se promener. 23 mai 2020 Un homme qui en fait trop. Comme un titre, dĂšs que vous le voyez bouger, cette phrase vous vient Ă lâesprit. HabillĂ© sobrement dâun costume noir sur un tee-shirt gris mais avec des baskets de marque voyantes, il virevolte autour dâun couple dâune cinquantaine dâannĂ©es. Sa maniĂšre dâĂȘtre gentil devient obsĂ©quieuse tant il fait des compliments en dĂ©calage avec la rĂ©alitĂ© de ces deux personnes simples. TrĂšs vite, ce trop plein de niaiseries sonnent faux et tourne en une moquerie travestie. Comme sâil prenait Ă tĂ©moin un spectateur, en faisait un complice malgrĂ© lui, de ce mĂ©pris dĂ©guisĂ©. Cela nous met mal Ă lâaise, on a presque honte pour lui et pour nous. Quâest ce quâil veut leur vendre ou leur faire acheter ? 22 mai 2020 Une femme se promĂšne avec un tout petit chien sur la Promenade des anglais. Elle regarde tout autour dâelle et cherche du regard les passants. Elle est grande, plutĂŽt mince dans une robe vert olive Ă rayures noires et marche avec des petits talons compensĂ©s en toile comme si câĂ©tait des hauts escarpins. Elle a les cheveux longs, raides et teints en un blond tirant sur le roux, assez artificiel. Elle se tient Ă cĂŽtĂ© dâune barriĂšre et sâattend visiblement Ă ce quâon la regarde. Elle baisse les yeux sur son chien qui pisse Ă deux reprises sur la barriĂšre. Elle relĂšve le visage et sourit presque triomphalement en tirant sur la laisse. On se demande pourquoi elle semble contente alors quâon aurait un peu honte Ă sa place. Elle a du croiser un regard, enfin. 21 mai 2020 Deux hommes derriĂšre une haie dense dans un chemin privĂ©. On ne sait pas exactement ce quâils font mais on les entend bĂȘcher, couper du mĂ©tal, de la pierre, transporter des matĂ©riaux dans une brouette. Tout cela dans une assez bonne humeur, avec des plaisanteries, mĂȘme si on les entend parfois soupirer et ahaner devant la difficultĂ© de leur tĂąche. TrĂšs tard dans la matinĂ©e, on perçoit une voix de femme, puis deux et ils quittent leur chantier pour dĂ©jeuner avec elles sur une terrasse en contrebas. Les rires, les exclamations, les longs rĂ©cits, prolongent infiniment le repas pendant tout lâaprĂšs-midi. Le chantier abandonnĂ© ne semble quâĂȘtre le prĂ©texte Ă des retrouvailles joyeuses. 20 mai 2020 Une longue file de gens avec des masques qui sâappuient sur leurs chariots qui dĂ©bordent de plants de lĂ©gumes, de fleurs, de sacs de terreau, de pots en cĂ©ramique, de boites dâengrais. Sagement, ils attendent pour payer et font bien attention de rester loin les uns des autres comme cela leur est demandĂ©. Personne ne dĂ©roge Ă la rĂšgle mĂȘme si certains manifestent leur impatience. Il y a quelque chose dâĂ©trange et triste de voir ces allĂ©es de bout de nature encagĂ©e et de penser Ă toutes ces jardiniĂšres, Ă tous ces jardins forcĂ©ment dans la ville ou prĂšs dâelle. LâĂ©cart se creuse entre la docilitĂ© partagĂ©e en alignement et lâimage que lâon pourrait avoir de la nature. Alors que le dĂ©sir de jardin est tellement fort, on a le sentiment que lâon est devant un morne mime trop ordonnĂ©. Ce que lâon voit ne sont plus les gens qui font la queue mais les plantes qui en file indienne patientent sagement. 19 mai 2020 On entend sur le marchĂ©, une voix de femme rauque et cassĂ©e qui raconte une histoire, avec des rires, qui sâarrĂȘte, quelquâun renchĂ©rit, elle reprend. On sâarrĂȘte pris par une Ă©motion vive dâun souvenir dâenfance. On retrouve instantanĂ©ment le souvenir de femmes autour du lavoir dans le village qui parlent entre elles, sâexclament et rient. Des voix comme celle-lĂ , avec cette fĂȘlure, qui ne racontent pas grand chose mais câest quand mĂȘme important. Dâailleurs celles qui ne disaient rien se faisaient plaisanter, rabrouer âet alors, tu dis rien ? â. On Ă©coutait, on ne comprenait pas grand chose de ce qui se disait mais ces voix rocailleuses des femmes des villages mĂȘlĂ©es au bruit de lâeau qui sâĂ©coule Ă©taient des moments de quiĂ©tude attentive. Cette voix dans la ville bruissante, cette voix qui se casse et sâĂ©raille dĂšs quâelle parle vite, nous ramĂšne aux prĂ©sences douces et minĂ©rales des oliviers dans notre vallĂ©e. 18 mai 2020 La chevelure domptĂ©e par une queue de cheval semble dĂ©mesurĂ©e, dense, Ă©paisse, frisĂ©e pour une si petite tĂȘte. Presque malgrĂ© elle, cette masse flottante lui donne un air gai et libre. Le visage semble toujours avenant et pĂ©tillant comme portĂ© par cette chevelure extravagante quâelle tente de maĂźtriser mais dont elle joue aussi. Une fois, on lâavait vue avec des tresses et une robette, mimant la petite fille quâelle nâest plus. Un jour pourtant, on lâavait surprise Ă©nervĂ©e et dâun coup, la bouche Ă©tait devenue dure et le regard froid. Le casque de la chevelure sâest instantanĂ©ment transformĂ© en une forme menaçante. On a pensĂ© aux reprĂ©sentations de MĂ©duse surtout Ă celle du Caravage avec les serpents qui nous avait toujours fait peur. 17 mai 2020 Un jeune homme dâune vingtaine dâannĂ©es qui livre, range, jette, enlĂšve, ajoute des fruits et des lĂ©gumes dans un petit magasin de primeurs. Il nâa jamais affaire Ă la clientĂšle sauf quand il doit aider quelquâun Ă porter des paniers trop lourds chez lui ou vers sa voiture. Il ne dit jamais un mot et obĂ©it aux deux patrons avec cĂ©lĂ©ritĂ©. Il va et vient avec cageots et cartons, et alors que tous prennent garde de se tenir Ă distance, que la plupart ont des masques, il semble ne faire attention Ă rien, ni Ă personne. On le regarde faire et ses mouvements, obĂ©issant Ă sa logique de travail, ne prennent pas du tout en compte les consignes obligatoires. Il a tellement lâhabitude dâĂȘtre invisible dans les Ă©changes entre ses patrons et la clientĂšle quâil a fini par penser quâil lâĂ©tait. Il travaille comme sâil Ă©tait seul et certainement que pour lui, il lâest. 16 mai 2020 Un homme dâun certain Ăąge sur un vĂ©lo qui roule lentement sur la piste cyclable dâun magnifique bord de mer. Il sâarrĂȘte et pose un pied Ă terre pour parler Ă quelquâun qui est Ă pied et quâil nâa visiblement pas vu depuis longtemps. Ils sâexclament de loin puis Ă©changent des nouvelles sur ces derniĂšres semaines, sur leurs familles, quelques connaissances et chaque fois que les nouvelles sont bonnes, ils disent ensemble âah, tant mieux, tant mieuxâ. Ils ont lâair gĂȘnĂ©s comme sâils nâosaient pas vraiment parler et voulaient se limiter Ă Ă©changer des informations anodines. Pour eux deux, raconter la peur de tomber malade, de mourir et lâeffroi de voir les gens de leur Ăąge tomber, serait aller trop loin, une dĂ©faite mĂȘme. Dâun coup, pour dĂ©nouer cette tension et ces non-dits, le cycliste dit âenfin, si on est lĂ pour en parler, câest quâon nâest pas morts, hein ?â. Ils sourient alors tous deux et se regardent vraiment, enfin, avec Ă©motion. Ils laissent venir la tristesse partagĂ©e. 15 mai 2020 La maison est neuve, quelconque avec sa couleur beige et ses balcons Ă balustres mais elle a une belle vue sur la mer et un joli jardin. La jeune femme qui y vit semble ne jamais se prĂ©occuper de lâextĂ©rieur et ne sort que rarement sur la terrasse devant la porte-fenĂȘtre de sa chambre. Les jours de grand soleil, elle sâinstalle dans un transat en maillot de bain et bronze, des Ă©couteurs sur les oreilles, sans jamais regarder la mer. Elle vit dans cette maison comme dans un appartement du centre ville. Alors quâelle y est seule avec son compagnon, on dirait que pour elle, le jardin, est un espace qui ne lui appartient pas. On imagine quâarrivĂ©e rĂ©cemment dans cette maison, elle ne sâest pas encore dĂ©tachĂ©e de la vie en appartement avec balcon quâelle a eu jusquâĂ prĂ©sent et quâelle reste attachĂ©e Ă cette mesure ancienne et rassurante de lâespace urbanisĂ©. Elle nâarrive pas Ă prendre la gĂ©omĂ©trie de lâopulence nouvelle. 14 mai 2020 Une voix de femme au tĂ©lĂ©phone, encore jeune, mais assurĂ©e, avec un lĂ©ger accent un peu traĂźnant. Elle prend de vos nouvelles longuement mais il y a une urgence contenue et un peu contrainte dans sa voix. Vous sentez quâelle vous tĂ©lĂ©phone pour quelque chose de prĂ©cis et quâelle nâose pas encore se lancer. Elle va vous demander votre avis. Vous acceptez de lâaider mais vous essayez de mieux comprendre et vous commencez Ă poser des questions. ImmĂ©diatement, vous comprenez que vos questions la dĂ©rangent car tout de suite vous soulevez un problĂšme important qui va nĂ©cessiter de revoir le projet quâelle vous soumet. Elle vous remercie mais on sait bien quâelle aurait prĂ©fĂ©rĂ© que vous donniez un avis cosmĂ©tique. Que vous jouiez le jeu de faire semblant que câĂ©tait bien. Elle ne peut sâempĂȘcher de penser quâelle Ă©tait sĂ»re que cela allait se passer comme cela. Elle sâen serait voulu de ne pas prendre votre avis mais elle avait peur de votre regard trop absolu. Il va falloir tout repenser et sa panique revient. 13 mai 2020 On entend au loin une musique, quelque chose de trĂšs rythmĂ© avec beaucoup de basses. On pense dâabord Ă du rap et puis non, plutĂŽt du hip-hop ou du RânâB. On associe cette musique trĂšs forte Ă des adolescents ou des jeunes gens. Effectivement, le son monte encore, gĂȘnant tout le voisinage et on entend des voix jeunes qui crient et rient venant dâune maison de vacances en contrebas. TrĂšs vite, les cris ne sont plus joyeux mais tendus, ils deviennent inquiĂ©tants et on sent comme une menace qui nous alerte. On perçoit une violence sourde dans les tonalitĂ©s des voix mais on ne sait quâen penser. On Ă©coute plus prĂ©cisĂ©ment et on se rend compte quâon ne rĂ©ussit pas Ă savoir si cette violence tient Ă une maniĂšre de sâexprimer et de se parler entre amis ou sâil se passe vraiment quelque chose. Ce nâest pas la langue que lâon ne comprend pas mais le ton. On se sent perdus et impuissants et on attend avec une peu de fĂ©brilitĂ© que les rires reviennent. Puis tout Ă coup plus rien, le silence, et le quartier reprend sa bourgeoise biensĂ©ance. On regrette presque cette Ă©motion soudaine. 12 mai 2020 Lâhomme aux cheveux blancs et au regard bleu et dur vous accueille sĂšchement. Il vous salue Ă peine et vous tend le gel hydroalcoolique et un masque. Il vĂ©rifie que le masque soit bien mis sans un mot et vous demande de bien vous laver les mains entre les doigts jusquâĂ ce que le produit ait pĂ©nĂ©trĂ©. Il vous fait signe de le suivre dans son cabinet et vous demande pourquoi vous ĂȘtes lĂ . Vous aviez transmis toutes les informations, vous recommencez Ă expliquer. Il vous fait sentir quâil vous en veut dâĂȘtre venue. Mais il fait son travail. Il vous ausculte, il prend votre pouls, votre tension, se rend compte quâeffectivement votre situation se dĂ©grade, il fait des ordonnances. Son large masque blanc, les lunettes devant ses yeux et sa froideur vous le rendent absolument Ă©tranger. Alors quâil commence Ă vouloir Ă©changer avec vous, Ă Ă©tablir un lien parce quâil pense que vous avez peut-ĂȘtre eu raison de venir, votre certitude de ne pas pouvoir le reconnaĂźtre le jour oĂč vous le croiserez le visage nu, vous rend mutique. 11 mai 2020 Une femme qui fait le mĂ©nage chez les autres. Elle est habillĂ©e dâun legging noir et dâun haut Ă mi cuisse. Sa coiffure est Ă©trange, les cheveux longs et frisĂ©s sont extrĂȘmement tirĂ©s en arriĂšre sur le sommet de la tĂȘte par une pince et redescendent ensuite dans le cou. Contre le crĂąne, ils luisent de gras ou dâun produit capillaire, on ne sait pas, mais on voit que câest une façon Ă elle de sâapprĂȘter pour sa tĂąche. Elle paraĂźt grosse et pourtant, elle est plutĂŽt forte avec une ossature lourde et pleine mais qui la met mal Ă lâaise et quâelle essaie de masquer. On pense aux athlĂštes qui lancent le disque ou le poids. Elle a la mĂȘme densitĂ© et la mĂȘme gaucherie dans les mouvements dâune lourdeur animale. Elle fait tomber tout ce quâelle frĂŽle dans un dĂ©sastre quâelle ne maĂźtrise pas et regarde sincĂšrement dĂ©solĂ©e ce qui est tombĂ©, sâest cassĂ©, comme si elle ne comprenait pas pourquoi cela lui arrive Ă elle. Quand ce nâest pas trop grave, elle en rit. 10 mai 2020 Elle parle trĂšs vite. On perçoit quâelle occupe tout lâespace de la parole pour empĂȘcher quelquâun de parler. Elle finit par dire devant votre air Ă©tonnĂ© par ses questions qui ne correspondent pas Ă son Ăąge âcâest pour mon filsâ dans un souffle comme sâexcusant. On tourne la tĂȘte et on voit quâil est lĂ , immense, les bras ballants avec un regard Ă la fois implorant et butĂ©. DĂ©libĂ©rĂ©ment alors, on sâadresse Ă lui en passant par dessus le flot de paroles. Au lieu de rĂ©pondre Ă la mĂšre, on pose des questions au fils auxquelles il rĂ©pond calmement. Peu Ă peu, vous dialoguez normalement, il sourit, se rassure devant les difficultĂ©s Ă venir et vous apercevez que sa mĂšre sâest tue. Elle sâest mise en retrait, il a pris peu Ă peu sa place face Ă vous. Elle a les bras croisĂ©s sur la poitrine et vous regarde avec une animositĂ© certaine comprenant que cette exclusion de la conversation est le dĂ©but de son dĂ©part Ă lui vers ce monde qui est le vĂŽtre. 9 mai 2020 Un homme assis derriĂšre une table devant un large auditoire. Il doit avoir une soixante dâannĂ©es et semble trĂšs Ă lâaise, il a lâhabitude de cette situation. Il a des cheveux presque blancs bien coupĂ©s et une costume gris foncĂ© avec une chemise blanche et une cravate sombre. On perçoit un gilet noir de laine et le col de sa veste est remontĂ© Ă©trangement, lui donnant un air moderne. On pense quâil a froid, quâil y a un courant dâair. Il parle dans un micro et a des notes posĂ©es devant lui. Son visage est fin et Ă©lĂ©gant, il ne quitte jamais ses lunettes. Dans cette sobriĂ©tĂ© et le sĂ©rieux de son cours, il sourit de temps en temps avec une ironie qui ne semble pas mordante. On est surpris car, dans ce quâil Ă©nonce, il glisse des notes personnelles, des petits dĂ©calages ce qui est nouveau pour lui et pour nous. Il sâaccorde ce droit car câest sa derniĂšre annĂ©e. Câest le fin. Et son ironie est presque tendre de ce qui lui apparait comme une incongruitĂ©, lui qui continue avec tant dâardeur son travail de pensĂ©e. 8 mai 2020 La voix dâun enfant derriĂšre un mur. Il se promĂšne dans une petite ruelle avec ses parents. Il chantonne et en mĂȘme temps cherche une devinette que lui a posĂ©e son pĂšre. Il rĂ©pond et annonce quâil va en poser une Ă son tour. Il demande âAimez- vous Mac Do?â Son pĂšre, trĂšs embĂȘtĂ©, lui dit que cette question nâest pas une devinette mais lâenfant insiste et lui demande de rĂ©pondre avec un peu dâanxiĂ©tĂ© dans la voix. Il a dĂ» percevoir dans la gaietĂ© quâa manifestĂ©e son pĂšre en allant chez MacDo pour lui faire plaisir, quelque chose de factice qui lâinquiĂšte. Pourquoi son pĂšre nâaime-tâil pas les mĂȘmes choses que lui ? Il veut savoir. Il grandit. 7 mai 2020 Une maĂźtresse femme dâune cinquantaine dâannĂ©es sur un marchĂ©. Les cheveux sont teints dans un noir de jais, longs, raidis, avec une frange qui durçit ses traits. Elle a le verbe haut et trĂŽne sur son Ă©tal dâoĂč elle interpelle, salue, apostrophe. Elle donne sans cesse des ordres Ă des hommes plus jeunes quâelle qui lâentourent dans le travail difficile du poisson. Fils, employĂ©s, ils plient et exĂ©cutent ses demandes sĂšches mais dĂšs quâils le peuvent, ils se moquent dâelles bruyamment surtout si elle est partie faire une course ou boire un cafĂ©. Ils ne peuvent pas complĂštement accepter ces ordres-lĂ et veulent surtout que les autres croient quâils obĂ©issent pour lui faire plaisir, pas parce quâelle est leur patronne. 6 mai 2020 Une jeune femme extrĂȘmement mince, habillĂ©e tout en noir, fait la queue devant la pharmacie. Elle semble nerveuse ou impatiente et saute dâun pied sur lâautre. Elle bouge ses bras comme si elle Ă©tait sur un ring. Elle est coiffĂ©e dâune haute queue de cheval qui dĂ©gage son long visage et met trĂšs en Ă©vidence le masque quâelle porte devant la bouche et le nez et qui lui enserre aussi le menton. Contrairement aux autres masques, celui-ci nâa pas de plis et prend la forme du bas de son visage comme sâil avait Ă©tĂ© moulĂ© dessus. EntiĂšrement noir, il y a en son centre des signes calligraphiques chinois blancs Ă la hauteur de sa bouche comme un cri muet et incomprĂ©hensible. Alors que tous nous ressemblons Ă des malades errants avec nos masques bleus et blancs dâhĂŽpital, le sien voudrait faire dâelle une guerriĂšre. 5 mai 2020 Lâhomme paraĂźt tout de suite sympathique avec ses cheveux blancs coupĂ©s courts de façon trĂšs moderne et ses vĂȘtements qui dĂ©notent une recherche tout en Ă©tant dĂ©contractĂ©s avec des formes jeunes et ajustĂ©es. Les couleurs sont personnelles et les baskets montantes drĂŽles. Sa dĂ©marche est assurĂ©e et Ă©lastique quand il se promĂšne dans la ville ou dans son jardin. Quand il commence Ă parler, on est stupĂ©fait par sa voix haut perchĂ©e de fausset quâil pousse en la rendant maniĂ©rĂ©e comme si câĂ©tait un choix de sa part. On se dit quâil a dĂ» falloir du courage quand il sâest dĂ©couvert cette voix Ă lâadolescence et que toute sa personnalitĂ© sâest bĂątie autour de ça. 4 mai 2020 DerriĂšre un mur trop fin, une voix de femme qui ne peut sâempĂȘcher de crier quand elle parle. Au dĂ©part, on a cru quâelle tĂ©lĂ©phonait en arpentant son jardin puis on a compris quâelle parlait avec quelquâun prĂ©sent. La voix est dĂ©sagrĂ©able et ne sâexprime que par mots courts qui sonnent tous comme des exclamations parfois remplacĂ©s par des rires en cascade, presque gras. Ces rires rĂ©pĂ©tĂ©s sonnent Ă©trangement dâune gaietĂ© factice, elle veut absolument que tout autour dâelle qui vient de rĂ©investir cette maison vide, soit joyeux et festif. Dâun coup, la tristesse de cette mascarade quâelle nâen finit plus de rejouer nous gagne. 3 mai 2020 On entend des voix dâenfants surexcitĂ©s. Ils crient, ils courent, ils sâexclament, ils rient, câest PĂąques. La chasse aux Ćufs est ouverte dans les jardins de ceux qui en ont. Tout Ă coup, on entend des pleurs. Celui qui nâa pas trouvĂ© dâĆufs, celui qui sâest fait voler les siens, celui dont lâĆuf est cassĂ©, celui qui en a moins que les autres, celui qui pense que câest injuste et qui ne se remet des cris de victoire des autres enfants qui bourdonnent autour de lui. Une voix dâadulte intervient calmement mais il y a sous la douceur, un agacement et on comprend que câest toujours cet enfant-lĂ qui pleure dans ces moments de fĂȘte et de joie. 2 mai 2020 Une femme mince, brune, le visage marquĂ©, qui doit avoir une cinquantaine dâannĂ©es. Elle sâagite dans son salon que lâon devine impeccable et quâelle continue de ranger rapidement âsurjouantâ son activitĂ© alors que rien ne traĂźne. On sent quâelle veut dĂ©montrer quelque chose ou plutĂŽt prouver quelque chose, peut-ĂȘtre quâelle est trĂšs occupĂ©e voire dĂ©bordĂ©e alors que ses interlocuteurs, non. Son ton un peu pincĂ© cache son dĂ©sappointement car personne ne sâintĂ©resse vraiment Ă ce quâelle fait. A un moment donnĂ© un de ses frĂšres, lui dit âmais arrĂȘte de tâagiterâ et son regard triste et vide de petite fille vieillie montre quâelle a lâhabitude de lâindiffĂ©rence agacĂ©e rĂ©servĂ©e Ă la cadette de cette fratrie. 1 mai 2020 Un homme dâune soixantaine dâannĂ©e, maghrĂ©bin, il se tient devant une secrĂ©taire mĂ©dicale assise Ă son bureau. Il vient pour un examen radiologique mais il nâa pas pris de rendez vous et ne semble pas comprendre pourquoi cela pose problĂšme et ce quâil aurait dĂ» faire. Il rĂ©pĂšte sans cesse comme pour prouver sa bonne foi âje viens pour lâexamen a dit le docteurâ. La secrĂ©taire, de guerre lasse, lui dit que lâon va faire son examen mais quâil va devoir attendre et que, pendant ce temps, il est important quâil boive cinq verres dâeau et lui tend un gobelet en carton en lui montrant la porte des toilettes. Il prend le gobelet, le regarde Ă©berluĂ© et demande âje dois boire?â. Elle soupire et se lĂšve pour lui montrer la porte derriĂšre laquelle il y a un robinet. Il rĂ©pĂšte âcinq, cinq, cinq.. â avec un air dĂ©sespĂ©rĂ© comme si le nombre de verre Ă boire augurait de lâannonce de la grave maladie Ă venir. 30 avril 2020 Assise Ă une table de salon de thĂ©, elle a lâair perdue et vaguement ennuyĂ©e. Elle Ă©coute les conseils presque hurlĂ©s de son voisin de table ĂągĂ© et sourd et ceux dâune femme de son Ăąge qui lui ressemble. Il faut quâelle vive, quâelle arrĂȘte de broyer du noir, de refuser toute aide, la vie est une belle chose Ă prendre au jour le jour. Elle sirote son cafĂ© cuillĂšre aprĂšs cuillĂšre et elle attend que ça passe sans impatience comme habituĂ©e Ă ces mots et ces injonctions. Elle regarde de temps en temps devant elle en acquiesçant vaguement et se tourne vers vous gĂȘnĂ©e avec un vague sourire car elle sait bien que vous entendez leur vaine litanie. 29 avril 2020 Un vieux monsieur taille la haie de son jardin en intimant rĂ©guliĂšrement Ă son chien lâordre de se taire. Celui-ci lance un aboiement court et rĂ©gulier pour signaler sa prĂ©sence et son maĂźtre lui rĂ©pond quasi machinalement. Cela finit par faire comme un dialogue rythmĂ© de âwaoufâ et de âtais-toiâ qui rassure autant quâil ne dĂ©range Ă lâheure de la sieste. De temps en temps, le ton de lâun et de lâautre monte et nous surprend comme une dispute impromptue mais sans importance. 28 avril 2020 La voiture cabossĂ©e et bleue roule trĂšs lentement sur une petite route oĂč vous vous promenez. A lâintĂ©rieur, un jeune couple. Lui a la main qui pend nonchalamment sortie par la fenĂȘtre et semble enfoncĂ© dans son siĂšge comme sâil ne conduisait pas, elle est plus redressĂ©e et attentive. Ils semblent flĂąner. Pourtant de la voiture sort une musique trĂšs forte avec des basses sourdes et violentes et lorsque la voiture passe Ă votre hauteur, le garçon sourit ironiquement comme si le bruit, dont il sait parfaitement quâil vous gĂȘne, venait compenser la banalitĂ© de sa voiture et prendre lâespace quâil voudrait pour eux seuls. 27 avril 2020 Une voix de femme haut perchĂ©e mais pas jeune. Elle adresse une question Ă un homme plus ĂągĂ© qui lui rĂ©pond avec une impatience rĂ©signĂ©e. Elle reprend la parole avec un rythme particulier de la voix et on comprend que sa question connaĂźt la rĂ©ponse et quâelle voulait juste sâassurer quâil ferait bien comme elle lâavait dĂ©cidĂ©. Dans les rĂ©ponses calmes quâil lui fait, on entend quâil le sait et quâil sâen fout depuis le temps. 26 avril 2020 Chaque jour, dans la ruelle, un couple croise un homme qui court. Chaque jour, quasiment Ă la mĂȘme heure devant chez vous. Chaque fois, la femme dit bonjour au âjoggerâ qui rĂ©pond en un murmure essoufflĂ© et chaque jour, aprĂšs, elle dit Ă son compagnon combien il est impoli de ne pas dire bonjour Ă cet homme croisĂ© tous les jours. Et chaque jour, il lui rĂ©pond quâil ne comprend pas pourquoi il dirait bonjour Ă un homme quâil ne connait pas. Elle soupire et accĂ©lĂšre le pas. 25 avril 2020 Une femme et un homme dans un chemin qui cueillent quelques fleurs. DĂšs quâils vous entendent, ils arrĂȘtent leur cueillette et continuent leur route. Vous tentez de les rassurer dâun âbonjourâ mais ils continuent leur route comme pris en faute en lançant un âbonjour â Ă la va vite. Cela leur rappelle leur enfance quand ils allaient voler des cerises ou des fleurs chez un voisin, sur le bord dâune route, dans un champ. Cette bouffĂ©e dâenfance que vous entendez dans leurs rires Ă©touffĂ©s, vous fait du bien. Tachede gel hydroalcoolique sur simili cuir - Guide ; Linge tachĂ© aprĂšs lavage machine - Guide ; 1 rĂ©ponse. RĂ©ponse 1 / 1. Ines31 25 avril 2013 Ă 18:06. Salut Romy, As-tu Ă©tĂ© voir dans un pressing pour avoir quelques conseils ?SĂ©cher des fleurs fraiches - GlaĂŻeuls Comment les planter convenablement » Par maxime le mardi, 10 mai 2011, 0610 - IdĂ©es - Lien permanent Au retour du bureau, vous avez constatĂ© que votre canapĂ© est tachetĂ© d'encre qui semble ĂȘtre indĂ©lĂ©bile ! Il s'agit sĂ»rement du stylo que vous avez oubliĂ© la veille et qui a coulĂ© sur tout le meuble en cuir. Ne vous inquiĂ©tez pas, voici quelques conseils qui vous aideront Ă Ă©liminer ces tĂąches indĂ©sirables. PrĂ©parations Ă base de lait chaud ou d'alcool Inutile de paniquer pour une Ă©ventuelle tĂąche d'encre sur le canapĂ©. Sachez quâil existe des prĂ©parations Ă faire soi-mĂȘme. Vous pouvez essayer la solution qui consiste Ă tamponner les tĂąches Ă l'aide d'un chiffon imbibĂ© au prĂ©alable de lait chaud. Laissez agir quelques minutes puis essuyez Ă l'aide d'un chiffon sec. Si la tĂąche persiste, ne vous dĂ©couragez pas. Vous pouvez insister en utilisant de l'alcool Ă 90° Ă la place du lait. Dans ce cas, vous devrez frotter lĂ©gĂšrement le morceau de tissu imbibĂ© d'alcool sur le cuir sans toutefois le laisser agir trop longtemps. Cela risquerait d'endommager votre canapĂ© en cuir. La discussion continue ailleurs URL de rĂ©trolien
lavervos semelles au gel hydroalcoolique, les badigeonner de vinaigre, y mettre des sachets de thĂ© utilisĂ©s, les remplir de litiĂšre pour chat, Comment nettoyer une semelle intĂ©rieure de chaussure en cuir ? Sortez les semelles des chaussures, et nettoyez-les dans lâeau savonneuse, en les frottant bien avec une brosse Ă ongle. Si ce nettoyage nâĂ©tait pas suffisant
Les doigtiers mĂ©dicaux sont des produits d'hygiĂšne qui permettent de se servir d'un doigt blessĂ© dans un cadre sanitaire en accord avec les recommandations hygiĂ©niques liĂ©es Ă la pratique de votre activitĂ© de travail ou d'effectuer un diagnostic prĂ©cis via examen. Ils peuvent Ă©galement servir en tant qu'accessoires mĂ©dicaux. Medisafe propose divers doigtiers de protection qui sont conçus dans des matiĂšres diffĂ©rentes cuir, latex, coton synthĂ©tique et polyĂ©thylĂšne et qui assurent la protection hygiĂ©nique d'un ou deux doigts Ă la fois. Un doigtier mĂ©dical ou de protection est conçu pour Ă©pouser au plus proche la forme du doigt afin de lui laisser une dextĂ©ritĂ© et un toucher extrĂȘmement sensibles tout en protĂ©geant le doigt d'une contamination croisĂ©e. Il est toujours utile d'avoir des doigtiers de protection dans une trousse de secours en cas d'urgence et d'administration des premiers soins. Lire la suite Paire de gants & doigtiers Filtrer la recherche Trier Paire de gants jetables Se nettoyer les mains avec du savon, ou les dĂ©sinfecter Ă l'aide d'un gel hydroalcoolique. Ouvrir le sachet pour sortir la paire de gants jetables. Regarder l'Ă©tat de la paire de gants avant de l'enfiler. Si un gant est endommagĂ©, ne pas l'utiliser et changer-le immĂ©diatement. Jeter la paire aprĂšs utilisation. Ces gants en vinyle sont fabriquĂ©s sans latex... Doigtier latex Se nettoyer ou dĂ©sinfecter les mains. Ouvrir le sachet et rĂ©cupĂ©rer un doigtier latex. Faire dĂ©rouler le doigtier sur le doigt concernĂ© pour l'enfiler. Pour l'enlever, faire la dĂ©marche dans le sens inverse le dĂ©rouler vers l'extĂ©rieur. Le jeter aprĂšs utilisation. Le doigtier en latex est idĂ©al pour maintenir ou cacher un pansement. Il offre une... Doigtier de protection cuir Un doigtier de protection peut servir Ă protĂ©ger une plaie au niveau du doigt ou une protection de plaie tel qu'un pansement. Le protĂšge doigt en simili cuir est conçu pour protĂ©ger des frottements, poussiĂšres et autres dĂ©bris tout en garantissant un maintien et une impermĂ©abilitĂ© au doigt soutenu. Ce dispositif de protection d'un doigt se lave... Doigtier bleu boite de 50 Se laver les mains avec du savon ou se dĂ©sinfecter avec du gel hydroalcoolique. Prendre un doigtier bleu dans la boĂźte. Mettre le doigtier c'est Ă©galement possible de l'appliquer par-dessus un pansement. Jeter aprĂšs utilisation. Usage unique. M 7/8 L 8/9 XL 9/10 Doigtiers roulĂ©s en latex par 100 Se nettoyer les mains avec de l'eau et du savon ou les dĂ©sinfecter avec du gel hydroalcoolique. Mettre un doigtier roulĂ© en latex sur le doigt grĂące Ă ses rebords roulĂ©s. Les doigtiers roulĂ©s latex s'utilisent au quotidien, pour tout le monde, pour prĂ©server un pansement de l'humiditĂ©, de l'eau, de la poussiĂšre, des saletĂ©s, etc... Doigtier bandage Singlefix Se laver les mains. Nettoyer la plaie avec du savon ou un produit dĂ©sinfectant avant d'appliquer le pansement pour doigt. Mettre le doigtier bandage sur le doigt concernĂ© puis attacher-le autour du poignet grĂące au lacet. Attention Ă ne pas trop serrer le lacet autour du poignet. Usage unique. Ce produit a une durĂ©e de validitĂ© de 5 ans. Doigtier polyĂ©thylĂšne 1 doigt non stĂ©rile sachet de 100 Se dĂ©sinfecter les mains avant d'utiliser un doigtier en polyĂ©thylĂšne avec du savon ou du gel hydroalcoolique. Enfiler le doigtier sur le doigt concernĂ©. Ce produit jetable doit ĂȘtre utilisĂ© une seule fois puis ensuite jetĂ©. Usage unique. Doigtier polyĂ©thylĂšne 2 doigts non stĂ©rile sachet de 100 Se nettoyer ou se dĂ©sinfecter les mains. RĂ©cupĂ©rer un gant en polyĂ©thylĂšne pour ensuite l'enfiler. Ăconomique et Ă usage unique, protĂšge principalement lâindex ou le majeur lors des examens gynĂ©cologiques. Il peut remplacer lâusage de gants. Le jeter aprĂšs utilisation. Usage unique. Gants latex stĂ©riles poudrĂ© par paire Se dĂ©sinfecter les mains avec du gel hydroalcoolique ou se nettoyer les mains avec du savon. Ouvrir le sachet et prendre la paire de gants en latex. VĂ©rifier bien l'Ă©tat des gants avant de les enfiler. Gants latex stĂ©riles poudrĂ© par paire sont idĂ©als pour un usage chirurgical et mĂ©dical. La prĂ©sence d'amidon de maĂŻs rĂ©duit les risques d'allergies. Usage... Gants latex stĂ©riles non-poudrĂ© par paire Avant d'ouvrir le sachet de gants stĂ©riles, il est important de se laver les mains avec du savon ou de les dĂ©sinfecter avec une solution hydroalcoolique. VĂ©rifier l'Ă©tat gĂ©nĂ©ral des gants avant de les enfiler. Les jeter aprĂšs utilisation. Convient pour tous types de soins et d'examen mĂ©dicaux et petite chirurgie, soins infirmiers, soins dentaire. Usage... Doigtier polyĂ©thylĂšne 1 doigt stĂ©rile sachet de 100 AprĂšs s'ĂȘtre lavĂ© les mains avec du savon, prendre un gant en polyĂ©thylĂšne dans le sachet. Mettre le doigtier au doigt concernĂ© et le jeter aprĂšs l'avoir utilisĂ©. Ăconomique et Ă usage unique, protĂšge principalement lâindex ou le majeur lors des examens gynĂ©cologiques. Il peut remplacer lâusage de gants. Usage unique. Doigtier polyĂ©thylĂšne 2 doigts stĂ©rile sachet de 100 Il est important de se nettoyer les mains ou de les dĂ©sinfecter avant de porter un gant ou un doigtier. Jeter le doigtier aprĂšs l'avoir utilisĂ©. Les doigtiers en polyĂ©thylĂšne 2 doigts sont conçus pour rĂ©aliser des examens mĂ©dicaux prĂ©cis. Ils sont ainsi utilisĂ©s dans des services de gynĂ©cologie, d'obstĂ©tricologie et de proctologie, qui nĂ©cessitent des... Gants latex stĂ©riles non-poudrĂ© par un Se nettoyer les mains avec du savon, ou avec une solution hydroalcoolique qui aura pour effet de dĂ©sinfecter. Avant de le mettre, vĂ©rifier l'Ă©tat gĂ©nĂ©ral du gant. Le gant latex stĂ©rile non-poudrĂ© par un est Ă usage unique, c'est Ă dire qu'il doit ĂȘtre changĂ© dĂšs qu'il rentre en contact avec un Ă©lĂ©ment non stĂ©rile, lorsque vous changer de patient ou encore... Ajouter au panier Paire de gants de mĂ©nage Se laver ou se dĂ©sinfecter les mains avant d'utiliser la paire de gants. Penser Ă regarder l'Ă©tat des gants avant de les mettre. Les gants de mĂ©nage en latex sont rĂ©utilisables, d'oĂč l'importance d'avoir des mains propres avant de les enfiler. Les gants de mĂ©nage rĂ©sistants proposĂ©s par Medisafe sont conçus pour de l'entretien rĂ©gulier. Ils ne peuvent pas... Ă quoi sert un doigtier ? Un doigtier mĂ©dical de protection permet de rĂ©aliser un examen sans que le doigt n'entre en contact avec une muqueuse. Les proctologues l'utilisent pour un examen rectal, les gynĂ©cologues pour un examen vaginal et les dentistes peuvent Ă©galement l'utiliser pour des examens buccaux. GrĂące Ă leur conception qui entoure le doigt au plus proche et ne nuit pas aux capacitĂ©s de prĂ©hension et de manipulation tactile. Les doigtiers sont des solutions temporaires plus pratiques et plus Ă©conomes que des gants Ă usage unique dans un cadre mĂ©dical. Le gant de doigt protecteur n'est gĂ©nĂ©ralement pas stĂ©rile, il ne peut pas ĂȘtre utilisĂ© pour des opĂ©rations mĂ©dicales invasives. Les doigtiers de protection Ă usage unique sont Ă©galement trĂšs rĂ©pandus dans de nombreux secteurs d'activitĂ©, dont l'ensemble des mĂ©tiers de bouche boucher, pĂątissier, boulanger..., de restauration et de cuisine puisqu'ils peuvent protĂ©ger un doigt ou un ongle blessĂ© cors ou ongle incarnĂ© par exemple avec saignement afin d'Ă©viter le risque de contamination des aliments et de la nourriture par le sang. Un pansement peut ĂȘtre placĂ© sous le doigtier en cas d'hĂ©morragie externe liĂ©e Ă une coupure. Il est Ă©galement possible d'utiliser un doigtier jersey pour consolider un pansement dĂ©jĂ en place. Les doigtiers sont Ă©galement utilisĂ©s en papeterie pour manipuler les pages des livres sans les endommager, dans ce cas lĂ on favorise des doigtiers Ă picots. Comment choisir son doigtier ? Une boite de gants pour doigt avec ou sans picots doit ĂȘtre choisie avec prĂ©caution avant achat afin de rĂ©pondre pleinement Ă l'utilisation qui est prĂ©vue. Il existe diffĂ©rentes donnĂ©es Ă prendre en compte La matiĂšre il existe plusieurs matiĂšres utilisĂ©es pour la confection de protĂšge doigts. Chaque matiĂšre prĂ©sente ses avantages et ses dĂ©fauts. Le latex est extrĂȘmement souple et facile Ă positionner mais peut prĂ©senter un risque allergique. Le cuir n'est Ă utiliser que pour protĂ©ger un doigt blessĂ© mais pas pour rĂ©aliser un examen. Le polyĂ©thylĂšne est rĂ©sistant mais adhĂšre moins bien au doigt que du nitrile ou du vinyle. Le bandage en jersey de coton ne sert quant Ă lui qu'Ă maintenir en place sur la phalange un soin compresse, pansement, bande... sans offrir d'impermĂ©abilitĂ©. Il existe Ă©galement des doigtiers en caoutchouc. La taille il existe plusieurs tailles de protĂšge-doigts. Il est important de s'orienter vers une taille prĂ©cise correspondant Ă la taille des doigts majeur et index gĂ©nĂ©ralement du ou des potentiels porteurs. La taille correspond gĂ©nĂ©ralement au diamĂštre d'insertion. L'utilisation qui en est prĂ©vue il est essentiel de choisir le modĂšle de son doigtier de protection en fonction de l'utilisation prĂ©vue. Il ne faudra pas choisir les mĂȘmes types de gants pour doigt en fonction que l'on travaille en bureau ou dans le domaine mĂ©dical. La quantitĂ© tous les lots et sachets de protection pour doigts ne possĂšdent pas la mĂȘme quantitĂ© de piĂšces de matĂ©riel pour doigt. Il faut s'assurer d'avoir suffisamment d'unitĂ©s pour garantir la santĂ© et la sĂ©curitĂ© de l'ensemble des travailleurs d'une entreprise. Les accessoires pour doigts sont gĂ©nĂ©ralement roulĂ©s au niveau de leur diamĂštre d'insertion afin de se serrer autour du doigt et assurer une impermĂ©abilitĂ© optimale. Comment mettre un doigtier ? Un doigtier mĂ©dical de protection doit ĂȘtre enfilĂ© minutieusement afin de ne pas l'Ă©tirer ou l'abimer. Les mains doivent ĂȘtre propres et sĂšches au moment d'enfiler son gant pour doigt, nous recommandons pour se faire l'utilisation de gel antibactĂ©rien. Il faut ensuite placer le diamĂštre du doigtier au bout du doigt Ă protĂ©ger, puis le dĂ©rouler vers l'intĂ©rieur de la main. Vous trouverez Ă©galement dans cette catĂ©gorie des paires de gants de mĂ©nage et des gants stĂ©riles. Medisafe propose des doigtiers protecteurs roulĂ©s en boite, en sachet ou Ă l'unitĂ©. Pour l'achat d'une grande quantitĂ© de protections pour doigts, de gants nitrile ou d'autres produits d'hygiĂšne mĂ©dicale ou pour des infos concernant nos produits, il est recommandĂ© de contacter notre service client pour un devis afin d'obtenir de meilleurs prix. Livraison gratuite Ă partir de 99,95⏠HT d'achat sur notre site web.
Dimanche 15 novembre 2020 Ă 908 - Mis Ă jour le dimanche 15 novembre 2020 Ă 1422 Il y a toujours une goutte qui coule et qui atterrit sur les vĂȘtements. ça nettoie... mais ça fait des taches ! © Getty Avec Romain Buquet, droguiste en Fournirue Ă Metz. Voir le site internet. Pour faire disparaĂźtre les traces de gel hydroalcoolique sur les tissus, vous avez 3 solutions - LA PLUS NATURELLE le jus de citron quelques gouttes sur une Ă©ponge et frottez un peu. - MOINS NATURELLE le shampoing frottez la tache avec une goutte de shampoing et de l'eau trĂšs chaude. - EN DERNIER RECOURS lâammoniaque avec de l'eau savonneuse, frottez et rincez avec de l'eau claire sans attendre.
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